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Son esprit, d’ailleurs, était simple comme deux et deux font quatre, et un rire sonore lui tenait lieu de pensée.

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Fière par instinct de sa beauté, elle avait en horreur les voiles les plus légers; et elle circulait, courait, gambadait dans ma maison avec une impudeur inconsciente et hardie. Quand elle était enfin repue d’amour, épuisée de cris et de mouvements, elle dormait à mes côtés sur le divan, d’un sommeil fort et paisible; tandis que l’accablante chaleur faisait pointer sur sa peau brunie de minuscules gouttes de sueur, dégageait d’elle, de ses bras relevés sous sa tête, de tous ses replis secrets, cette odeur fauve qui plaît aux mâles.

Quelquefois elle revenait le soir, son mari étant de service je ne sais où. Nous nous étendions alors sur la terre, à peine enveloppés en de fins et flottants tissus d’Orient.

Quand la grande lune illuminante des pays chauds s’étalait en plein dans le ciel, éclairant la ville et le golfe avec son cadre arrondi de montagnes, nous apercevions alors sur toutes les autres terrasses comme une armée de silencieux fantômes étendus qui parfois se levaient, changeaient de place, et se recouchaient sous la tiédeur langoureuse du ciel apaisé.

Malgré l’éclat de ces soirées d’Afrique, Marroca s’obstinait à se mettre nue encore sous les clairs rayons de la lune; elle ne s’inquiétait guère de tous ceux qui nous pouvaient voir, et souvent elle poussait par la nuit, malgré mes craintes et mes prières, de longs cris vibrants, qui faisaient au loin hurler les chiens.

Comme je sommeillais le soir, sous le large firmament tout barbouillé d’étoiles, elle vint s’agenouiller sur mon tapis, et approchant de ma bouche ses grandes lèvres retournées:

«Il faut, dit-elle, que tu viennes dormir chez moi.»

Je ne comprenais pas.

«Comment, chez toi?

– Oui, quand mon mari sera parti, tu viendras dormir à sa place.»

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Je ne pus m’empêcher de rire:

«Pourquoi ça, puisque tu viens ici?»

Elle reprit, en me parlant dans la bouche, me jetant son haleine chaude au fond de la gorge, mouillant ma moustache de son souffle: «C’est pour me faire un souvenir.» – Et l’r de souvenir traîna longtemps avec un fracas de torrent sur des roches.

Je ne saisissais point son idée. Elle passa ses mains à mon cou.

«Quand tu ne seras plus là, j’y penserai. Et quand j’embrasserai mon mari, il me semblera que ce sera toi.»

Et les rrrai et les rrra prenaient en sa voix des grondements de tonnerres familiers.

Je murmurai, attendri et très égayé:

«Mais tu es folle. J’aime mieux rester chez moi.»

Je n’ai, en effet, aucun goût pour les rendez-vous sous un toit conjugal; ce sont là des souricières où sont toujours pris les imbéciles. Mais elle me pria, me supplia, pleura même, ajoutant: «Tu verras comme je t’aimerai.» T’aimerrrai retentissait à la façon d’un roulement de tambour battant la charge.

Son désir me semblait tellement singulier que je ne me l’expliquais point; puis, en y songeant, je crus démêler quelque haine profonde contre son mari, une de ces vengeances secrètes de femme qui trompe avec délices l’homme abhorré, et le veut encore tromper chez lui, dans ses meubles, dans ses draps.

Je lui dis:

«Ton mari est très méchant pour toi?»

Elle prit un air fâché.

«Oh! non, très bon.

– Mais tu ne l’aimes pas, toi?»

Elle me fixa avec ses larges yeux étonnés.

«Si, je l’aime beaucoup, au contraire, beaucoup, beaucoup, mais pas tant que toi, mon cœurrr.»

Je ne comprenais plus du tout, et comme je cherchais à deviner, elle appuya sur ma bouche une de ces caresses dont elle connaissait le pouvoir, puis elle murmura:

«Tu viendras, dis?»

Je résistai cependant. Alors elle s’habilla tout de suite et s’en alla.

Elle fut huit jours sans se montrer. Le neuvième jour elle reparut, s’arrêta gravement sur le seuil de ma chambre et demanda:

«Viendras-tu ce soir dorrrmirrr chez moi? Si tu ne viens pas, je m’en vais.»

Huit jours, c’est long, mon ami, et, en Afrique, ces huit jours-là valaient bien un mois. Je criai: «Oui» et j’ouvris les bras. Elle s’y jeta.

Elle m’attendit, à la nuit, dans une rue voisine, et me guida.

Ils habitaient près du port une petite maison basse.

Je traversai d’abord une cuisine où le ménage prenait ses repas, et je pénétrai dans la chambre blanchie à la chaux, propre, avec des photographies de parents le long des murs et des fleurs de papier sous des globes. Marroca semblait folle de joie; elle sautait, répétant: «Te voilà chez nous, te voilà chez toi.»

J’agis, en effet, comme chez moi.

J’étais un peu gêné, je l’avoue, même inquiet. Comme j’hésitais, dans cette demeure inconnue, à me séparer de certain vêtement sans lequel un homme surpris devient aussi gauche que ridicule, et incapable de toute action, elle me l’arracha de force et l’emporta dans la pièce voisine, avec toutes mes autres hardes.

Je repris enfin mon assurance et je lui prouvai de tout mon pouvoir, si bien qu’au bout de deux heures nous ne songions guère au repos, quand des coups violents frappés soudain contre la porte nous firent tressaillir; et une voix forte d’homme cria: «Marroca, c’est moi.»

Elle fit un bond: «Mon mari! Vite, cache-toi sous le lit.» Je cherchais éperdument mon pantalon; mais elle me poussa, haletante: «Va donc, va donc.»

Je m’étendis à plat ventre et me glissai sans murmurer sous ce lit, sur lequel j’étais si bien.

Alors elle passa dans la cuisine. Je l’entendis ouvrir une armoire, la fermer, puis elle revint, apportant un objet que je n’aperçus pas, mais qu’elle posa vivement quelque part; et, comme son mari perdait patience, elle répondit d’une voix forte et calme: «Je ne trrrouve pas allumettes»; puis soudain: «Les voilà, je t’ouvrrre.» Et elle ouvrit.

L’homme entra. Je ne vis que ses pieds, des pieds énormes. Si le reste se trouvait en proportion, il devait être un colosse.

J’entendis des baisers, une tape sur de la chair nue, un rire; puis il dit avec un accent marseillais: «Zé oublié ma bourse, té, il a fallu revenir. Autrement, je crois que tu dormais de bon cœur.» Il alla vers la commode, chercha longtemps ce qu’il lui fallait; puis Marroca s’étant étendue sur le lit comme accablée de fatigue, il revient à elle, et sans doute il essayait de la caresser, car elle lui envoya, en phrases irritées, une mitraille d’r furieux.