Et Chicot fit à reculons un pas vers la porte sans perdre de vue l'avocat.
Celui-ci fit un bond en avant.
– Et vous croyez que je vous laisserai sortir? s'écria l'avocat; non pas, mon bel espion; non pas, Chicot, mon ami: quand on sait des secrets comme ceux de la généalogie, on meurt! Quand on menace Nicolas David, on meurt! Quand on entre ici comme tu y es entré, on meurt!
– Vous me mettez parfaitement à mon aise, répondit Chicot avec le même calme; je n'hésitais que parce que je suis sûr de vous tuer. Crillon, en faisant des armes avec moi, m'a appris, il y a deux mois, une botte particulière, une seule; mais elle suffira, parole d'honneur. Allons, remettez-moi les papiers, ajouta-t-il d'une voix terrible, ou je vous tue! et je vais vous dire comment: je vous percerai la gorge où vous vouliez saigner mon ami Gorenflot.
Chicot n'avait point achevé ces paroles, que David, avec un sauvage éclat de rire, s'élança sur lui; Chicot le reçut l'épée au poing.
Les deux adversaires étaient à peu près de la même taille; mais les vêtements de Chicot dissimulaient sa maigreur, tandis que rien ne dissimulait la nature longue, mince et flexible de l'avocat. Il semblait un long serpent, tant son bras prolongeait sa tête, tant son épée agile s'agitait comme un triple dard; mais, comme le lui avait annoncé Chicot, il avait affaire à un rude adversaire; Chicot, faisant des armes presque tous les jours avec le roi, était devenu un des plus forts tireurs du royaume; c'est ce dont Nicolas David put s'apercevoir, en trouvant toujours le fer de son adversaire, de quelque façon qu'il cherchât à l'attaquer.
Il fit un pas de retraite.
– Ah! ah! dit Chicot, vous commencez à comprendre, n'est-ce pas? Eh bien, encore une fois, les papiers.
David, pour toute réponse, se jeta de nouveau sur le Gascon, et un second combat s'engagea plus long et plus acharné que le premier, quoique Chicot se contentât de parer et n'eût pas encore porté un coup. Cette seconde lutte se termina, comme la première, par un pas de retraite de l'avocat.
– Ah! ah! dit Chicot, à mon tour maintenant.
Et il fit un pas en avant.
Pendant qu'il marchait, Nicolas David dégagea pour l'arrêter. Chicot para prime, lia l'épée de son adversaire tierce sur tierce, et l'atteignit à l'endroit qu'il avait indiqué d'avance; il lui enfonça la moitié de sa rapière dans la gorge.
– Voilà le coup, dit Chicot.
David ne répondit pas; il tomba du coup aux pieds de Chicot en crachant une gorgée de sang.
Chicot à son tour fit un pas de retraite. Tout blessé à mort qu'il est, le serpent peut encore se redresser et mordre.
Mais David, par un mouvement naturel, essaya de se traîner vers son lit comme pour défendre encore son secret.
– Ah! dit Chicot, je te croyais retors, et tu es sot, au contraire, comme un reître. Je ne savais pas l'endroit où tu avais caché tes papiers, et voilà que tu me l'apprends.
Et, tandis que David se tordait dans les convulsions de l'agonie, Chicot courut au lit, souleva le matelas et trouva, sous le chevet, un petit rouleau de parchemin, que David, dans l'ignorance de la catastrophe qui le menaçait, n'avait pas songé à cacher mieux.
Au moment même où il le déroulait pour s'assurer que c'était bien le papier qu'il cherchait, David se soulevait avec rage; puis, retombant aussitôt, rendait le dernier soupir.
Chicot parcourut d'abord d'un œil étincelant de joie et d'orgueil le parchemin rapporté d'Avignon par Pierre de Gondy.
Le légat du pape, fidèle à la politique du souverain pontife depuis son avènement au trône, avait écrit au bas:
Fiat ut voluit Deus: Deus jura hominum fecit.
– Voilà, dit Chicot, un pape qui traite assez mal le roi très chrétien.
Et il plia soigneusement le parchemin, qu'il introduisit dans la poche la plus sûre de son justaucorps, c'est-à-dire dans celle qui s'appuyait sur sa poitrine.
Puis il prit le corps de l'avocat, qui était mort sans presque répandre de sang, la nature de la plaie ayant concentré l'hémorragie au dedans, le replaça dans le lit, la face tournée contre la ruelle, et, rouvrant la porte, appela Gorenflot.
Gorenflot entra.
– Comme vous êtes pâle! dit le moine.
– Oui, dit Chicot; les derniers moments de ce pauvre homme m'ont causé quelque émotion.
– Il est donc mort? demanda Gorenflot.
– Il y a tout lieu de le croire, répondit Chicot.
– Il se portait si bien tout à l'heure!
– Trop bien. Il a voulu manger des choses difficiles à digérer, et, comme Anacréon, il est mort pour avoir avalé de travers.
– Oh! oh! dit Gorenflot, le coquin qui voulait m'étrangler, moi, un homme d'Église; voilà ce qui lui aura porté malheur.
– Pardonnez-lui, compère, vous êtes chrétien.
– Je lui pardonne, dit Gorenflot, quoiqu'il m'ait fait grand'peur.
– Ce n'est pas le tout, dit Chicot; il conviendrait que vous allumiez les cires, et que vous marmottiez quelques prières près de son corps.
– Pourquoi faire?
C'était le mot de Gorenflot, on se le rappelle.
– Comment! pourquoi faire? Pour n'être point pris et conduit dans les prisons de la ville comme meurtrier.
– Moi! meurtrier de cet homme! Allons donc; c'est lui qui voulait m'étrangler.
– Mon Dieu, oui! Et, comme il n'a pu y réussir, la colère lui a mis le sang en mouvement; un vaisseau se sera brisé dans sa poitrine, et bonsoir. Vous voyez bien qu'en somme, Gorenflot, c'est vous qui êtes la cause de sa mort. Cause innocente, c'est vrai; mais n'importe! En attendant, que votre innocence soit reconnue, on pourrait vous faire un mauvais parti.
– Je crois que vous avez raison, monsieur Chicot, dit le moine.
– D'autant plus raison, qu'il y a dans cette bonne ville, à Lyon, un official un peu coriace.
– Jésus! murmura le moine.
– Faites donc ce que je vous dis, compère.
– Que faut-il que je fasse?
– Installez-vous ici, récitez avec onction toutes les prières que vous savez, et même celles que vous ne savez pas, et quand le soir sera venu et que vous serez seul, sortez de l'hôtellerie, sans lenteur et sans précipitation; vous connaissez le travail du maréchal ferrant qui fait le coin de la rue?
– Certainement, c'est à lui que je me suis donné ce coup hier soir, dit Gorenflot montrant son œil cerclé de noir.