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On arriva au premier étage.

Dans la salle à manger était servi ou plutôt desservi le souper, car c’était particulièrement le souper qui avait fourni les projectiles. Les candélabres étaient renversés, les meubles sens dessus dessous, et tout ce qui n’était pas vaisselle d’argent en pièces.

On passa dans le salon. Là pas plus de renseignements que dans la première chambre sur l’identité des personnages. Des livres grecs et latins, quelques instruments de musique, voilà tout ce que l’on trouva.

La chambre à coucher était plus muette encore. Une veilleuse brûlait dans un globe d’albâtre suspendu au plafond; mais on ne paraissait pas même être entré dans cette chambre.

– Il y a une seconde sortie, dit le roi.

– C’est probable, dit le duc d’Anjou.

– Mais où est-elle? demanda le duc de Guise. On chercha de tous côtés; on ne la trouva pas.

– Où est le concierge? demanda le roi.

– Je l’ai attaché à la grille, dit le duc de Guise.

– Interrogez-le, cousin.

– Il ne voudra pas répondre.

– Bah! on lui fera un petit feu bien sec autour des jambes, dit le roi en riant, et il faudra bien qu’il parle.

Henri regarda vivement par la fenêtre.

– Il n’y est plus, dit-il.

– Qui l’a détaché? demanda vivement le duc de Guise.

– Mort-diable! s’écria le roi, nous ne saurons rien encore.

– En effet, dit Henri, vous voyez bien, Sire, que rien ne prouve que ma femme et la belle-sœur de M. de Guise aient été dans cette maison.

– C’est vrai, dit Charles. L’Écriture nous apprend: il y a trois choses qui ne laissent pas de traces: l’oiseau dans l’air, le poisson dans l’eau, et la femme… non, je me trompe, l’homme chez…

– Ainsi, interrompit Henri, ce que nous avons de mieux à faire…

– Oui, dit Charles, c’est de soigner, moi ma contusion; vous, d’Anjou, d’essuyer votre sirop d’oranges, et vous, Guise, de faire disparaître votre graisse de sanglier.

Et là-dessus ils sortirent sans se donner la peine de refermer la porte. Arrivés à la rue Saint-Antoine:

– Où allez-vous, messieurs? dit le roi au duc d’Anjou et au duc de Guise.

– Sire, nous allons chez Nantouillet, qui nous attend à souper, mon cousin de Lorraine et moi. Votre Majesté veut-elle venir avec nous?

– Non, merci; nous allons du côté opposé. Voulez-vous un de mes porte-torches?

– Nous vous rendons grâce, Sire, dit vivement le duc d’Anjou.

– Bon; il a peur que je ne le fasse espionner, souffla Charles à l’oreille du roi de Navarre. Puis prenant ce dernier par-dessous le bras:

– Viens! Henriot, dit-il; je te donne à souper ce soir.

– Nous ne rentrons donc pas au Louvre? demanda Henri.

– Non, te dis-je, triple entêté! viens avec moi, puisque je te dis de venir; viens. Et il entraîna Henri par la rue Geoffroy-Lasnier.

V Anagramme

Au milieu de la rue Geoffroy-Lasnier venait aboutir la rue Garnier-sur-l’Eau, et au bout de la rue Garnier-sur-l’Eau s’étendait à droite et à gauche la rue des Barres.

Là, en faisant quelques pas vers la rue de la Mortellerie, on trouvait à droite une petite maison isolée au milieu d’un jardin clos de hautes murailles et auquel une porte pleine donnait seule entrée.

Charles tira une clef de sa poche, ouvrit la porte, qui céda aussitôt, étant fermée seulement au pêne; puis ayant fait passer Henri et le laquais qui portait la torche, il referma la porte derrière lui.

Une seule petite fenêtre était éclairée. Charles la montra du doigt en souriant à Henri.

– Sire, je ne comprends pas, dit celui-ci.

– Tu vas comprendre, Henriot. Le roi de Navarre regarda Charles avec étonnement. Sa voix, son visage avaient pris une expression de douceur qui était si loin du caractère habituel de sa physionomie, que Henri ne le reconnaissait pas.

– Henriot, lui dit le roi, je t’ai dit que lorsque je sortais du Louvre, je sortais de l’enfer. Quand j’entre ici, j’entre dans le paradis.

– Sire, dit Henri, je suis heureux que Votre Majesté m’ait trouvé digne de me faire faire le voyage du ciel avec elle.

– Le chemin en est étroit, dit le roi en s’engageant dans un petit escalier, mais c’est pour que rien ne manque à la comparaison.

– Et quel est l’ange qui garde l’entrée de votre Éden, Sire?

– Tu vas voir, répondit Charles IX.

Et faisant signe à Henri de le suivre sans bruit, il poussa une première porte, puis une seconde, et s’arrêta sur le seuil.

– Regarde, dit-il. Henri s’approcha et son regard demeura fixé sur un des plus charmants tableaux qu’il eût vus. C’était une femme de dix-huit à dix-neuf ans à peu près, dormant la tête posée sur le pied du lit d’un enfant endormi dont elle tenait entre ses deux mains les petits pieds rapprochés de ses lèvres, tandis que ses longs cheveux ondoyaient, épandus comme un flot d’or.

On eût dit un tableau de l’Albane représentant la Vierge et l’enfant Jésus.

– Oh! Sire, dit le roi de Navarre, quelle est cette charmante créature?

– L’ange de mon paradis, Henriot, le seul qui m’aime pour moi. Henri sourit.

– Oui, pour moi, dit Charles, car elle m’a aimé avant de savoir que j’étais roi.

– Et depuis qu’elle le sait?

– Eh bien, depuis qu’elle le sait, dit Charles avec un soupir qui prouvait que cette sanglante royauté lui était lourde parfois, depuis qu’elle le sait, elle m’aime encore; ainsi juge.

Le roi s’approcha tout doucement, et sur la joue en fleur de la jeune femme, il posa un baiser aussi léger que celui d’une abeille sur un lis.

Et cependant la jeune femme se réveilla.

– Charles! murmura-t-elle en ouvrant les yeux.

– Tu vois, dit le roi, elle m’appelle Charles. La reine dit Sire.

– Oh! s’écria la jeune femme, vous n’êtes pas seul, mon roi.

– Non, ma bonne Marie. J’ai voulu t’amener un autre roi plus heureux que moi, car il n’a pas de couronne; plus malheureux que moi, car il n’a pas une Marie Touchet. Dieu fait une compensation à tout.

– Sire, c’est le roi de Navarre? demanda Marie.