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Enfin, un frisson glacial courut sur les épaules de Bussy et fit vaciller ses yeux; l'observateur ne bougea point.

Bientôt les dents du comte cliquèrent les unes contre les autres; ses bras se roidirent; sa tête, devenue trop pesante, glissa le long du dossier du fauteuil et tomba sur son épaule.

En ce moment, l'homme qui l'examinait se leva de sa chaise en poussant un soupir, et s'approcha de lui.

– Monsieur le comte, dit-il, vous avez la fièvre.

Le comte leva son front qu'empourprait la chaleur de l'accès.

– Ah! c'est toi, Remy, dit-il.

– Oui, comte; je vous attendais ici.

– Ici, et pourquoi?

– Parce que là où l'on souffre on ne reste pas longtemps.

– Merci, mon ami, dit Bussy en prenant la main du jeune homme.

Remy garda entre les siennes cette main terrible, devenue plus faible que la main d'un enfant, et, la pressant avec affection et respect contre son cœur:

– Voyons, dit-il, il s'agit de savoir, monsieur le comte, si vous voulez demeurer ainsi: voulez-vous que la fièvre gagne et vous abatte? restez debout; voulez-vous la dompter? mettez-vous au lit, et faites-vous lire quelque beau livre où vous puissiez puiser l'exemple et la force.

Le comte n'avait plus rien à faire au monde qu'obéir; il obéit.

C'est donc en son lit que le trouvèrent tous les amis qui le vinrent visiter.

Pendant toute la journée du lendemain, Remy ne quitta point le chevet du comte; il avait la double attribution de médecin du corps et de médecin de l'âme; il avait des breuvages rafraîchissants pour l'un, il avait de douces paroles pour l'autre.

Mais le lendemain, qui était le jour où M. de Guise était venu au Louvre, Bussy regarda autour de lui, Remy n'y était point.

– Il s'est fatigué, pensa Bussy; c'est bien naturel! pauvre garçon, qui doit avoir tant besoin d'air, de soleil et de printemps! Et puis Gertrude l'attendait, sans doute; Gertrude n'est qu'une femme de chambre, mais elle l'aime… Une femme de chambre qui aime vaut mieux qu'une reine qui n'aime pas.

La journée se passa ainsi, Remy ne reparut pas; justement parce qu'il était absent, Bussy le désirait; il se sentait contre ce pauvre garçon de terribles mouvements d'impatience.

– Oh! murmura-t-il une fois ou deux, moi qui croyais encore à la reconnaissance et à l'amitié! Non, désormais je ne veux plus croire à rien.

Vers le soir, quand les rues commençaient à s'emplir de monde et de rumeurs, quand le jour déjà disparu ne permettait plus de distinguer les objets dans l'appartement, Bussy entendit des voix très hautes et très nombreuses dans son antichambre.

Un serviteur accourut alors tout effaré.

– Monseigneur le duc d'Anjou, dit-il.

– Fais entrer, répliqua Bussy en fronçant le sourcil à l'idée que son maître s'inquiétait de lui, ce maître dont il méprisait jusqu'à la politesse.

Le duc entra. La chambre de Bussy était sans lumière; les cœurs malades aiment l'obscurité, car ils peuplent l'obscurité de fantômes.

– Il fait trop sombre chez toi, Bussy, dit le duc; cela doit te chagriner.

Bussy garda le silence; le dégoût lui fermait la bouche.

– Es-tu donc malade gravement, continua le duc, que tu ne me réponds pas?

– Je suis fort malade, en effet, monseigneur, murmura Bussy.

– Alors, c'est pour cela que je ne t'ai point vu chez moi depuis deux jours? dit le duc.

– Oui, monseigneur, dit Bussy.

Le prince, piqué de ce laconisme, fit deux ou trois tours par la chambre en regardant les sculptures qui se détachaient dans l'ombre, et en maniant les étoffes.

– Tu es bien logé, Bussy, ce me semble du moins, dit le duc.

Bussy ne répondit pas.

– Messieurs, dit le duc à ses gentilshommes, demeurez dans la chambre à côté; il faut croire que, décidément, mon pauvre Bussy est bien malade. Çà, pourquoi n'a-t-on pas prévenu Miron? Le médecin d'un roi n'est pas trop bon pour Bussy.

Un serviteur de Bussy secoua la tête: le duc regarda ce mouvement.

– Voyons, Bussy, as-tu des chagrins? demanda le prince presque obséquieusement.

– Je ne sais pas, répondit le comte.

Le duc s'approcha, pareil à ces amants qu'on rebute, et qui, à mesure qu'on les rebute, deviennent plus souples et plus complaisants.

– Voyons! parle-moi donc, Bussy! dit-il.

– Eh! que vous dirai-je, monseigneur?

– Tu es fâché contre moi, hein? ajouta-t-il à voix basse.

– Moi, fâché, de quoi? D'ailleurs, on ne se fâche point contre les princes. À quoi cela servirait-il?

Le duc se tut.

– Mais, dit Bussy à son tour, nous perdons le temps en préambules. Allons au fait, monseigneur.

Le duc regarda Bussy.

– Vous avez besoin de moi, n'est-ce pas? dit ce dernier avec une dureté incroyable.

– Ah! monsieur de Bussy!

– Eh! sans doute, vous avez besoin de moi, je le répète; croyez-vous que je pense que c'est par amitié, que vous me venez voir? Non, pardieu, car vous n'aimez personne.

– Oh! Bussy!… toi, me dire de pareilles choses!

– Voyons, finissons-en; parlez, monseigneur, que vous faut-il? Quand on appartient à un prince, quand ce prince dissimule au point de vous appeler mon ami, eh bien! il faut lui savoir gré de la dissimulation et lui faire tout sacrifice, même celui de la vie. Parlez.

Le duc rougit; mais, comme il était dans l'ombre, personne ne vit cette rougeur.

– Je ne voulais rien de toi, Bussy, et tu te trompes, dit-il, en croyant ma visite intéressée. Je désire seulement, voyant le beau temps qu'il fait, et tout Paris étant ému ce soir de la signature de la Ligue, t'avoir en ma compagnie pour courir un peu la ville.

Bussy regarda le duc.

– N'avez-vous pas Aurilly? dit-il.

– Un joueur de luth.

– Ah! monseigneur! vous ne lui donnez pas toutes ses qualités, je croyais qu'il remplissait encore près de vous d'autres fonctions. Et, en dehors d'Aurilly, d'ailleurs, vous avez encore dix ou douze gentilshommes dont j'entends les épées retentir sur les boiseries de mon antichambre.