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Tous deux repassèrent par la chambre à coucher. La jeune femme dormait dans son lit; l’enfant dormait dans son berceau. Tous deux souriaient en dormant.

Charles les regarda un instant avec une tendresse infinie. Puis se tournant vers le roi de Navarre:

– Henriot, lui dit-il, s’il t’arrivait jamais d’apprendre quel service je t’ai rendu cette nuit, et qu’à moi il m’arrivât malheur, souviens-toi de cet enfant qui repose dans son berceau.

Puis les embrassant tous deux au front, sans donner à Henri le temps de l’interroger:

– Au revoir, mes anges, dit-il. Et il sortit. Henri le suivit tout pensif. Des chevaux tenus en main par des gentilshommes auxquels Charles IX avait donné rendez-vous, les attendaient à la Bastille. Charles fit signe à Henri de monter à cheval, se mit en selle, sortit par le jardin de l’Arbalète, et suivit les boulevards extérieurs.

– Où allons-nous? demanda Henri.

– Nous allons, répondit Charles, voir si le duc d’Anjou est revenu pour madame de Condé seule, et s’il y a dans ce cœur-là autant d’ambition que d’amour, ce dont je doute fort.

Henri ne comprenait rien à l’explication: il suivit Charles sans rien dire.

En arrivant au Marais, et comme à l’abri des palissades on découvrait tout ce qu’on appelait alors les faubourgs Saint-Laurent, Charles montra à Henri, à travers la brume grisâtre du matin, des hommes enveloppés de grands manteaux et coiffés de bonnets de fourrures qui s’avançaient à cheval, précédant un fourgon pesamment chargé. À mesure qu’ils avançaient, ces hommes prenaient une forme précise, et l’on pouvait voir, à cheval comme eux et causant avec eux, un autre homme vêtu d’un long manteau brun et le front ombragé d’un chapeau à la française.

– Ah! ah! dit Charles en souriant, je m’en doutais.

– Eh! Sire, dit Henri, je ne me trompe pas, ce cavalier au manteau brun, c’est le duc d’Anjou.

– Lui-même, dit Charles IX. Range-toi un peu, Henriot, je désire qu’il ne nous voie pas.

– Mais, demanda Henri, les hommes aux manteaux grisâtres et aux bonnets fourrés quels sont-ils? et dans ce chariot qu’y a-t-il?

– Ces hommes, dit Charles, ce sont les ambassadeurs polonais, et dans ce chariot il y a une couronne. Et maintenant, continua-t-il en mettant son cheval au galop et en reprenant le chemin de la porte du Temple, viens, Henriot, j’ai vu tout ce que je voulais voir.

VI La rentrée au Louvre

Lorsque Catherine pensa que tout était fini dans la chambre du roi de Navarre, que les gardes morts étaient enlevés, que Maurevel était transporté chez lui, que les tapis étaient lavés, elle congédia ses femmes, car il était minuit à peu près, et elle essaya de dormir. Mais la secousse avait été trop violente et la déception trop forte. Ce Henri détesté, échappant éternellement à ses embûches d’ordinaire mortelles, semblait protégé par quelque puissance invincible que Catherine s’obstinait à appeler hasard, quoique au fond de son cœur une voix lui dît que le véritable nom de cette puissance fût la destinée. Cette idée que le bruit de cette nouvelle tentative, en se répandant dans le Louvre et hors du Louvre, allait donner à Henri et aux huguenots une plus grande confiance encore dans l’avenir, l’exaspérait, et en ce moment, si ce hasard contre lequel elle luttait si malheureusement lui eût livré son ennemi, certes avec le petit poignard florentin qu’elle portait à sa ceinture elle eût déjoué cette fatalité si favorable au roi de Navarre.

Les heures de la nuit, ces heures si lentes à celui qui attend et qui veille, sonnèrent donc les unes après les autres sans que Catherine pût fermer l’œil. Tout un monde de projets nouveaux se déroula pendant ces heures nocturnes dans son esprit plein de visions. Enfin au point du jour elle se leva, s’habilla toute seule et s’achemina vers l’appartement de Charles IX.

Les gardes, qui avaient l’habitude de la voir venir chez le roi à toute heure du jour et de la nuit, la laissèrent passer. Elle traversa donc l’antichambre et atteignit le cabinet des Armes. Mais là, elle trouva la nourrice de Charles qui veillait.

– Mon fils? dit la reine.

– Madame, il a défendu qu’on entrât dans sa chambre avant huit heures.

– Cette défense n’est pas pour moi, nourrice.

– Elle est pour tout le monde, madame. Catherine sourit.

– Oui, je sais bien, reprit la nourrice, je sais bien que nul ici n’a le droit de faire obstacle à Votre Majesté; je la supplierai donc d’écouter la prière d’une pauvre femme et de ne pas aller plus avant.

– Nourrice, il faut que je parle à mon fils.

– Madame, je n’ouvrirai la porte que sur un ordre formel de Votre Majesté.

– Ouvrez, nourrice, dit Catherine, je le veux! La nourrice, à cette voix plus respectée et surtout plus redoutée au Louvre que celle de Charles lui-même, présenta la clef à Catherine, mais Catherine n’en avait pas besoin. Elle tira de sa poche la clef qui ouvrait la porte de son fils, et sous sa rapide pression la porte céda. La chambre était vide, la couche de Charles était intacte, et son lévrier Actéon, couché sur la peau d’ours étendue à la descente de son lit, se leva et vint lécher les mains d’ivoire de Catherine.

– Ah! dit la reine en fronçant le sourcil, il est sorti! J’attendrai.

Et elle alla s’asseoir, pensive et sombrement recueillie, à la fenêtre qui donnait sur la cour du Louvre et de laquelle on découvrait le principal guichet.

Depuis deux heures elle était là immobile et pâle comme une statue de marbre, lorsqu’elle aperçut enfin rentrant au Louvre une troupe de cavaliers à la tête desquels elle reconnut Charles et Henri de Navarre.

Alors elle comprit tout, Charles, au lieu de discuter avec elle sur l’arrestation de son beau-frère, l’avait emmené et sauvé ainsi.

– Aveugle, aveugle, aveugle! murmura-t-elle. Et elle attendit. Un instant après des pas retentirent dans la chambre à côté, qui était le cabinet des Armes.

– Mais, Sire, disait Henri, maintenant que nous voilà rentrés au Louvre, dites-moi pourquoi vous m’en avez fait sortir et quel est le service que vous m’avez rendu?

– Non pas, non pas, Henriot, répondit Charles en riant. Un jour tu le sauras peut-être; mais pour le moment c’est un mystère. Sache seulement que pour l’heure tu vas, selon toute probabilité, me valoir une rude querelle avec ma mère.

En achevant ces mots, Charles souleva la tapisserie et se trouva face à face avec Catherine. Derrière lui et par-dessus son épaule apparaissait la tête pâle et inquiète du Béarnais.

– Ah! vous êtes ici, madame! dit Charles IX en fronçant le sourcil.

– Oui, mon fils, dit Catherine. J’ai à vous parler.

– À moi?