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Un jour qu'ils étaient allés tous les deux à la campagne, Jacques aperçut un arbre dont le feuillage était jaunissant. Il regarda tristement Francine qui marchait lentement et un peu rêveuse.

Francine vit Jacques pâlir, et elle devina la cause de sa pâleur.

– Tu es bête, va, lui dit-elle en l'embrassant, nous ne sommes qu'en juillet; jusqu'à octobre, il y a trois mois; en nous aimant nuit et jour, comme nous faisons, nous doublerons le temps que nous avons à passer ensemble. Et puis, d'ailleurs, si je me sens plus mal aux feuilles jaunes, nous irons demeurer dans un bois de sapins: les feuilles sont toujours vertes.

Au mois d'octobre, Francine fut forcée de rester au lit. L'ami de Jacques la soignait… La petite chambrette où ils logeaient était située tout au haut de la maison et donnait sur une cour où s'élevait un arbre, qui chaque jour se dépouillait davantage. Jacques avait mis un rideau à la fenêtre pour cacher cet arbre à la malade: mais Francine exigea qu'on retirât le rideau.

– Ô mon ami, disait-elle à Jacques, je te donnerai cent fois plus de baisers qu'il n'a de feuilles… Et elle ajoutait: je vais beaucoup mieux, d'ailleurs… Je vais sortir bientôt; mais comme il fera froid, et que je ne veux pas avoir les mains rouges, tu m'achèteras un manchon. Pendant toute la maladie, ce manchon fut son rêve unique.

La veille de la toussaint, voyant Jacques plus désolé que jamais, elle voulut lui donner du courage; et, pour lui prouver qu'elle allait mieux, elle se leva. Le médecin arriva au même instant, il la fit recoucher de force.

– Jacques, dit-il à l'oreille de l'artiste, du courage! Tout est fini, Francine va mourir.

Jacques fondit en larmes.

– Tu peux lui donner tout ce qu'elle demandera maintenant, continua le médecin: il n'y a plus d'espoir.

Francine entendit des yeux ce que le médecin avait dit à son amant.

– Ne l'écoute pas, s'écria-t-elle en étendant les bras vers Jacques, ne l'écoute pas, il ment. Nous sortirons ensemble demain… c'est la toussaint; il fera froid, va m'acheter un manchon… je t'en prie, j'ai peur des engelures pour cet hiver.

Jacques allait sortir avec son ami, mais Francine retint le médecin auprès d'elle.

– Va chercher mon manchon, dit-elle à Jacques; prends-le beau, qu'il dure longtemps.

Et quand elle fut seule elle dit au médecin:

– Oh! Monsieur, je vais mourir, et je le sais… Mais avant de m'en aller, trouvez-moi quelque chose qui me donne des forces pour une nuit, je vous en prie; rendez-moi belle pour une nuit encore, et que je meure après, puisque le bon Dieu ne veut pas que je vive plus longtemps…

Comme le médecin la consolait de son mieux, un vent de bise secoua dans la chambre et jeta sur le lit de la malade une feuille jaune, arrachée à l'arbre de la petite cour.

Francine ouvrit le rideau et vit l'arbre dépouillé complétement.

– C'est la dernière, dit-elle en mettant la feuille sous son oreiller.

– Vous ne mourrez que demain, lui dit le médecin, vous chez une nuit à vous.

– Ah! Quel bonheur! fit la jeune fille… une nuit d'hiver… elle sera longue.

Jacques rentra; il apportait un manchon.

– Il est bien joli, dit Francine; je le mettrai pour sortir.

Elle passa la nuit avec Jacques.

Le lendemain, jour de la toussaint, à l'angelus de midi, elle fut prise par l'agonie et tout son corps se mit à trembler.

– J'ai froid aux mains, murmura-t-elle; donne-moi mon manchon.

Et elle plongea ses pauvres mains dans la fourrure…

– C'est fini, dit le médecin à Jacques; va l'embrasser.

Jacques colla ses lèvres à celle de son amie. Au dernier moment, on voulait lui retirer le manchon, mais elle y cramponna ses mains.

– Non, non, dit-elle; laissez-le-moi: nous sommes dans l'hiver; il fait froid. Ah! Mon pauvre Jacques… ah! Mon pauvre Jacques… qu'est-ce que tu vas devenir? Ah! mon Dieu!

Et le lendemain Jacques était seul.

Premier Lecteur.-Je le disais bien que ce n'était point gai cette histoire.

Que voulez-vous, lecteur? On ne peut pas toujours rire.

II

C'était le matin du jour de la toussaint, Francine venait de mourir.

Deux hommes veillaient au chevet: l'un, qui se tenait debout, était le médecin; l'autre, agenouillé près du lit, collait ses lèvres aux mains de la morte, et semblait vouloir les y sceller dans un baiser désespéré, c'était Jacques, l'amant de Francine. Depuis plus de six heures, il était plongé dans une douloureuse insensibilité. Un orgue de Barbarie qui passa sous les fenêtres vint l'en tirer.

Cet orgue jouait un air que Francine avait l'habitude de chanter le matin en s'éveillant.

Une de ces espérances insensées qui ne peuvent naître que dans les grands désespoirs traversa l'esprit de Jacques. Il recula d'un mois dans le passé, à l'époque où Francine n'était encore que mourante; il oublia l'heure présente, et s'imagina un moment que la trépassée n'était qu'endormie, et qu'elle allait s'éveiller tout à l'heure la bouche ouverte à son refrain matinal.

Mais les sons de l'orgue n'étaient pas encore éteints que Jacques était déjà revenu à la réalité. La bouche de Francine était éternellement close pour les chansons, et le sourire qu'y avait amené sa dernière pensée s'effaçait de ses lèvres où la mort commençait à naître.

– Du courage! Jacques, dit le médecin, qui était l'ami du sculpteur.

Jacques se releva et dit en regardant le médecin:

– C'est fini, n'est-ce pas, il n'y a plus d'espérance? Sans répondre à cette triste folie, l'ami alla fermer les rideaux du lit; et, revenant ensuite vers le sculpteur, il lui tendit la main.

– Francine est morte… dit-il, il fallait nous y attendre. Dieu sait que nous avons fait tout ce que nous avons pu pour la sauver. C'était une honnête fille, Jacques, qui t'a beaucoup aimé, plus et autrement que tu ne l'aimais toi-même; car son amour n'était fait que d'amour, tandis que le tien renfermait un alliage. Francine est morte… mais tout n'est pas fini, il faut maintenant songer à faire les démarches nécessaires pour l'enterrement. Nous nous en occuperons ensemble, et pendant notre absence nous prierons la voisine de veiller ici.

Jacques se laissa entraîner par son ami. Toute la journée ils coururent à la mairie, aux pompes funèbres, au cimetière. Comme Jacques n'avait point d'argent, le médecin engagea sa montre, une bague et quelques effets d'habillement pour subvenir aux frais du convoi, qui fut fixé au lendemain.

Ils rentrèrent tous deux fort tard le soir; la voisine força Jacques à manger un peu.

– Oui, dit-il, je le veux bien; j'ai froid, et j'ai besoin de prendre un peu de force, car j'aurai à travailler cette nuit.

La voisine et le médecin ne comprirent pas. Jacques se mit à table et mangea si précipitamment quelques bouchées qu'il faillit s'étouffer. Alors il demanda à boire. Mais en portant son verre à sa bouche, Jacques le laissa tomber à terre. Le verre qui s'était brisé avait réveillé dans l'esprit de l'artiste un souvenir qui réveillait lui-même sa douleur un instant engourdie. Le jour où Francine était venue pour la première fois chez lui, la jeune fille, qui était déjà souffrante, s'était trouvée indisposée, et Jacques lui avait donné à boire un peu d'eau sucrée dans ce verre. Plus tard, lorsqu'ils demeurèrent ensemble, ils en avaient fait une relique d'amour.

Dans les rares instants de richesse, l'artiste achetait pour son amie une ou deux bouteilles d'un vin fortifiant dont l'usage lui était prescrit, et c'était dans ce verre que Francine buvait la liqueur où sa tendresse puisait une gaieté charmante.

Jacques resta plus d'une demi-heure à regarder, sans rien dire, les morceaux épars de ce fragile et cher souvenir, et il lui semblait que son cœur aussi venait de se briser et qu'il en sentait les éclats déchirer sa poitrine. Lorsqu'il fut revenu à lui, il ramassa les débris du verre et les jeta dans un tiroir. Puis il pria la voisine d'aller lui chercher deux bougies et de faire monter un seau d'eau par le portier.