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Le lendemain, il se présenta; j'avais compris le ridicule de ma position: la chasse est un plaisir que partagent souvent les femmes elles-mêmes; ce fut donc moi, en quelque sorte, qui me défendis de cette ridicule émotion, et qui la rejetai sur la tendresse que je portais à Daphné.

Ce fut alors le comte qui joua l'homme désespéré, et qui vingt fois me jura sur l'honneur que, s'il eût pu deviner que je portais quelque intérêt à sa victime, il eût eu grand bonheur à l'épargner; cependant ses protestations ne me convainquirent point, et le comte s'éloigna sans avoir pu effacer de mon cœur la douloureuse impression qu'il y avait faite.

En se retirant, le comte demanda à mon père la permission de revenir. Il était né en Espagne, il avait été élevé à Madrid: c'était pour le baron un attrait que de parler d'un pays où il était resté si longtemps. D'ailleurs, le comte était de bonne naissance, sous-gouverneur de la province, favori, disait-on, de M. le duc d'Anjou; mon père n'avait aucun motif pour lui refuser cette demande, qui lui fut accordée.

Hélas! à partir de ce moment cessa, sinon mon bonheur, du moins ma tranquillité. Bientôt je m'aperçus de l'impression que j'avais faite sur le comte. D'abord il n'était venu qu'une fois la semaine, puis deux, puis enfin tous les jours. Plein d'attentions pour mon père, le comte lui avait plu. Je voyais le plaisir que le baron éprouvait dans sa conversation, qui était toujours celle d'un homme supérieur. Je n'osais me plaindre; car de quoi me serais-je plainte? Le comte était galant avec moi comme avec une maîtresse, respectueux comme avec une sœur.

Un matin, mon père entra dans ma chambre avec un air plus grave que d'habitude, et cependant sa gravité avait quelque chose de joyeux.

– Mon enfant, me dit-il, tu m'as toujours assuré que tu serais heureuse de ne pas me quitter.

– Oh! mon père, m'écriai-je, vous le savez, c'est mon vœu le plus cher.

– Eh bien, ma Diane, continua-t-il en se baissant pour m'embrasser au front, il ne tient qu'à toi de voir ton vœu se réaliser.

Je me doutais de ce qu'il allait me dire, et je pâlis si affreusement, qu'il s'arrêta avant que d'avoir touché mon front de ses lèvres.

– Diane! mon enfant! s'écria-t-il, oh! mon Dieu! qu'as-tu donc?

– M. de Monsoreau, n'est-ce pas? balbutiai-je.

– Eh bien? demanda-t-il étonné.

– Oh! jamais, mon père, si vous avez quelque pitié pour votre fille, jamais!

– Diane, mon amour, dit-il, ce n'est pas de la pitié que j'ai pour toi, c'est de l'idolâtrie, tu le sais; prends huit jours pour réfléchir, et si, dans huit jours…

– Oh! non, non, m'écriai-je, c'est inutile, pas huit jours, pas vingt-quatre heures, pas une minute. Non, non, oh! non!

Et je fondis en larmes.

Mon père m'adorait; jamais il ne m'avait vue pleurer, il me prit dans ses bras et me rassura en deux mots; il venait de me donner sa parole de gentilhomme qu'il ne me parlerait plus de ce mariage.

Effectivement, un mois se passa sans que je visse M. de Monsoreau et sans que j'entendisse parler de lui. Un matin nous reçûmes, mon père et moi, une invitation de nous trouver à une grande fête que M. de Monsoreau devait donner au frère du roi qui venait visiter la province dont il portait le nom. Cette fête avait lieu à l'hôtel de ville d'Angers.

À cette lettre était jointe une invitation personnelle du prince, lequel écrivait à mon père qu'il se rappelait l'avoir vu autrefois à la cour du roi Henri, et qu'il le reverrait avec plaisir.

Mon premier mouvement fut de prier mon père de refuser, et certes j'eusse insisté si l'invitation eût été faite au nom seul de M. de Monsoreau; mais le prince était de moitié dans l'invitation, et mon père craignit par un refus de blesser Son Altesse.

Nous nous rendîmes donc à cette fête. M. de Monsoreau nous reçut comme si rien ne s'était passé entre nous; sa conduite vis-à-vis de moi ne fut ni indifférente ni affectée; il me traita comme toutes les autres dames, et je fus heureuse de n'avoir été, de son côté, l'objet d'aucune distinction, soit en bonne, soit en mauvaise part.

Il n'en fut pas de même du duc d'Anjou. Dès qu'il m'aperçut, son regard se fixa sur moi pour ne plus me quitter. Je me sentais mal à l'aise sous le poids de ce regard, et sans dire à mon père ce qui me faisait désirer de quitter le bal, j'insistai de telle façon, que nous nous retirâmes des premiers.

Trois jours après, M. de Monsoreau se présenta à Méridor; je l'aperçus de loin dans l'avenue du château, et je me retirai dans ma chambre.

J'avais peur que mon père ne me fit appeler; mais il n'en fut rien. Au bout d'une demi-heure, je vis sortir M. de Monsoreau, sans que personne m'eût prévenue de sa visite. Il y eut plus, mon père ne m'en parla point; seulement, je crus remarquer qu'après cette visite du sous-gouverneur il était plus sombre que d'habitude.

Quelques jours s'écoulèrent encore. Je revenais de faire une promenade dans les environs, lorsqu'on me dit en rentrant que M. de Monsoreau était avec mon père. Le baron avait demandé deux ou trois fois de mes nouvelles, et deux autres fois aussi s'était informé avec inquiétude du lieu où je pouvais être allée. Il avait donné ordre qu'on le prévînt de mon retour.

En effet, à peine étais-je rentrée dans ma chambre, que mon père accourut.

– Mon enfant, me dit-il, un motif dont il est inutile que tu connaisses la cause me force à me séparer de toi pendant quelques jours; ne m'interroge pas, seulement songe que ce motif doit être bien urgent puisqu'il me détermine à être une semaine, quinze jours, un mois peut-être sans te voir.

Je frissonnai, quoique je ne pusse deviner à quel danger j'étais exposée. Mais cette double visite de M. de Monsoreau ne me présageait rien de bon.

– Et où dois-je aller, mon père? demandai-je.

– Au château de Lude, chez ma sœur, où tu resteras cachée à tous les yeux. Quant à ton arrivée, on veillera à ce qu'elle ait lieu pendant la nuit.

– Ne m'accompagnez-vous pas?

– Non, je dois rester ici pour détourner les soupçons; les gens de la maison eux-mêmes ignoreront où tu vas.

– Mais qui me conduira donc?

– Deux hommes dont je suis sûr.

– O mon Dieu! mon père!

Le baron m'embrassa.

– Mon enfant, dit-il, il le faut.

Je connaissais tellement l'amour de mon père pour moi, que je n'insistai pas davantage, et ne lui demandai point d'autre explication. Il fut convenu seulement que Gertrude, la fille de ma nourrice, m'accompagnerait.

Mon père me quitta en me disant de me tenir prête.