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232. ENCYCLOPEDIE

SYNDROME DE BAMBI: Aimer est parfois aussi périlleux que haïr. Dans les parcs naturels d'Europe et d'Amérique du Nord, le visiteur rencontre souvent des faons. Ces animaux semblent isolés et solitaires même si leur mère n'est pas loin. Attendri, heureux de s'approcher d'un animal peu farouche aux allures de grande peluche, le promeneur est tenté de caresser l'animal. Le geste n'a rien d'agressif, au contraire, c'est la douceur de l'animal qui entraîne ce mouvement de tendresse humaine. Or, cet attouchement constitue un geste mortel. Durant les premières semaines, en effet, la mère ne reconnaît son petit qu'à son odeur. Le contact humain, si affectueux soit-il, va imprégner le faon d'effluves humains. Ces émanations pol luantes, même infimes, détruisent la carte d'identité olfactive du faon qui sera aussitôt abandonné par l'ensemble de sa famille. Aucune biche ne l'acceptera plus et le faon sera automatiquement condamné à mourir de faim. On nomme cette caresse assassine «syndrome de Bambi» ou encore «syndrome de Walt Disney».

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

233. SEUL PARMI LES ARBRES

Le commissaire Maximilien Linart ne voulait pas en voir plus, il rentra précipitamment chez lui.

Il lança son chapeau sur le portemanteau, ôta sa veste, claqua très fort la porte. Sa famille accourut.

Son épouse Scynthia et sa fille Marguerite l'insupportaient au plus haut point. Ne comprenaient-elles donc rien à ce qui se passait? Ne saisissaient-elles pas les immenses enjeux de ce procès?

Dans le salon, sa fille était à nouveau devant la télévision.

La 622e chaîne diffusait la célèbre émission de divertissement «Piège à réflexion». Une fois de plus, l'animateur énonçait l'énigme du jour: «Il apparaît au début de la nuit, à la fin du matin, deux fois dans l'année et on le distingue très bien en regardant la lune.»

La solution lui sauta à l'esprit. Il s'agissait de la lettre N. Au début de la nuit, à la fin du matin, deux fois dans le mot année et on l'apercevait dans le mot lune. Ça ne pouvait être que ça.

Il sourit. Il avait retrouvé son aptitude à réfléchir vite et bien. Toutes les énigmes ne lui résisteraient pas indéfiniment. Un signe lui était envoyé.

Deux mains fraîches se posèrent sur ses yeux.

– Devine qui c'est?

Il se dégagea rudement. Sa femme le dévisagea, surprise.

– Que se passe-t-il, mon chéri, qu'est-ce qui ne va pas? Tu es surmené?

– Non. Lucide. Parfaitement lucide. Je gaspille mon temps avec vous. J'ai des choses essentielles à accomplir non seulement pour moi, mais pour tout le monde.

– Mais, mon chéri…, reprit Scynthia en le regardant d'un air inquiet.

Il se leva et d'une voix forte ne prononça qu'un mot:

– Dehors!

Il lui indiqua la porte et son regard était injecté de sang.

– Eh bien, si tu le prends comme ça…, finit-elle par dire, craintive.

Maximilien avait déjà claqué la porte de son bureau et s'était enfermé avec Mac Yavel. Avec des paramètres particuliers, il lança son jeu Évolution. Il voulait voir ce que donnerait une civilisation fourmi bénéficiant des technologies humaines.

Il avança à toute vitesse, de plus en plus captivé.

Il entendit au loin la porte du pavillon s'ouvrir et se fermer et, de son mouchoir à carreaux, il s'essuya le front. Ouf, il était enfin délivré de ces deux enquiquineuses. Les ordinateurs avaient bien de la chance, eux, de ne pas avoir de femelles.

Mac Yavel continuait à faire évoluer le jeu. En vingt minutes, il parcourut un millénaire de civilisation fourmi riche du savoir humain. C'était encore plus terrifiant que le policier ne l'avait imaginé.

Il n'allait pas continuer à se comporter en simple observateur. Il était décidé à passer à l'action, quel que soit le prix à payer.

Il se mit aussitôt au travail.

234. SOLEIL PARADOXAL

Profitant d'un instant de calme avant la reprise de l'audience, Princesse 103e et Prince 24e décident de tenter un accouplement dans l'aquarium. Depuis le début de l'audience, l'intensité des projecteurs de la télévision fait bouillir leurs hormones sexuelles tel un soleil printanier.

Cette lumière, cette chaleur, c'est quand même très excitant pour deux sexués.

Il n'est pas simple de se livrer à l'accouplement dans ce lieu clos mais, encouragée par toutes les fourmis présentes, Princesse 103e s'élance et commence à dessiner des cercles entre les parois de sa prison de verre.

À son tour, Prince 24e s'envole à sa poursuite.

Évidemment, c'est moins romantique que de faire ça dans le ciel, sous les arbres parmi les effluves forestiers, mais les deux insectes sont convaincus que, désormais, tout est fini pour eux. S'ils ne font pas l'amour ici et maintenant, jamais ils ne sauront de quoi il s'agit.

Prince 24e volette derrière Princesse 103e. Elle vole trop vite et il ne parvient pas à la rattraper. Il est obligé de lui demander de ralentir.

Enfin, il est sur elle, il s'arrime à l'arrière de son corps et se cambre pour arriver à s'emboîter. Exercice de haute voltige. Ce n'est pas facile. Toute à son souci de l'emboîtage, Princesse 103e oublie de se préoccuper de son vol et percute une paroi transparente. Sous le choc, Prince 24e se désincruste et doit repartir à l'assaut de sa belle.

Princesse 103e s'était moquée des parades nuptiales compliquées des Doigts, mais à cet instant elle aurait préféré se comporter comme eux et se rouler au sol. C'est plus simple que de chercher à créer une jonction entre deux minuscules appendices, en plein vol qui plus est.

À la troisième tentative, Prince 24e, passablement fatigué, arrive enfin à emboîter Princesse 103e. Il se produit alors en eux quelque chose de très nouveau, de très intense. D'autant plus intense qu'il s'agit de deux sexués ayant acquis cette distinction par des moyens artificiels. Leurs antennes se joignent comme s'ils opéraient une fois de plus une C.A. La communion des esprits s'ajoute à celle des corps.

Des images psychédéliques se projettent simultanément dans leurs cerveaux minuscules.

Pour éviter de percuter de nouveau les parois de l'aquarium, Princesse 103e, qui dirige le vol, effectue de tout petits cercles concentriques au centre de leur prison, à quelques centimètres à peine du plafond de Plexiglas percé de trous.

Les images psychédéliques se font plus nettes. C'est 103 e qui les émet, elle qui a encore en mémoire les grands moments romantiques du film Autant en emporte le vent.

A cet instant, pour les deux insectes, l'amour s'exprime plus clairement à travers les images de l'espèce doig-tesque qu'à travers celles de leur propre culture. Chez les Belokaniennes, il y a certes beaucoup de mythologies mais aucune qui ressemble à Autant en emporte le vent. Pour le monde myrmécéen, l'amour n'est lié qu'à la fonction de reproduction. Jamais, avant d'avoir vu le film des Doigts, 103e n'avait pensé à considérer l'amour comme une émotion particulière, indépendante de la fonction procréatrice.

En bas, les autres fourmis les regardent tourner avec admiration. Elles comprennent qu'il se passe quelque chose de différent. 10e note sur une «phéromone mythologique» ce que lui inspire ce moment de pure poésie romantique.

Soudain, là-haut, tout se complique. Prince 24e a un malaise. Ses antennes s'agitent curieusement. Son cœur bat de plus en plus fort. Une immense vague rouge de plaisir pur et de douleur intense le submerge comme un raz de marée. Il a l'impression que tout se détraque dans son cœur, qui, hors de contrôle, bat la chamade.

Pan…pan, pan, pan, pan, pan…pan!

Pan, pan, pan!

Le juge frappa plusieurs petits coups secs sur son pupitre pour avertir l'assistance que l'audience reprenait.