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C’était en ce moment que Catherine avait arrêté son capitaine des gardes en disant:

– Demeurez, j’irai voir moi-même ce qui se passe là-bas.

– Mais, madame, répondit le capitaine, le danger que pourrait courir Votre Majesté m’ordonne de la suivre.

– Restez, monsieur, dit Catherine d’un ton plus impérieux encore que la première fois, restez. Il y a autour des rois une protection plus puissante que l’épée humaine.

Le capitaine demeura.

Alors Catherine prit une lampe, passa ses pieds nus dans des mules de velours, sortit de sa chambre, gagna le corridor encore plein de fumée, s’avança impassible et froide comme une ombre, vers l’appartement du roi de Navarre.

Tout était redevenu silencieux.

Catherine arriva à la porte d’entrée, en franchit le seuil, et vit d’abord dans l’antichambre Orthon évanoui.

– Ah! ah! dit-elle, voici toujours le laquais; plus loin sans doute nous allons trouver le maître. Et elle franchit la seconde porte.

Là, son pied heurta un cadavre; elle abaissa sa lampe; c’était celui du garde qui avait eu la tête fendue; il était complètement mort.

Trois pas plus loin était le lieutenant frappé d’une balle et râlant le dernier soupir.

Enfin, devant le lit un homme qui, la tête pâle comme celle d’un mort, perdant son sang par une double blessure qui lui traversait le cou, raidissant ses mains crispées, essayait de se relever.

C’était Maurevel. Un frisson passa dans les veines de Catherine; elle vit le lit désert, elle regarda tout autour de la chambre, et chercha en vain parmi ces trois hommes couchés dans leur sang le cadavre qu’elle espérait. Maurevel reconnut Catherine; ses yeux se dilatèrent horriblement, et il tendit vers elle un geste désespéré.

– Eh bien, dit-elle à demi-voix, où est-il? qu’est-il devenu? Malheureux! l’auriez-vous laissé échapper?

Maurevel essaya d’articuler quelques paroles; mais un sifflement inintelligible sortit seul de sa blessure, une écume rougeâtre frangea ses lèvres, et il secoua la tête en signe d’impuissance et de douleur.

– Mais parle donc! s’écria Catherine, parle donc! ne fût-ce que pour me dire un seul mot!

Maurevel montra sa blessure, et fit entendre de nouveau quelques sons inarticulés, tenta un effort qui n’aboutit qu’à un rauque râlement et s’évanouit.

Catherine alors regarda autour d’elle: elle n’était entourée que de cadavres et de mourants; le sang coulait à flots par la chambre, et un silence de mort planait sur toute cette scène.

Encore une fois elle adressa la parole à Maurevel, mais sans le réveiller: cette fois, il demeura non seulement muet, mais immobile; un papier sortait de son pourpoint, c’était l’ordre d’arrestation signé du roi. Catherine s’en saisit et le cacha dans sa poitrine.

En ce moment Catherine entendit derrière elle un léger froissement de parquet; elle se retourna et vit debout, à la porte de la chambre, le duc d’Alençon, que le bruit avait attiré malgré lui, et que le spectacle qu’il avait sous les yeux fascinait.

– Vous ici? dit-elle.

– Oui, madame. Que se passe-t-il donc, mon Dieu? demanda le duc.

– Retournez chez vous, François, et vous apprendrez assez tôt la nouvelle.

D’Alençon n’était pas aussi ignorant de l’aventure que Catherine le supposait. Aux premiers pas retentissant dans le corridor, il avait écouté. Voyant entrer des hommes chez le roi de Navarre, il avait, en rapprochant ce fait des paroles de Catherine, deviné ce qui allait se passer, et s’était applaudi de voir un ami si dangereux détruit par une main plus forte que la sienne.

Bientôt des coups de feu, les pas rapides d’un fugitif, avaient attiré son attention, et il avait vu dans l’espace lumineux projeté par l’ouverture de la porte de l’escalier disparaître un manteau rouge qui lui était par trop familier pour qu’il ne le reconnût pas.

– De Mouy! s’écria-t-il, de Mouy chez mon beau-frère de Navarre! Mais non, c’est impossible! Serait-ce M. de La Mole?…

Alors l’inquiétude le gagna. Il se rappela que le jeune homme lui avait été recommandé par Marguerite elle-même, et voulant s’assurer si c’était lui qu’il venait de voir passer, il monta rapidement à la chambre des deux jeunes gens: elle était vide. Mais, dans un coin de cette chambre, il trouva suspendu le fameux manteau cerise. Ses doutes avaient été fixés: ce n’est donc pas La Mole, mais de Mouy.

La pâleur sur le front, tremblant que le huguenot ne fût découvert et ne trahît les secrets de la conspiration, il s’était alors précipité vers le guichet du Louvre. Là il avait appris que le manteau cerise s’était échappé sain et sauf, en annonçant qu’on tuait dans le Louvre pour le compte du roi.

– Il s’est trompé, murmura d’Alençon; c’est pour le compte de la reine mère. Et, revenant vers le théâtre du combat, il trouva Catherine errant comme une hyène parmi les morts.

À l’ordre que lui donna sa mère, le jeune homme rentra chez lui affectant le calme et l’obéissance, malgré les idées tumultueuses qui agitaient son esprit.

Catherine, désespérée de voir cette nouvelle tentative échouée, appela son capitaine des gardes, fit enlever les corps, commanda que Maurevel, qui n’était que blessé, fût reporté chez lui, et ordonna qu’on ne réveillât point le roi.

– Oh! murmura-t-elle en rentrant dans son appartement la tête inclinée sur sa poitrine, il a échappé cette fois encore. La main de Dieu est étendue sur cet homme. Il régnera! il régnera!

Puis, comme elle ouvrait la porte de sa chambre, elle passa la main sur son front et se composa un sourire banal.

– Qu’y avait-il donc, madame? demandèrent tous les assistants, à l’exception de madame de Sauve, trop effrayée pour faire des questions.

– Rien, répondit Catherine; du bruit, voilà tout.

– Oh! s’écria tout à coup madame de Sauve en indiquant du doigt le passage de Catherine, Votre Majesté dit qu’il n’y a rien, et chacun de ses pas laisse une trace sur le tapis!