– Il faudrait donc, continua le duc, quitter l'Anjou pour revenir à Paris?
– Oui! oui! oui! continua Bussy avec une fureur approbative, qui allait toujours en croissant.
– Sans doute, cher enfant, dit Catherine; mais est-ce donc si difficile de revenir à Paris?
– Ma foi, se dit le duc, je n'y comprends plus rien. Nous étions convenus que je refuserais tout, et voici que maintenant il me conseille la paix et les embrassades.
– Eh bien! demanda Catherine avec anxiété, que répondez-vous?
– Ma mère, je réfléchirai, dit le duc, qui voulait s'entendre avec Bussy de cette contradiction, et demain…
– Il se rend, pensa Catherine. Allons, j'ai gagné la bataille.
– Au fait, se dit le duc, Bussy a peut-être raison.
Et tous deux se séparèrent après s'être embrassés.
IX Comment M. de Monsoreau ouvrit, ferma et rouvrit les yeux, ce qui était une preuve qu'il n'était pas tout a fait mort.
Un bon ami est une douce chose, d'autant plus douce qu'elle est rare. Remy s'avouait cela à lui-même, tout en courant sur un des meilleurs chevaux des écuries du prince. Il aurait bien pris Roland, mais il venait, sur ce point, après M. de Monsoreau; force lui avait donc été d'en prendre un autre.
– J'aime fort M. de Bussy, se disait le Haudoin à lui-même; et, de son côté, M. de Bussy m'aime grandement aussi, je le crois. Voilà pourquoi je suis si joyeux aujourd'hui, c'est qu'aujourd'hui j'ai du bonheur pour deux.
Puis il ajoutait, en respirant à pleine poitrine:
– En vérité, je crois que mon cœur n'est plus assez large.
Voyons, continuait-il en s'interrogeant, voyons quel compliment je vais faire à madame Diane.
Si elle est gourmée, cérémonieuse, funèbre, des salutations, des révérences muettes, et une main sur le cœur; si elle sourit, des pirouettes, des ronds de jambes, et une polonaise que j'exécuterai à moi tout seul.
Quant à M. de Saint-Luc, s'il est encore au château, ce dont je doute, un vivat et des actions de grâces en latin. Il ne sera pas funèbre, lui, j'en suis sûr…
Ah! j'approche.
En effet, le cheval, après avoir pris à gauche, puis à droite, après avoir suivi le sentier fleuri, après avoir traversé le taillis et la haute futaie, était entré dans le fourré qui conduisait à la muraille.
– Oh! les beaux coquelicots! disait Remy; cela me rappelle notre grand veneur; ceux sur lesquels il est tombé ne pouvaient pas être plus beaux que ceux-ci. Pauvre cher homme!
Remy approchait de plus en plus de la muraille.
Tout à coup le cheval s'arrêta, les naseaux ouverts, l'œil fixe; Remy, qui allait au grand trot, et qui ne s'attendait pas à ce temps d'arrêt, faillit sauter par-dessus la tête de Mithridate.
C'était ainsi que se nommait le cheval qu'il avait pris au lieu et place de Roland.
Remy, que la pratique avait fait écuyer sans peur, mit ses éperons dans le ventre de sa monture; mais Mithridate ne bougea point; il avait sans doute reçu ce nom à cause de la ressemblance que son caractère obstiné présentait avec celui du roi du Pont.
Remy, étonné, baissa les yeux vers le sol pour chercher quel obstacle arrêtait ainsi son cheval; mais il ne vit rien qu'une large mare de sang, que peu à peu buvaient la terre et les fleurs, et qui se couronnait d'une petite mousse rose.
– Tiens! s'écria-t-il, est-ce que ce serait ici que M. de Saint-Luc aurait transpercé M. de Monsoreau?
Remy leva les yeux de terre, et regarda tout autour de lui.
À dix pas, sous un massif, il venait de voir deux jambes roides et un corps qui paraissait plus roide encore.
Les jambes étaient allongées, le corps était adossé à la muraille.
– Tiens! le Monsoreau! fit Remy. Hic obiit Nemrod. Allons, allons, si la veuve le laisse ainsi exposé aux corbeaux et aux vautours, c'est bon signe pour nous, et l'oraison funèbre se fera en pirouettes, en ronds de jambe et en polonaise.
Et Remy, ayant mis pied à terre, fit quelques pas en avant dans la direction du corps.
– C'est drôle! dit-il, le voilà mort ici, parfaitement mort, et cependant le sang est là-bas. Ah! voici une trace. Il sera venu de là-bas ici, ou plutôt ce bon M. de Saint-Luc, qui est la charité même, l'aura adossé à ce mur pour que le sang ne lui portât point à la tête. Oui, c'est cela, il est, ma foi! mort, les yeux ouverts sans grimace; mort roide, là, une, deux!
Et Remy passa dans le vide un dégagement avec son doigt.
Tout à coup, il recula stupide, et la bouche béante: les deux yeux qu'il avait vu ouverts s'étaient refermés, et une pâleur, plus livide encore que celle qui l'avait frappé d'abord, s'était étendue sur la face du défunt.
Remy devint presque aussi pâle que M. de Monsoreau; mais, comme il était médecin, c'est-à-dire passablement matérialiste, il marmotta en se grattant le bout du nez:
– Credere portentis mediocre. S'il a fermé les yeux, c'est qu'il n'est pas mort.
Et comme, malgré son matérialisme, la position était désagréable, comme aussi les articulations de ses genoux pliaient plus qu'il n'était convenable, il s'assit ou plutôt il se laissa glisser au pied de l'arbre qui le soutenait, et se trouva face à face avec le cadavre.
– Je ne sais pas trop, se dit-il, où j'ai lu qu'après la mort il se produisait certains phénomènes d'action, qui ne décèlent qu'un affaissement de la matière, c'est-à-dire un commencement de corruption.
Diable d'homme, va! il faut qu'il nous contrarie même après sa mort; c'est bien la peine. Oui, ma foi, non seulement les yeux sont fermés tout de bon, mais encore la pâleur a augmenté, color albus, chroma chlôron comme dit Galien; color albus, comme dit Cicéron qui était un orateur bien spirituel. Au surplus, il y a un moyen de savoir s'il est mort ou s'il ne l'est pas, c'est de lui enfoncer mon épée d'un pied dans le ventre; s'il ne remue pas, c'est qu'il sera bien trépassé.
Et Remy se disposait à faire cette charitable épreuve; déjà même il portait la main à son estoc, lorsque les yeux de Monsoreau s'ouvrirent de nouveau.
Cet accident produisit l'effet contraire au premier, Remy se redressa comme mû par un ressort, et une sueur froide coula sur son front.
Cette fois les yeux du mort restèrent écarquillés.
– Il n'est pas mort, murmura Remy, il n'est pas mort. Eh bien! nous voilà dans une belle position.
Alors une pensée se présenta naturellement à l'esprit du jeune homme.