– C'est un puissant seigneur dans son pays, dit le duc, et l'on assure qu'il est très influent dans toute la province.
– Oui, monseigneur; mais ce dont vous devez vous souvenir avant toute chose, c'est qu'il est père, c'est que sa fille est malheureuse, et qu'il est malheureux du malheur de sa fille.
– Et quand pourrais-je le voir?
– Aussitôt votre retour à Paris.
– Bien.
– C'est convenu alors, n'est-ce pas, monseigneur?
– Oui.
– Foi de gentilhomme?
– Foi de prince.
– Et quand partez-vous?
– Ce soir; m'attends-tu?
– Non, je cours devant.
– Va, et tiens-toi prêt.
– Tout à vous, monseigneur. Où retrouverai-je Votre Altesse?
– Au lever du roi, demain, vers midi.
– J'y serai, monseigneur; adieu.
Bussy ne perdit pas un moment, et le chemin que le duc fit en dormant dans sa litière et qu'il mit quinze heures à faire, le jeune homme, qui revenait à Paris le cœur gonflé d'amour et de joie, le dévora en cinq heures pour consoler plus tôt le baron, auquel il avait promis assistance, et Diane, à laquelle il allait porter la moitié de sa vie.
IX Comment Chicot revint au Louvre et fut reçu par le roi Henri III.
Tout dormait au Louvre, car il n'était encore que onze heures du matin; les sentinelles de la cour semblaient marcher avec précaution; les chevaliers qui relevaient la garde allaient au pas.
On laissait reposer le roi, fatigué de son pèlerinage.
Deux hommes se présentèrent en même temps à la porte principale du Louvre: l'un, sur un barbe d'une fraîcheur incomparable; l'autre, sur un andalous tout floconneux d'écume.
Ils s'arrêtèrent de front à la porte et se regardèrent; car, venus par deux chemins opposés, ils se rencontraient là seulement.
– Monsieur de Chicot, s'écria le plus jeune des deux en saluant avec politesse, comment vous portez-vous ce matin?
– Eh! c'est le seigneur de Bussy. Mais, à merveille, monsieur, répondit Chicot avec une aisance et une courtoisie qui sentaient le gentilhomme pour le moins autant que le salut de Bussy sentait son grand seigneur et son homme délicat.
– Vous venez voir le lever du roi, monsieur? demanda Bussy.
– Et vous aussi, je présume?
– Non. Je viens pour saluer monseigneur le duc d'Anjou. Vous savez, monsieur de Chicot, ajouta Bussy en souriant, que je n'ai pas le bonheur d'être des favoris de Sa Majesté?
– C'est un reproche que je ferai au roi et non à vous, monsieur.
Bussy s'inclina.
– Et vous arrivez de loin? demanda Bussy. On vous disait en voyage.
– Oui, monsieur, je chassais, répliqua Chicot. Mais, de votre côté, ne voyagiez-vous point aussi?
– En effet, j'ai fait une course en province; maintenant, monsieur, continua Bussy, serez-vous assez bon pour me rendre un service?
– Comment donc, chaque fois que M. de Bussy voudra disposer de moi pour quelque chose que ce soit, dit Chicot, il m'honorera infiniment.
– Eh bien, vous allez pénétrer dans le Louvre, vous le privilégié, tandis que moi, je resterai dans l'antichambre; veuillez donc faire prévenir le duc d'Anjou que j'attends.
– M. le duc d'Anjou est au Louvre, dit Chicot, et va sans doute assister au lever de Sa Majesté; que n'entrez-vous avec moi, monsieur?
– Je crains le mauvais visage du roi.
– Bah!
– Dame! il ne m'a point jusqu'à présent habitué à ses plus gracieux sourires.
– D'ici à quelque temps, soyez tranquille, tout cela changera.
– Ah! ah! vous êtes donc nécromancien, monsieur de Chicot?
– Quelquefois. Allons, du courage, venez, monsieur de Bussy.
Ils entrèrent en effet, et se dirigèrent, l'un vers le logis de M. le duc d'Anjou, qui habitait, nous croyons l'avoir déjà dit, l'appartement qu'avait habité jadis la reine Marguerite, l'autre vers la chambre du roi.
– Henri III venait de s'éveiller; il avait sonné sur le grand timbre, et une nuée de valets et d'amis s'était précipitée dans la chambre royale: déjà le bouillon de volaille, le vin épicé et les pâtes de viandes étaient servis, quand Chicot entra tout fringant chez son auguste maître, et commença, avant de dire bonjour, par manger au plat et boire à l'écuelle d'or.
– Par la mordieu! s'écria le roi ravi, quoiqu'il jouât la colère, c'est ce coquin de Chicot, je crois; un fugitif, un vagabond, un pendard!
– Eh bien! eh bien! qu'as-tu donc, mon fils, dit Chicot en s'asseyant sans façon avec ses bottes poudreuses sur l'immense fauteuil à fleurs de lis d'or où était assis Henri III lui-même, nous oublions donc ce petit retour de Pologne où nous avons joué le rôle de cerf, tandis que les magnats jouaient celui de chiens. Taïaut! taïaut!…
– Allons, voilà mon malheur revenu, dit Henri; je ne vais plus entendre que des choses désagréables. J'étais bien tranquille cependant depuis trois semaines.
– Bah! bah! dit Chicot, tu te plains toujours; on te prendrait pour un de tes sujets, le diable m'emporte. Voyons, qu'as-tu fait en mon absence, mon petit Henriquet? A-t-on un peu drôlement gouverné ce beau royaume de France?
– Monsieur Chicot!
– Nos peuples tirent-ils la langue, hein?
– Drôle!
– A-t-on pendu quelqu'un de ces petits messieurs frisés? Ah! pardon! monsieur de Quélus, je ne vous voyais pas.
– Chicot, nous nous brouillerons.
– Enfin, reste-t-il quelque argent dans nos coffres ou dans ceux des juifs? Ce ne serait pas malheureux, nous avons bien besoin de nous divertir, ventre de biche! c'est bien assommant, la vie!
Et il acheva de rafler sur le plat de vermeil des pâtes de viandes dorées à la poêle.
Le roi se mit à rire: c'était toujours par là qu'il finissait.
– Voyons, dit-il, qu'as-tu fait pendant cette longue absence?
– J'ai, dit Chicot, imaginé le plan d'une petite procession en trois actes.
Premier acte. – Des pénitents habillés d'une chemise et d'un haut-de-chausses seulement, se tirant les cheveux et se gourmant réciproquement, montent du Louvre à Montmartre.