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– Passez au salon, monsieur; madame va venir vous y rejoindre.

Puis il entendit encore le bruit d'une porte qui se refermait.

Bussy alors pensa aux douze marches qu'avait comptées Remy; il compta douze marches à son tour, et se trouva sur le palier.

Il se rappela le corridor et les trois portes, fit quelques pas en retenant sa respiration et en étendant la main devant lui. Une première porte se trouva sous sa main, c'était celle par laquelle l'inconnu était entré; il poursuivit son chemin, en trouva une seconde, chercha, sentit une seconde clef, et, tout frissonnant des pieds à la tête, il fit tourner cette clef dans la serrure et poussa la porte.

La chambre dans laquelle se trouva Bussy était complètement obscure, moins la portion de cette chambre qui recevait, par une porte latérale, un reflet de lumières du salon.

Ce reflet portait sur une fenêtre, tendue de deux rideaux de tapisserie, qui firent passer un nouveau frisson de joie dans le cœur du jeune homme.

Ses yeux se portèrent sur la partie du plafond éclairée par cette même lumière, et il reconnut le plafond mythologique qu'il avait déjà remarqué; il étendit la main et sentit le lit sculpté.

Il n'y avait plus de doute pour lui; il se retrouvait dans cette chambre où il s'était réveillé, pendant cette nuit où il avait reçu la blessure qui lui avait valu l'hospitalité.

Ce fut un bien autre frisson encore qui passa par les veines de Bussy lorsqu'il toucha ce lit, et qu'il se sentit tout enveloppé de ce délicieux parfum qui s'échappe de la couche d'une femme jeune et belle.

Bussy s'enveloppa dans les rideaux du lit et écouta.

On entendait dans la chambre à côté le pas impatient de l'inconnu; de temps en temps il s'arrêtait, murmurant entre ses dents:

– Eh bien, viendra-t-elle?

À la suite de l'une de ces interpellations, une porte s'ouvrit dans le salon; la porte semblait parallèle à celle qui était déjà entr'ouverte. Le tapis frémit sous la pression d'un petit pied; le frôlement d'une robe de soie arriva jusqu'à l'oreille de Bussy, et le jeune homme entendit une voix de femme empreinte à la fois de crainte et de dédain, qui disait:

– Me voici, monsieur, que me voulez-vous encore?

– Oh! oh! pensa Bussy en s'abritant sous son rideau, si cet homme est l'amant, je félicite fort le mari.

– Madame, dit l'homme à qui l'on faisait cette froide réception, j'ai l'honneur de vous prévenir que, forcé de partir demain matin pour Fontainebleau, je viens passer cette nuit près de vous.

– M'apportez-vous des nouvelles de mon père? demanda la même voix de femme.

– Madame, écoutez-moi.

– Monsieur, vous savez ce qui a été convenu hier, quand j'ai consenti à devenir votre femme, c'est qu'avant toutes choses, ou mon père viendrait à Paris, ou j'irais retrouver mon père.

– Madame, aussitôt après mon retour de Fontainebleau, nous partirons, je vous en donne ma parole d'honneur; mais, en attendant…

– Oh! monsieur, ne fermez pas cette porte, c'est inutile, je ne passerai pas une nuit, pas une seule nuit sous le même toit que vous, que je ne sois rassurée sur le sort de mon père.

Et la femme qui parlait d'une façon si ferme souffla dans un petit sifflet d'argent qui rendit un son aigu et prolongé.

C'était la manière dont on appelait les domestiques à cette époque où les sonnettes n'étaient point encore inventées.

Au même instant la porte par laquelle était entré Bussy s'ouvrit de nouveau et donna passage à la suivante de la jeune femme; c'était une grande et vigoureuse fille de l'Anjou, qui paraissait attendre cet appel de sa maîtresse et qui, l'ayant entendu, se hâtait d'accourir.

Elle entra dans le salon, et, en entrant, elle ouvrit la porte.

Un jet de lumière pénétra alors dans la chambre où était Bussy, et entre les deux fenêtres il reconnut le portrait.

– Gertrude, dit la dame, vous ne vous coucherez point, et vous vous tiendrez toujours à la portée de ma voix.

La femme de chambre se retira, sans répondre, par le même chemin qu'elle était venue, laissant la porte du salon toute grande ouverte, et par conséquent le merveilleux portrait éclairé.

Pour Bussy, il n'y avait plus de doute; ce portrait, c'était bien celui qu'il avait vu.

Il s'approcha doucement pour coller son œil à l'ouverture que l'épaisseur des gonds laissait entre la porte et la muraille; mais si doucement qu'il marchât, au moment où son regard pénétrait dans la chambre, le parquet cria sous son pied.

À ce bruit, la femme se retourna; c'était l'original du portrait, c'était la fée du rêve.

L'homme, quoiqu'il n'eût rien entendu, en la voyant se retourner, se retourna aussi.

C'était le seigneur de Monsoreau.

– Ah! dit Bussy, la haquenée blanche… la femme enlevée… Je vais sans doute entendre quelque terrible histoire.

Et il essuya son visage, qui spontanément venait de se couvrir de sueur.

Bussy, nous l'avons dit, les voyait tous deux, elle pâle, debout et dédaigneuse.

Lui, assis, non moins pâle, mais livide, agitait son pied impatient et se mordait la main.

– Madame, dit enfin le seigneur de Monsoreau, n'espérez pas continuer longtemps avec moi ce rôle de femme persécutée et victime; vous êtes à Paris, vous êtes dans ma maison; et, de plus, vous êtes maintenant la comtesse de Monsoreau, c'est-à-dire ma femme.

– Si je suis votre femme, pourquoi refuser de me conduire à mon père? pourquoi continuer de me cacher aux yeux du monde?

– Vous avez oublié le duc d'Anjou, madame.

– Vous m'avez affirmé qu'une fois votre femme je n'avais plus rien à craindre de lui.

– C'est-à-dire…

– Vous m'avez affirmé cela.

– Mais encore, madame, faut-il que je prenne quelques précautions.

– Eh bien, monsieur, prenez ces précautions, et revenez me voir quand elles seront prises.

– Diane, dit le comte, au cœur duquel la colère montait visiblement, Diane, ne faites pas un jeu de ce lien sacré du mariage. C'est un conseil que je veux bien vous donner.

– Faites, monsieur, que je n'aie plus de défiance dans le mari, et je respecterai le mariage.

– Il me semblait cependant avoir, par la manière dont j'ai agi envers vous, mérité toute votre confiance.

– Monsieur, je pense que, dans toute cette affaire, mon intérêt ne vous a pas seul guidé, ou que, s'il en est ainsi, le hasard vous a bien servi.