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– Eh bien, va donc te coucher, Henri: tu, vois que ta police est mal faite.

Et, se retournant vers le mur, sans vouloir répondre davantage, Chicot se remit à ronfler avec un bruit de grosse artillerie qui ôta au roi toute espérance de le tirer de ce second sommeil.

Henri rentra en soupirant dans sa chambre, et, à défaut d'autre interlocuteur, se mit à déplorer, avec son lévrier Narcisse, le malheur qu'ont les rois de ne jamais connaître la vérité qu'à leurs dépens.

Le lendemain le conseil s'assembla. Il variait selon les changeantes amitiés du roi. Cette fois il se composait de Quélus, de Maugiron, de d'Épernon et de Schomberg, en faveur tous quatre depuis plus de six mois.

Chicot, assis au haut bout de la table, taillait des bateaux en papier, et les alignait méthodiquement, pour faire, disait-il, une flotte à Sa Majesté très chrétienne, à l'instar de la flotte du roi très catholique.

On annonça M. de Morvilliers.

L'homme d'État avait pris son plus sombre costume et son air le plus lugubre. Après un salut profond, qui lui fut rendu par Chicot, il s'approcha du roi:

– Je suis, dit-il, devant le conseil de Votre Majesté?

– Oui, devant mes meilleurs amis. Parlez.

– Eh bien, sire, je prends assurance et j'en ai besoin. Il s'agit de dénoncer un complot bien terrible à Votre Majesté.

– Un complot! s'écrièrent tous les assistants.

Chicot dressa l'oreille et suspendit la fabrication d'une superbe galiote à deux têtes, dont il voulait faire la barque amirale de la flotte.

– Un complot, oui, Majesté, dit M. de Morvilliers, baissant la voix avec ce mystère qui présage les terribles confidences.

– Oh! oh! fit le roi. Voyons, est-ce un complot espagnol?

À ce moment M. le duc d'Anjou, mandé au conseil, entra dans la salle, dont les portes se refermèrent aussitôt.

– Vous entendez, mon frère, dit Henri après le cérémonial. M. de Morvilliers nous dénonce un complot contre la sûreté de l'État.

Le duc jeta lentement sur les gentilshommes présents ce regard si clair et si défiant que nous lui connaissons.

– Est-il bien possible?… murmura-t-il.

– Hélas! oui, monseigneur, dit M. de Morvilliers, un complot menaçant.

– Contez-nous cela, répliqua Chicot en mettant sa galiote terminée dans le bassin de cristal placé sur la table.

– Oui, balbutia le duc d'Anjou, contez-nous cela, monsieur le chancelier.

– J'écoute, dit Henri.

Le chancelier prit sa voix la plus voilée, sa pose la plus courbée, son regard le plus affairé.

– Sire, dit-il, depuis très longtemps je veillais sur les menées de quelques mécontents…

– Oh! fit Chicot… quelques?… Vous êtes bien modeste, monsieur de Morvilliers!…

– C'étaient, continua le chancelier, des hommes sans aveu, des boutiquiers, des gens de métiers ou de petits clercs de robe… il y avait de ci, de là, des moines et des écoliers.

– Ce ne sont pas là de bien grands princes, dit Chicot avec une parfaite tranquillité, et en recommençant un nouveau vaisseau à deux pointes.

Le duc d'Anjou sourit forcément.

– Vous allez voir, sire, dit le chancelier; je savais que les mécontents profitent toujours de deux occasions principales, la guerre ou la religion…

– C'est fort sensé, dit Henri. Après?

Le chancelier, heureux de cet éloge, poursuivit:

– Dans l'armée, j'avais des officiers dévoués à Votre Majesté qui m'informaient de tout; dans la religion, c'est plus difficile. Alors j'ai mis des hommes en campagne.

– Toujours fort sensé, dit Chicot.

Et enfin, continua Morvilliers, je réussis à faire décider par mes agents un homme de la prévôté de Paris.

– À quoi faire? dit le roi.

– À espionner les prédicateurs qui vont excitant le peuple contre Votre Majesté.

– Oh! oh! pensa Chicot, mon ami serait-il connu?

– Ces gens reçoivent les inspirations, non pas de Dieu, sire, mais d'un parti fort hostile à la couronne. Ce parti, je l'ai étudié.

– Fort bien, dit le roi.

– Très sensé, dit Chicot.

– Et j'en connais les espérances, ajouta triomphalement Morvilliers.

– C'est superbe! s'écria Chicot.

Le roi fit signe au Gascon de se taire.

Le duc d'Anjou ne perdit pas de vue l'orateur.

– Pendant plus de deux mois, dit le chancelier, j'entretins aux gages de Votre Majesté des hommes de beaucoup d'adresse, d'un courage à toute épreuve, d'une avidité insatiable, c'est vrai, mais que j'avais soin de faire tourner au profit du roi; car, tout en les payant magnifiquement, j'y gagnais encore. J'appris d'eux que, moyennant le sacrifice d'une forte somme d'argent, je connaîtrais le premier rendez-vous des conspirateurs.

– Voilà qui est bon, dit Chicot, paye, mon roi, paye!

– Eh! qu'à cela ne tienne, s'écria Henri, voyons… chancelier, le but de ce complot, l'espérance des conspirateurs?…

– Sire! il ne s'agit de rien moins que d'une seconde Saint-Barthélemy.

– Contre qui?

– Contre les huguenots. Les assistants se regardèrent surpris.

– Combien cela vous a-t-il coûté, à peu près? demanda Chicot.

– Soixante-quinze mille livres d'une part, cent mille de l'autre.

Chicot se retourna vers le roi.

– Si tu veux, pour mille écus, je te dis le secret de M. de Morvilliers, s'écria le Gascon.

Celui-ci fit un geste de surprise; le duc d'Anjou fit meilleur visage qu'on n'eût pu s'y attendre.

– Dis, répliqua le roi.

– C'est la Ligue pure et simple, fit Chicot, la Ligue commencée depuis dix ans. M. de Morvilliers a découvert ce que tout bourgeois parisien sait comme son pater.

– Monsieur… interrompit le chancelier.

– Je dis la vérité… et je le prouverai, s'écria Chicot d'un ton d'avocat.

– Dites-moi le lieu de la réunion des ligueurs, alors.

– Très volontiers, 1° la place publique; 2° la place publique; 3° les places publiques.