XIV Comment il est prouvé qu'écouter est le meilleur moyen pour entendre.
Le duc d'Anjou avait rejoint son hôte, le duc de Guise, dans cette chambre de la reine de Navarre, où autrefois le Béarnais et de Mouy avaient, à voix basse et la bouche contre l'oreille, arrêté leurs projets d'évasion; c'est que le prudent Henri savait bien qu'il existait peu de chambres au Louvre qui ne fussent ménagées de manière à laisser arriver les paroles même dites à demi-voix à l'oreille de celui qui avait intérêt à les entendre. Le duc d'Anjou n'ignorait pas non plus ce détail si important; mais, complètement séduit par la bonhomie de son frère, il l'oublia ou n'y attacha aucune importance.
Henri III, comme nous venons de le dire, entra dans son observatoire au moment où, de son côté, son frère entrait dans la chambre, de sorte qu'aucune des paroles des deux interlocuteurs n'échappa au roi.
– Eh bien, monseigneur? demanda vivement le duc de Guise.
– Eh bien, duc! la séance est levée.
– Vous étiez bien pâle, monseigneur.
– Visiblement? demanda le duc avec inquiétude.
– Pour moi, oui, monseigneur!
– Le roi n'a rien vu?
– Rien, du moins à ce que je crois, et Sa Majesté a retenu Votre Altesse?
– Vous l'avez vu, duc.
– Sans doute pour lui parler de la proposition que j'étais venu lui faire?
– Oui, monsieur.
Il y eut en ce moment un silence assez embarrassant dont Henri III, placé de manière à ne pas perdre une parole de leur entretien, comprit le sens.
– Et que dit Sa Majesté, monseigneur? demanda le duc de Guise.
– Le roi approuve l'idée; mais plus l'idée est gigantesque, plus un homme tel que vous, mis à la tête de cette idée, lui semble dangereux.
– Alors nous sommes près d'échouer.
– J'en ai peur, mon cher duc, et la Ligue me paraît supprimée.
– Diable! fit le duc, ce serait mourir avant de naître, finir avant d'avoir commencé.
– Ils ont autant d'esprit l'un que l'autre, dit une voix basse et mordante, retentissant à l'oreille de Henri penché sur son observatoire.
Henri se retourna vivement et vit le grand corps de Chicot, courbé pour écouter à son trou, comme lui écoutait au sien.
– Tu m'as suivi, coquin! s'écria le roi.
– Tais-toi, dis Chicot en faisant un geste de la main; tais-toi, mon fils, tu m'empêches d'entendre.
Le roi haussa les épaules; mais, comme Chicot était, à tout prendre, le seul être humain auquel il eût entière confiance, il se remit à écouter.
Le duc de Guise venait de reprendre la parole.
– Monseigneur, disait-il, il me semble que, dans ce cas, le roi eût tout de suite annoncé son refus; il m'a fait assez mauvais accueil pour m'oser dire toute sa pensée. Veut-il m'évincer par hasard?
– Je le crois, dit le prince avec hésitation.
– Il ruinerait l'entreprise alors?
– Assurément, reprit le duc d'Anjou, et, comme vous avez engagé l'action, j'ai dû vous seconder de toutes mes ressources, et je l'ai fait.
– En quoi, monseigneur?
– En ceci: que le roi m'a laissé à peu près maître de vivifier ou de tuer à jamais la Ligue.
– Et comment cela? dit le duc lorrain, dont le regard étincela malgré lui.
– Écoutez, cela est toujours soumis à l'approbation des principaux meneurs, vous le comprenez bien. Si, au lieu de vous expulser et de dissoudre la Ligue, il nommait un chef favorable à l'entreprise; si, au lieu d'élever le duc de Guise à ce poste, il y plaçait le duc d'Anjou?
– Ah! fit le duc de Guise, qui ne put ni retenir l'exclamation ni comprimer le sang qui lui montait au visage.
– Bon! dit Chicot, les deux dogues vont se battre sur leur os.
Mais, à la grande surprise de Chicot, et surtout du roi, qui, sur cette matière, en savait moins que Chicot, le duc de Guise cessa tout à coup de s'étonner et de s'irriter, et reprenant d'une voix calme et presque joyeuse:
– Vous êtes un adroit politique, monseigneur, dit-il, si vous avez fait cela.
– Je l'ai fait, répondit le duc.
– Bien rapidement!
– Oui; mais, il faut le dire, la circonstance m'aidait, et j'en ai profité; toutefois, mon cher duc, ajouta le prince, rien n'est arrêté, et je n'ai pas voulu conclure avant de vous avoir vu.
– Comment cela, monseigneur?
– Parce que je ne sais encore à quoi cela nous mènera.
– Je le sais bien, moi, dit Chicot.
– C'est un petit complot, dit Henri en souriant.
– Et dont M. de Morvilliers, qui est toujours si bien informé, à ce que tu prétends, ne te parlait cependant pas; mais laisse-nous écouter, cela devient intéressant.
– Eh bien, je vais vous dire, moi, monseigneur, non pas à quoi cela nous mènera, car Dieu seul le sait, mais à quoi cela peut nous servir, reprit le duc de Guise; la Ligue est une seconde armée; or, comme je tiens la première, comme mon frère le cardinal tient l'Église, rien ne pourra nous résister tant que nous resterons unis.
– Sans compter, dit le duc d'Anjou, que je suis l'héritier présomptif de la couronne.
– Ah! ah! fit Henri.
– Il a raison, dit Chicot; c'est ta faute, mon fils; tu sépares toujours les deux chemises de Notre-Dame de Chartres.
– Puis, monseigneur, tout héritier présomptif de la couronne que vous êtes, calculez les mauvaises chances.
– Duc, croyez-vous que ce ne soit point fait déjà, et que je ne les aie pas cent fois pesées toutes?
– Il y a d'abord le roi de Navarre.
– Oh! il ne m'inquiète pas, celui-là; il est tout occupé de ses amours avec la Fosseuse.
– Celui-là, monseigneur, celui-là vous disputera jusqu'aux cordons de votre bourse; il est râpé, il est maigre, il est affamé, il ressemble à ces chats de gouttière à qui la simple odeur d'une souris fait passer des nuits tout entières sur une lucarne, tandis que le chat engraissé, fourré, emmitouflé, ne peut, tant sa patte est lourde, tirer sa griffe de son fourreau de velours; le roi de Navarre vous guette; il est à l'affût, il ne perd de vue ni vous ni votre frère; il a faim de votre trône. Attendez qu'il arrive un accident à celui qui est assis dessus, vous verrez si le chat maigre a des muscles élastiques, et si d'un seul bond il ne sautera pas, pour vous faire sentir sa griffe, de Pau à Paris; vous verrez, monseigneur, vous verrez.