– Ah! pardon, j'oubliais, une lettre.
– Une lettre.
– Qui vous intéresse encore plus que moi; où diable avais-je donc la tête de ne pas vous la montrer tout de suite.
– C'est donc une grande nouvelle.
– Oh! mon Dieu oui, et même une triste nouvelle: M. de Monsoreau est mort.
– Plaît-il! s'écria le duc avec un mouvement si marqué de surprise, que Bussy, qui avait les yeux fixés sur le prince, crut, au milieu de cette surprise, remarquer une joie extravagante.
– Mort, monseigneur.
– Mort, M. de Monsoreau?
– Eh! mon Dieu oui! ne sommes-nous pas tous mortels?
– Oui; mais l'on ne meurt pas comme cela tout à coup.
– C'est selon. Si l'on vous tue.
– Il a donc été tué?
– Il paraît que oui.
– Par qui?
– Par Saint-Luc, avec qui il s'est pris de querelle.
– Ah! ce cher Saint-Luc, s'écria le prince.
– Tiens, dit Bussy, je ne le savais pas si fort de vos amis, ce cher Saint-Luc!
– Il est des amis de mon frère, dit le duc, et, du moment où nous nous réconcilions, les amis de mon frère sont les miens.
– Ah! monseigneur, à la bonne heure, et je suis charmé de vous voir dans de pareilles dispositions.
– Et tu es sûr…?
– Dame! aussi sûr qu'on peut l'être. Voici un billet de Saint-Luc qui m'annonce cette mort, et, comme je suis aussi incrédule que vous, et que je doutais, monseigneur, j'ai envoyé mon chirurgien Remy, pour constater le fait, et présenter mes compliments de condoléance au vieux baron.
– Mort! Monsoreau mort! répéta le duc d'Anjou; mort tout seul.
– Le mot lui échappait comme le cher Saint-Luc lui avait échappé. Tous deux étaient d'une effroyable naïveté.
– Il n'est pas mort tout seul, dit Bussy, puisque c'est Saint-Luc qui l'a tué.
– Oh! je m'entends, dit le duc.
– Monseigneur l'avait-il par hasard donné à tuer par un autre? demanda Bussy.
– Ma foi non, et toi.
– Oh! moi, monseigneur, je ne suis pas assez grand prince pour faire faire cette sorte de besogne par les autres, et je suis obligé de la faire moi-même.
– Ah! Monsoreau, Monsoreau, fit le prince avec son affreux sourire.
– Tiens! monseigneur! on dirait que vous lui en vouliez, à ce pauvre comte?
– Non, c'est toi qui lui en voulais.
– Moi, c'était tout simple que je lui en voulusse, dit Bussy en rougissant malgré lui. Ne m'a-t-il pas un jour fait subir, de la part de Votre Altesse, une affreuse humiliation.
– Tu t'en souviens encore?
– Oh! mon Dieu non, monseigneur, vous le voyez bien; mais vous, dont il était le serviteur, l'ami, l'âme damnée…
– Voyons, voyons, dit le prince, interrompant la conversation qui devenait embarrassante pour lui, fais seller les chevaux, Bussy.
– Seller les chevaux, et pourquoi faire?
– Pour aller à Méridor, je veux faire mes compliments de condoléance à madame Diane. D'ailleurs, cette visite était projetée depuis longtemps, et je ne sais comment elle ne s'est pas faite encore; mais je ne la retarderai pas davantage. Corbleu! je ne sais pas pourquoi, mais j'ai le cœur aux compliments aujourd'hui.
– Ma foi, se dit Bussy en lui-même, à présent que le Monsoreau est mort et que je n'ai plus peur qu'il vende sa femme au duc, peu m'importe qu'il la revoie; s'il l'attaque, je la défendrai bien tout seul. Allons, puisque l'occasion de la revoir m'est offerte, profitons de l'occasion.
Et il sortit pour donner l'ordre de seller les chevaux.
Un quart d'heure après, tandis que Catherine dormait ou feignait de dormir pour se remettre des fatigues du voyage, le prince, Bussy, dix gentilshommes, montés sur de beaux chevaux, se dirigeaient vers Méridor avec cette joie qu'inspirent toujours le beau temps, l'herbe fleurie et la jeunesse, aux hommes comme aux chevaux.
À l'aspect de cette magnifique cavalcade, le portier du château vint au bord du fossé demander le nom des visiteurs.
– Le duc d'Anjou! cria le prince.
Aussitôt le portier saisit un cor et sonna une fanfare qui fit accourir tous les serviteurs au pont-levis.
Bientôt ce fut une course rapide dans les appartements, dans les corridors et sur les perrons; les fenêtres des tourelles s'ouvrirent; on entendit un bruit de ferrailles sur les dalles, et le vieux baron parut au seuil, tenant à la main les clefs de son château.
– C'est incroyable comme Monsoreau est peu regretté, dit le duc; vois donc, Bussy, comme tous ces gens-là ont des figures naturelles.
Une femme parut sur le perron.
– Ah! voilà la belle Diane, s'écria le duc, vois-tu, Bussy, vois-tu?
– Certainement que je la vois, monseigneur, dit le jeune homme; mais, ajouta-t-il tout bas, je ne vois pas Remy.
Diane sortait en effet de la maison, mais immédiatement derrière Diane sortait une civière, sur laquelle, couché, l'œil brillant de fièvre ou de jalousie, se faisait porter Monsoreau, plus semblable à un sultan des Indes sur son palanquin qu'à un mort sur sa couche funèbre.
– Oh! oh! Qu'est ceci? s'écria le duc, s'adressant à son compagnon, devenu plus blanc que le mouchoir à l'aide duquel il essayait d'abord de dissimuler son émotion.
– Vive monseigneur le duc d'Anjou, cria Monsoreau en levant, par un violent effort, sa main en l'air.
– Tout beau! fit une voix derrière lui, vous allez rompre le caillot.
– C'était Remy, qui, fidèle jusqu'au bout à son rôle de médecin, faisait au blessé cette prudente recommandation.
Les surprises ne durent pas longtemps à la cour, sur les visages du moins: le duc d'Anjou fit un mouvement pour changer la stupéfaction en sourire.
– Oh! mon cher comte, s'écria-t-il, quelle heureuse surprise! Croyez-vous qu'on nous avait dit que vous étiez mort?
– Venez, venez, monseigneur, dit le blessé, venez, que je baise la main de Votre Altesse. Dieu merci! non seulement je ne suis pas mort, mais encore j'en réchapperai, je l'espère, pour vous servir avec plus d'ardeur et de fidélité que jamais.
Quant à Bussy, qui n'était ni prince ni mari, ces deux positions sociales où la dissimulation est de première nécessité, il sentait une sueur froide couler de ses tempes, il n'osait regarder Diane. Ce trésor, deux fois perdu pour lui, lui faisait mal à voir, si près de son possesseur.