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Ils laissèrent la voiture mais Hugo emporta le sac de sport avec lui.

Ils s'adossèrent tous trois à une dune et observèrent en silence le ballet des pêcheurs sur le sable, autour de leurs pieux de bois, comme une très ancienne cérémonie, vouant un culte aux trésors enfouis sous la mer.

Puis ils remontèrent jusqu'à l'auberge, prirent place dans la Fiat et entamèrent leur trajectoire fatale vers le nord.

Ça faisait quand même un sacré bout de temps qu'on n'avait pas connu pareille activité frénétique ici, au commissariat central de Faro. Koesler avait été totalement isolé des autres, et des équipes entières se relayaient pour interroger les types.

Koesler demanda illico un avocat mais dut se contenter de la présence d'Anita et de deux inspecteurs du commissariat qui l'assaillirent de questions. Malgré la petite bande magnétique où Hugo avait enregistré ses secrets, Koesler résista assez solidement, au début.

Les premiérs à lâcher furent les deux Portugais capturés dans la maison de la serra. Ils possédaient peu d'informations mais suffisamment pour impliquer les autres dans l'attaque de l'hôtel et le meurtre du dealer grec. Vers midi, un «Belge» nommé De Vlaminck fut identifié par la police néerlandaise à qui Anita avait faxé les portraits et les fausses identités. L'homme s'appelait en réalité Vaarmenck et était recherché pour divers délits. Il fréquentait Johan Markens.

La muraille commençait à céder de toutes parts.

À treize heures, Peter Spaak arriva d'Amsterdam avec des informations intéressantes de son côté et Anita put commencer à appuyer sur les bons boutons, quand elle reprit l'interrogatoire de Koesler.

– Bon, je vais faire un petit récapitulatif de ta situation et ensuite je te poserai une question et une seule et ce sera: es-tu prêt à coopérer afin de faire tomber Mme Kristensen, ou à finir de toute façon en prison en te demandant à chaque instant d'où pourrait venir le coup?

Elle le laissa méditer ça quelques secondes puis reprit:

– Tu es le seul des hommes capturés à connaître le nom de Mme Kristensen comme le démontre cette bande, tous les autres disent seulement avoir entendu parler d'une certaine Mme CristobaI. Cela signifie que tu fais partie d'une strate supérieure de l'organisation et que tes responsabilités pèseront lourdement dans la balance. Je ne reviens même pas sur les tentatives d'enlèvement, meurtres, dont celui d'un policier dans l'exercice de ses fonctions, ici au Portugal… Même avec un bon avocat auquel tu auras droit dès son arrivée, tu vas plonger pour tellement de temps que tu vas véritablement compter les années. Donc je te propose un contrat clair: la compréhension des juges, aussi bien ceux du tribunal que ceux chargés de l'application des peines. Pour cela et pour ta propre sécurité il faut que Mme Kristensen tombe…

Elle plongea ses yeux le plus froidement qu'elle put dans les yeux du tueur sud-africain.

– Je sais qu'elle se trouve sûrement pas très loin de la Casa Azul. Je veux savoir où.

L'homme réfléchissait à toute vitesse, visiblement.

– Je… Je l'ai déjà dit à votre collègue. Je ne sais rien sur cette Casa Azul. Je savais que Vondt se dirigeait vers la pointe de Sagrès, c'est tout… Il était le seul à connaître le «point de contact», ici.

– Bon, ça n'arrange pas ton cas. Deuxième question: Peter Spaak, ici présent, s'est occupé de la partie juridico-financière de notre affaire et nous aimerions connaître ta réaction à l'évocation de noms comme Golden Gate Investments, Holy Graal International Productions ou Gorgon Ltd.

L'homme resta de marbre.

– Je ne connais aucun de ces noms. Je ne m'occupais que de la sécurité de la maison et…

– Et des opérations spéciales, nous savons. Je reviendrai là-dessus dans quelques instants, en attendant nous voulons que tu nous dévoiles l'organigramme complet de l'organisation de cette chère Mme Kristensen…

Les informations que Peter Spaak avait ramenées d'Amsterdam lui permirent d'obtenir un mandat de perquisition pour la Casa Azul dès le début de l'après-midi. En revenant dans la petite pièce isolée avec les mandats, Anita fit face à Koesler:

– Je ne sais pas encore ce que nous allons trouver à la Casa Azul, mais tu as intérêt à avoir passé des aveux complets avant notre retour…

Jamais sa voix ne lui avait paru aussi dure.

Ce que Peter Spaak avait déniché tenait presque du miracle. La Casa Azul appartenait à M. Van Eidercke, citoyen néerlandais, ainsi qu'à deux compagnies, l'une portugaise, domiciliée à Lisbonne, et l'autre espagnole, domiciliée à Barcelone. Derrière la compagnie de Barcelone se profilait l'ombre de la Golden Gate Investments, la compagnie financière de Mme Kristensen, établie en Suisse et à New York.

La Casa Azul fut mise sous surveillance par des forces locales alors qu'un convoi de plusieurs voitures de police se lançait sur la N125. Dans la seconde voiture de tête, Anita tentait de réfréner son impatience en lisant et relisant le dossier que lui avait ramené Peter d'Amsterdam.

La Golden Gate possédait en sous-main un autre centre de thalassothérapie à la Barbade, dirigé par un autre Néerlandais, M. Leeuwarden. Bizarrement, le bateau arraisonné à Saint-Vincent avait été vu par un témoin, la veille, pas très loin du centre de thalassothérapie.

Une sorte de schéma se dessinait dans son esprit. Des centres de thalassothérapie, disséminés dans le monde, par lesquels transitaient des cassettes… Ensuite sur place, les bandes étaient acheminées par le milieu local, avec les drogues, ou les armes…

Oui, oui, pensait-elle, furieusement excitée. La Casa Azul était la réplique européenne de ce centre de la Barbade…

Mais le dossier de Spaak levait le voile sur d'autres parties de l'architecture occulte de la «Kristensen Incorporated».

La Holy Graal Company, société établie aux Pays-Bas et à Londres, possédait une filiale en Allemagne. Cette filiale contrôlait, avec l'appui de la Golden Gate, une petite société spécialisée dans les trucages photo-optiques pour le cinéma, la Gorgon Ltd. Cette société avait fait l'acquisition d'un vieux complexe minotier désaffecté dans l'ex-RDA afin d'en faire des studios de trucage. Mais la police allemande n'y avait rien trouvé de suspect, dans la journée d'hier. Cela dit, la Gorgon et la Holy Graal possédaient d'autres établissements, dans toute l'Europe.

On épluchait les dossiers désormais de manière conjointe en Allemagne et aux Pays-Bas, ainsi qu'en France et en Belgique, mais il faudrait encore des semaines de boulot pour tout faire remonter à la surface, lui avait dit Peter en prenant place sur le siège passager. Elle était persuadée du contraire en voyant l'immense maison se profiler à l'horizon, en contrebas de la falaise, aux limites des hautes dunes, bordée par son parc d'eucalyptus et de cèdres.

On allait certainement remonter un gros morceau ici.

La maison était cernée par une bonne dizaine de voitures lorsqu'ils franchirent les grilles de l'institut de thalassothérapie.

La jeune femme de l'accueil leva des yeux écarquillés en voyant apparaître Anita suivie d'une cohorte de flics. Anita et le commissaire, qui s'était déplacé pour l'événement, lui firent comprendre qu'il était temps de s'agiter, de rameuter personnel et résidents, et que la police allait procéder à une fouille en règle de tout l'établissement. Lorsque la jeune fille revint deux minutes plus tard, encore affolée, elle était accompagnée d'un homme jeune, au costume strict mais de bonne coupe, sûr de lui et visiblement intelligent.

Il se présenta comme Jan de Vries, assistant personnel de M. Van Eidercke, pour l'instant en voyage et demanda de quoi il s'agissait, dans un portugais impeccable.

Anita décida de l'affronter sur son terrain.

– Je suis Anita Van Dyke, de la police criminelle d'Amsterdam, j'ai ici un mandat de perquisition et les forces de police nécessaires pour fouiller et interroger l'ensemble des personnes présentes en ce lieu.