Je sens une main sur ma hanche droite, je me retourne, Olive abîmée me sourit. Elle n'est manifestement pas dans son état normal. Elle a peut-être beaucoup fumé, ou forcé sur les calmants et les anxiolytiques. Je lui offre une bière – elle n'en boit jamais, mais elle n'est plus à ça près. J'oublie les gens autour, nous discutons simplement, comme si nous nous retrouvions après un ou deux ans de séparation, sans tension et sans amertume. Je suis calme et ouvert, j'ai envie de l'embrasser, de sentir à nouveau ses lèvres molles et fraîches contre les miennes. Tant pis: je sais déjà qu'aucune pensée raisonnable ne parviendra à me retenir. Cela dit, j'ai le temps. Elle me parle, pour le moment, Ça me suffit.

Je me tourne vers la grosse horloge à néons bleus et roses, il est dix-huit heures cinquante. Dans à peine plus d'une heure, je dois être rue Monge, je dois dîner bien gentiment avec une jeune femme tremblante, lui servir du vin et la regarder dans les yeux, je dois lui parler de mon travail et de ce que j'aime dans la vie, jouer le bon garçon inoffensif pour pouvoir monter chez elle et baisser sa culotte en espérant qu'elle rougisse.

Je m'approche d'un pas vers Olive, lui passe une main dans les cheveux et l'embrasse – à cet instant, j'ai le sentiment de ne rien pouvoir faire de plus naturel. Elle ne me repousse pas.

Je me sens enfin normal. Dans la confusion du plaisir qui m'enveloppe, j'essaie de réfléchir à ce qui m'est arrivé ces derniers jours. Comment ai-je pu penser que je n'étais plus amoureux d'elle? Si j'avais cru fermement, pendant trois semaines, que j'étais un épagneul breton, je ne serais pas plus déconcerté aujourd'hui en réalisant mon erreur. Comment ai-je pu la dissocier si facilement de moi? Comment ai-je pu avoir pitié d'elle et la considérer comme une amie malheureuse, évoluant dans un autre monde que le mien et pour qui je ne pouvais pas grand-chose? Comment ai-je pu regretter d'avoir pressé sa main hier, comment ai-je pu rester si stupidement aveugle à cet unique éclair de lucidité? Je suis taré, il n'y a pas d'autre explication possible. Je suis un être primaire qui ne voit rien, qui ne comprend rien, une girouette sans cervelle dont le vent fait ce qu'il veut. Vers le nord, d'accord; vers le sud, pas de problème; vers l'ouest, pourquoi pas? Heureusement, je suis tout de même capable de me rendre compte que le vent persévérant vient de m'orienter dans la seule direction qui puisse me permettre de prendre vie. Je ne suis pas aussi bête que j'en ai l'air: j'entends le clic.

Je demande une pièce de deux francs à Thierry et téléphone à Françoise pour lui expliquer que je me suis foulé la cheville cet après-midi en voulant m'essayer au roller – les plus gros mensonges sont ceux qui passent le mieux, on l'apprend avec l'expérience, après quelques tentatives timides, petit bras, et quelques échecs humiliants. Elle glousse, sans doute pour ne pas me donner l'impression qu'elle est déçue par l'annulation d'une soirée insidieusement appétissante, elle rigole avec un peu trop de zèle, me prie de l'excuser mais c'est plus fort qu'elle, ce n'est pas drôle, bien sûr, pardon, ça doit faire mal, je suis désolée, et profitant de cette situation stratégique inattendue et favorable, je parviens à lui dire au revoir et à raccrocher en douceur avant que nous n'ayons parlé d'un éventuel report de la rencontre. Près de son téléphone, elle doit se demander si elle n'en a pas un peu trop fait dans l'insouciance forcée. Elle qui se montre si prudente et si réservée d'habitude, «Qu'est-ce que je suis gourde.»

Ma pirouette n'est certainement pas très glorieuse, mais je n'avais pas d'autre solution pour ne pas la vexer. Quant à la possibilité de passer la soirée avec une autre fille le jour où je rejoins Olive, je n'y ai pensé qu'afin de pouvoir récarter. Surtout une fille dont c'est aujourd'hui la fête du lapin. Je ne saurais dire pourquoi, mais ça me semblerait dangereux. Il ne faut pas tirer le diable par la queue, il n'attend que ça.

Sur le coup, il ne me vient pas à l'esprit que, moi, je viens de lui en poser un, de lapin. Et que le diable, grand joueur devant l'éternel et donc logiquement amateur de jeux de mots, ricane en rajoutant quelques bûches dans ses brasiers.

Olive et moi ne mangeons pas ce soir-là. Elle ne danse pas, probablement trop disloquée, je bois beaucoup, nous restons au Saxo jusqu'à minuit pour retarder le plaisir et nous donner le sentiment que nous avons tout le temps, puis nous nous dépêchons jusqu'à chez moi (pour une fois je ne suis pas à la traîne derrière elle), les quatre jeunes veilleurs de nuit ne sont pas à leur poste, tant pis pour eux, elle porte une robe rayée bleu blanc rouge et pas de culotte, je lui enfonce deux doigts dans la chatte et deux doigts dans le cul en même temps, devant la porte de l'immeuble, je compose le code d'une main trempée, elle la lèche devant les boîtes aux lettres, nous baisons une première fois dans l'escalier, entre le deuxième et le troisième étage (elle mord de toutes ses forces son sac de skaï noir pour ne pas hurler, et le déchire), puis comme j'ai réussi par miracle alcoolique à ne pas jouir et que je n'ai même pas remonté tout à fait mon pantalon, nous recommençons à peine entrés dans l'appartement, sur la table de la cuisine, violemment malgré sa fragilité évidente, couchée sur le dos entre des boîtes de conserve et des factures, elle écarte les jambes le plus largement possible, elle s'agrippe aux bords de la table, serre les dents et donne de grands coups de reins pour s'empaler, le transistor tombe par terre, puis un paquet de petits pains grillés suédois (blonds dorés) et un verre qui éclate sur le carrelage, elle semble sur le point de s'évanouir de faiblesse, elle veut que je vienne jouir dans sa bouche.

Ce corps exsangue et ce visage meurtri, ensanglanté de l'intérieur, m'attristent profondément. Mais je contourne la table de Formica, je soutiens d'une main la tête blessée d'Olive et j'éjacule sur sa langue, contre son palais, au fond de sa gorge. En reprenant mon souffle, je frotte doucement ma bite sur ses lèvres froides.

Elle reste un long moment inerte, les yeux fermés, comme morte au milieu des conserves, sous la lumière blanche et dure du plafonnier. Je la touche du bout des doigts. Sa peau a la texture et la couleur du savon.

J'ai retrouvé Olive, le corps d'Olive est posé sur la table de ma cuisine.

Je ne comprends toujours pas comment j'ai pu me passer d'elle. Pendant son séjour importun dans mon ventre, le ver solitaire et glouton devait me pomper mon matériel biologique.

Je n'éprouve plus de pitié envers elle, j'ai de la peine. Je l'aime et je la vois déjà usée, tremblante en bout de parcours. Je la vois sur le point de disparaître. Je vais essayer de l'aider, puisque de toute façon je ne peux rien faire d'autre, mais j'ai peur de ne pas pouvoir grand-chose pour elle. Elle est trop loin pour revenir, trop déstabilisée pour se raccrocher à quoi que ce soit. Mais je la connais mal, peut-être.

Plus tard dans la nuit, sur le lit, elle me dit:

– Je te donne mon cul, tu peux en faire ce que tu veux, quand tu veux.

Je la baise aussitôt, par-derrière. Tandis que mes ongles s'enfoncent dans la chair de ses hanches et que je la maintiens immobile pour mieux la prendre, je me dis que j'ai bien de la chance. Pour m'offrir ça, c'est qu'elle m'aime un peu. À partir de maintenant, ce cul est à moi, je peux en faire ce que je veux, quand je veux. Mais dès que c'est terminé et que je m'effondre comme une baleine tuberculeuse à côté d'elle, ses paroles résonnent différemment dans mon esprit détendu mais lourd. Il me semble qu'elle a dit cela comme un mourant dirait à un proche qu'il aurait appelé à son chevet: «Je te donne ma propriété en Sologne.»

Quelques instants après, elle se tourne sur le côté et se laisse entraîner par le sommeil en tenant ma bite dans sa main. Désormais, elle s'endormira ainsi toutes les nuits, accrochée à mon sexe mou. Toutes les nuits que nous passerons ensemble, jusqu'à la fin.