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Habituée semble-t-il aux dérapages, Tamara ne broncha pas. Après avoir mesuré son pouls, c’est-àdire constaté son décès, elle se mit méthodiquement à ranger les dégâts le plus vite possible. Elle nous ordonna de déposer le cadavre de la retraitée au bas de son escalier gréco-romain. Puis nous sommes sortis sur la pointe des pieds de cette villa sordide, non sans détruire la caméra de surveillance avec les cailloux du jardin.

— Tu crois que la vidéo enregistre?

— Non, c’est juste un interphone.

— De toute façon, même s’il y avait une trace, personne ne nous connaît ici.

Cette dernière phrase fit beaucoup rire les vigiles de garde qui passaient en revue les différents moniteurs de sécurité (l’un d’entre eux, un Haïtien, parlait couramment français); ils s’amusèrent moins quand ils s’aperçurent que Mme Ward avait succombé à l’agression et qu’il leur faudrait effectuer un rapport au Miami Police Department.

C’est à partir de là que j’ai cessé de réfléchir. Le quartier était désert. Charlie avait repris ses esprits. Il est tombé d’accord avec Tamara:

— Il était vraiment trop pourave son canapé.

Nous avons terminé la soirée au Club Madonna, une boîte de strip-tease où les danseuses en string, parfaitement refaites (on pourrait créer un mot-valise pour ces cyberfemmes: «parefaites»), viennent chercher avec leur bouche les billets de dix dollars que vous coincez dans votre braguette. Nous avons acclamé des seins incroyables mais pas vrais.

— C’est toujours comme ça avec les femmes, a dit Charlie, soit elles nous frustrent, soit elles nous dégoûtent.

Piquée dans son orgueil de professionnelle, Tamara nous a ensuite gratifiés d’un show magnifique, debout sur le bar, suçant le goulot de sa Corona, durcissant ses tétons avec les glaçons de ma vodka, jusqu’à ce qu’on nous flanque à la porte pour concurrence déloyale. Puis nous nous sommes endormis tous les trois devant la TV «pay per view» de l’hôtel qui diffusait un excellent porno avec, notamment, un double fist anal, chose que j’ignorais techniquement possible, et je dois confesser que les cris de l’actrice me firent venir dans mon pantalon.

Le lendemain, comme nous reprenions l’avion pour rentrer à Paris (toujours en Business à un demieurobâton le siège, au menu «nid de pâtes de sarrasin garni de caviar osciètre relevé d’un cordon de jus de tomate crue»), Charlie m’a dit qu’il acceptait la nomination au poste de DC. J’ai prié pour que l’avion s’écrase mais, comme d’habitude, il n’en a rien fait. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé, en une journée, à la fois patron d’agence et complice de meurtre.

7

De retour à Paris, nous trouvâmes sur nos ordinateurs cette circulaire e-mailée à tous les employés de Rosserys & Witchcraft Monde (probablement rédigée par un logiciel de traduction automatique):

Chers amis du groupe Rosserys & Witchcraft,

L’une de mes obligations principales envers nos clients, nos actionnaires et chacun d’entre vous est d’indiquer le futur de Rosserys & Witchcraft. Ces dernières années, nous avons tous eu la chance de bénéficier d’une qualité de managers exceptionnelle. Un groupe d’individus de talent qui nous a permis d’atteindre nos objectifs en tant que spécialistes du marketing global et intégré tout en transformant notre groupe en un leader communicationnel de premier plan. Aujourd’hui je reconnais leur importance dans notre succès et je prépare le terrain pour la vitalité de Rosserys & Witchcraft dans le prochain millénaire.

C’est avec une grande satisfaction et fierté que je vous annonce la nomination de Jean-François Parcot au poste de Président-Directeur Général de Rosserys Paris. Philippe Enjevin est promu au poste de Président Europe avec le titre de Chairman Emeritus. Ces nominations sont effectives immédiatement. En tant que Chairman Emeritus. Philippe pourra passer plus de temps à faire ce qu’il aime — travailler activement à apporter sur le marché une qualité supérieure de communication intégrée aux résultats globaux.

Le nouveau poste de Jean-François lui permettra de se concentrer sur ce qu’il fait le mieux — travailler avec nous à élever la qualité et la nouveauté stratégique que nous apportons dans notre souci de croissance internationale. Jean-François a su revitaliser le budget Madone depuis 1992 avec son sens du dynamisme et sa puissance de travail.

Je tiens à remercier ici personnellement Philippe pour son immense réussite à la tête de notre filiale française. Aucun doute qu’il saura faire profiter le réseau européen de sa connaissance du terrain et de notre portefeuille de clientèle.

Jean-François a tenu à renouveler la direction de création française en nommant Octave Parango et Charlie Nagoud à la place de Marc Marronnier, dont la disparition tragique a choqué tous les amis et collègues. Il vous informera des autres changements de l’organigramme. Je tiens ici à dire à la famille de Marc combien son sens exceptionnel de l’intuition conceptuelle et des opportunités créatives a enrichi l’histoire de l’agence ainsi que l’évolution de la communication globale.

J’aiderai bien sûr Jean-François, Octave et Charlie dans toute la mesure de nos moyens et je sais que vous en ferez de même.

Lorsque je regarde le futur de Rosserys & Witchcraft, je le fais avec fierté et une extrême confiance. Le leadership de R amp;W au 21e siècle se maintiendra tout simplement au top niveau du business.

Avec mes sentiments ravissants,

Edward S. Farringer Jr

Cet enfoiré de Charlie avait répondu oui, en nos deux noms, une semaine avant le tournage. Je n’avais qu’à signer quelques papiers. Je me suis dit qu’en acceptant, j’aurais peut-être le pouvoir de changer quelque chose. C’était faux: on ne donne jamais le pouvoir à ceux qui risquent de s’en servir. D’ailleurs quel pouvoir? Le pouvoir est une invention révolue. Les pouvoirs d’aujourd’hui sont si multiples et dilués que le système en est devenu impuissant. Et nous qui répétions sans arrêt notre credo gramsciste: «Pour détourner un avion, il faut commencer par monter dedans». Quelle ironie du sort! A présent que nous entrions dans le cockpit, nos grenades à la main, et que nous nous apprêtions à donner des ordres au pilote sous la menace de nos mitraillettes, nous découvrions qu’il n’y avait pas de pilote. Nous voulions détourner un avion que personne ne savait conduire.

IL FAUT BIEN QUE QUELQU’UN PAIE:

RENDEZ-VOUS APRÈS CE MESSAGE

LA SCÈNE SE DÉROULE AU CARROUSEL DU LOUVRE. UN GRAND DÉFILÉ DE MODE SE PRÉPARE. LA FOULE SE PRESSE DEVANT L’ENTRÉE GARDÉE PAR DE JOLIS GARÇONS DU LYCÉE JANSON-DE-SAILLY EN CRAVATES ROUGES. NOUS PÉNÉTRONS A L’INTÉRIEUR DE LA SALLE, PLEINE A CRAQUER DE TOUS LES VIP‘s DE LA TERRE.

LA LUMIERE S ’ÉTEINT. LA FOULE DES INVITÉS MURMURE UN «AAAH» DE CONTENTEMENT. SUR LE PODIUM DÉFILENT DES FILLES ENTIÈREMENT NUES A U SON D ‘ UNE MUSIQUE TECHNO-DIRTY-METAL-HARD-ACID-HOUSE.

LES INVITÉS S’EXTASIENT DEVANT CES SUBLIMES MANNEQUINS DÉNUÉS DE VÊTEMENTS: SEINS MAJESTUEUX, FESSES REBONDIES, JAMBES INTERMINABLES, PUBIS RATIBOISÉ EN FORME DE RECTANGLE. SOUDAIN ELLES S’ARRÊTENT AU MILIEU DU CATWALK, GLISSENT LEURS MAINS MANUCURÉES SOUS LEURS AISSELLES ET Y TROUVENT UNE FERMETURE ÉCLAIR! ELLES DÉZIPENT ALORS LEURS PEAUX SATINÉES, SE DÉBARRASSENT DE LEURS ÉPIDERMES COMME ON RETIRE UNE COMBINAISON DE PLONGÉE. DANS LE PUBLIC, UNE VIEILLE DUCHESSE S’ÉVANOUIT UN BARBU PORTANT DES LUNETTES DE SOLEIL ÉJACULE SUR LE VESTON DE SON VOISIN DE DEVANT. UNE JEUNE FILLE DE DOUZE ANS SUCE UNE GLACE EN FORME DE PHALLUS EN SE CARESSANT L’ENTREJAMBE.

SOUS LEURS PEAUX ARTIFICIELLES, LES TOPS SONT EN MÉTAL. DES CYBORGS D’ACIER TREMPÉ, DES ANDROÏDES MIROITANTS. L’UNE DES FILLES EST RECOUVERTE DE COUPURES DE CENT EUROS. UNE AUTRE SE MET A CRACHER DES PIÈCES DE MONNAIE. UNE TROISIÈME JETTE UNE PLUIE DE CARTES DE CRÉDIT COMME AUTANT DE CONFETTIS. CE SONT DE VÉRITABLES TIRELIRES ROBOTIQUES (D’AILLEURS UN DES MODÈLES SORT DES BILLETS DE SON SEXE MÉTALLIQUE COMME D’UN DISTRIBUTEUR AUTOMATIQUE).