Depuis quelques instants, je suis fasciné par son trou du cul. Je n'entends même plus Olive crier, je ne la vois plus se tordre sur le lit, j'oublie de lui donner des claques sur les fesses et de lui tirer la tête en arrière, je plante mes ongles dans ses hanches et continue à la secouer comme un démon, en fixant son trou du cul avec des yeux qui feraient peur à un hibou.

À cause de l'absence de préliminaires – je ne sais même plus ce que le mot veut dire -, je n'ai pas pu envoyer un doigt en éclaireur, comme disent ces butors de techniciens. Mais il n'est jamais trop tard… Et au point où nous en sommes, si passionnément emboîtés l'un dans l'autre, je ne vois pas comment une sensation de malaise pourrait encore se glisser entre nous. (De plus, elle a eu l'amabilité de me confier au restaurant qu'elle aimait se faire sodomiser. Avec tout ça, il y a peu de risques que je la froisse.) Je plonge mon index dans ma bouche pour l'enduire du peu de salive qu'il me reste et lui préparer une bonne surprise. Je vais enfin prendre une initiative.

– Viens dans mes fesses.

Avec mon index dans la bouche et mes yeux immédiatement changés en boules de billard, je dois ressembler à un très mauvais acteur qui joue la stupéfaction. Mais je ne joue rien du tout. Cette fille a dix ans de moins que moi. J'ai passé dix ans de plus qu'elle à baiser, ce n'est quand même pas rien. Pourquoi ai-je l'impression persistante d'être un adolescent pataud qu'une dame de luxe déniaise gentiment? Je ne comprends pas. Est-ce la même personne, cette panthère vicieuse qui grogne «Viens dans mes fesses», que la jeune femme du restaurant, celle dont l'un des principaux problèmes est de ne jamais pouvoir prendre la moindre décision?

Je ne comprends plus rien à rien mais je laisse mon index de côté et la sodomise à sec. Ça rentre tout seul, d'un coup. Ah! Autruche Sans Mesure, tu me rends fou.

Là, elle réagit très vivement. Elle pousse des cris encore plus déchirants, entre deux elle mord le drap en secouant la tête, elle frappe le matelas avec le tibia et le dessus du pied, violemment. Je la baise dans le cul, ça rentre tout seul, ça glisse. Elle met deux doigts dans sa chatte. Je les sens contre ma queue, à travers la membrane si fine. Elle les écarte pour mieux me toucher, c'est comme si elle me branlait en même temps. Je dérive. Je lui tiens toujours les hanches, elle me demande de l'empoigner plus fort. De serrer de toutes mes forces. De lui faire mal. Je crispe les doigts, fort, ils s'enfoncent profondément dans sa chair, j'écarte ses fesses pour lui ouvrir le cul, je m'enfonce tout entier, je tape au fond d'elle, comme elle me le demande, je tape fort, j'écarte encore ses fesses, je l'éclate par-derrière, elle rugit, ça rentre tout seul, je la défonce et je la griffe en même temps – je ne parviens à maîtriser mes ongles que lorsqu'ils sont sur le point de lui déchiqueter la peau.

– Serre-moi plus fort! Serre-moi!

Je perds la tête, je lui arrache la chair, je lui triture les hanches comme de la pâte à modeler.

– Plus fort!

Je ne peux pas. Je ne peux pas, je vais la massacrer. (Dans le Luberon, couchée sur le ventre dans la chambre d'amis de son frère, le bas du dos rouge vif, elle me dit: «C'était drôle, la première fois tu étais très timide. Je ne sentais rien.») Pour donner le change, je redouble de violence dans son cul, je lui saccage le cul, je le démolis. Calme-toi, Miette, on n'est pas dans un film.

– Comme ça, oui! Fais ce que tu veux! FORT!

Je ne sais pas vraiment ce qui se passe ensuite.

Disons que je fais ce que je veux, comme elle me le demande. Et fort, je crois. Je ne m'en souviens plus. Ces instants de furie inconsciente, de liberté absolue, sont perdus à jamais. Tout ce que je sais, c'est qu'au bout d'un moment elle se met à hurler en frappant le matelas. Elle bouge comme si on la torturait, elle m'appelle:

– Viens! Viens! Jouis, maintenant!

Aussitôt je jouis.

Je jouis.

Le mot est faible.

Je jouis.

J'explose comme une petite planète frappée par un missile nucléaire.

Elle a joui.

Elle a joui aussi.

Pour un début, c'est encourageant.

(Eh bien non, en fait elle n'a pas joui, comme elle me le dit deux minutes plus tard. Dommage, mais tant pis. Ses hurlements n'étaient pas feints mais n'exprimaient qu'un plaisir intense. Quand elle jouit, j'en ai un aperçu le lendemain mais ne m'en rends réellement compte que plusieurs jours plus tard (lorsque nous commençons à nous connaître et à mieux nous accorder), quand elle jouit c'est autre chose. Je n'ai jamais rien vu ni entendu de pareil. Pour se faire une idée, il faudrait «injecter» l'intensité de la jouissance d'une femme de un mètre soixante-quinze dans le corps d'une souris et regarder ce que ça donne, en imaginant ses réactions et la puissance de ses cris de souris à l'échelle humaine. C'est ahurissant, on en reste figé. Olive est littéralement débordée par ses orgasmes.)

Je la prends dans mes bras. Nous restons ainsi longtemps, sans bouger. Je ne me force pas. Les techniciens et mon oncle n'y connaissent rien. Il faudrait plusieurs déménageurs ukrainiens équipés de sangles, de leviers, voire d'un treuil, pour me déloger de là. On parle à voix basse. Cela peut paraître singulier après une séance aussi bestiale, immorale et visqueuse, mais je suis incroyablement ému contre elle. Plus que lorsque j'ai fumé ma première cigarette, plus que lorsque j'ai vu Paris pour la première fois. Cette salope fabuleuse, cette folle imprévisible, cette jeune femme égarée me bouleverse.

Sa respiration, dans mon cou, devient plus lente et régulière. Elle dort.

Elle s'endort n'importe où, dans n'importe quelles conditions. Et pour la réveiller, bonjour. (Dans le métro new-yorkais, un soir au nord de Harlem, alors que je suis, bêtement, aussi décontracté qu'un mulot cerné par cent chats, à peine assise elle pose la tête sur mon épaule et se met à ronfler doucement, me laissant seul dans la bagarre potentielle. En revenant du Caire, l'avion d'Egypt Air (dans lequel elle dort, comme toujours) évite la catastrophe de justesse à l'atterrissage. Il rebondit trois fois, freine sans doute trop violemment, zigzague sur la piste, part presque en tête-à-queue, tous les passagers hurlent – je la secoue énergiquement dix minutes plus tard, quand il est temps de sortir de l'appareil. Mais elle est variable. Elle peut aussi passer deux nuits blanches de suite et rester fraîche comme une gamine des Vosges, ou ne dormir qu'une ou deux heures par nuit pendant un mois. Et dans ces cas-là, toujours, je me demande: est-ce bien la même personne?)

Je me détache délicatement d'elle, car je ne sais pas encore que son sommeil résiste aux chocs, je me lève et vais me faire un café dans la cuisine. Dehors, les lampadaires éclairent la rue Gauthey silencieuse, noire et orange. Mon chat Spouque vient se frotter contre ma jambe: j'ai oublié de lui donner son jambon, ce soir. J'ouvre le frigo, sors une tranche et la coupe en petits morceaux pour la déposer dans sa gamelle bleue. J'aime déchirer la chair rose.

Je bois trois ou quatre gorgées d'Oban. Dehors, une fille bourrée gueule: «J'en ai rien à branler, de tes cochons d'Inde!» Une voix sourde et lasse lui répond: «Dis pas ça, Samira…» Je verse le café dans un bol. Ça fume. Assis devant sa gamelle, concentré, le chat mâche le jambon. J'ouvre le frigo, je prends le dernier morceau de camembert. C'est froid et sec. Immobile sur le grille-pain, un cafard me regarde fixement, comme s’il reconnaissait quelqu'un, ou plutôt comme s'il n'arrivait pas à remettre un nom sur mon visage. La bouche pleine, je dis:

– Colas. Titus Colas. Lycée Jules-Ferry, à Strasbourg. Miette.

Il fronce les sourcils. Sur la cuisinière, une poêle est encore à moitié pleine, depuis quatre ou cinq jours, de riz cantonais Findus pour célibataire. Ça commence à moisir. Je souris, je me rends compte que je souris en voyant mon reflet sur la fenêtre, j'ai l'air un peu demeuré. Il faudrait que je me calme: à l'indien, elle m'a dit qu'elle baisait avec tous ceux et toutes celles qui lui plaisaient. Le bonheur conjugal, ce n'est pas encore gagné. Cent ou deux cents braves types comme moi ont dû se voir sourire dans la fenêtre de leur cuisine pendant qu'elle dormait nue sur leur lit. Mais moi, je l'aime. Eux aussi peut-être, il faudrait faire un sondage, mais ce n'est pas pareil. Ces deux cents braves types se sont probablement consolés vite fait, car c'est le genre de types à tomber amoureux tous les jours impairs, je t'en fiche mon billet. Tandis que moi, je ne peux pas me permettre de me séparer d'elle maintenant – pas plus que la porte ne peut se permettre de se séparer de la poignée, ou l'appareil photo de l'objectif, sinon c'est foutu. Sinon je vais devenir fou, souffrant, à me répéter sans cesse que quelque chose cloche (rien n'est pire). Je prends mon bol de café et retourne vers la chambre, pour me rassurer. Dehors, une alarme de voiture sonne.