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D'autre part, il s'occupait de réparation de moteurs de hors-bord..

– Travis et lui se sont d'abord connus comme ça… Ensuite d'après ce qu'on sait, c'est Travis qui a emmené le Grec dans une boîte d'Espagne que fréquentaient les autres. Ça a visiblement permis au Grec de s'assurer des extras confortables, mais jamais rien qui puisse prétendre concurrencer un Ricardo Alvarès ou le Nuno Pereira d'avant la chute…

– Comment est-ce que nous procéderons?

– Ne vous en faites pas. Le Grec me connaît… Il répondra à mes questions… On lui dira la vérité, tout simplement, qu'on veut des informations sur Travis et qu'il a intérêt à me dire tout ce qu'il sait… Il le fera.

– Où allons-nous exactement?

– Dans les serras au sud de Beja, dans l'Alentejo. Le Grec y a une petite maison de campagne, qu'il a construite lui-même sur un terrain qu'il s'est acheté y a quelques années. Il y est pour quelques jours encore…

Anita comprit que l'indic d'Oliveira était un contact précieux.

Ils grimpaient sur les collines du nord de Faro, les contreforts de la Serra do Caldeirao. Il y avait pas loin de cent kilomètres à se taper.

Oliveira alluma une cigarette et tendit le paquet vers Anita, qui déclina l'offre gentiment.

Le bruit du moteur emplissait l'habitacle et les phares balayaient le décor aride.

La maison était parfaitement obscure lorsqu'ils se garèrent lentement sur le bas-côté. À deux cents mètres de là, en retrait de l'autre côté de la route, une petite bâtisse carrée et sans style était plantée sur un versant de la colline, bordée par un champ de lauriers-roses, d'oliviers et d'arbres fruitiers qu'Anita ne put identifier.

– L'hacienda de senhor Andronopoulos, laissa tomber Oliveira avec un rictus dédaigneux.

Il était presque onze heures moins le quart à la petite horloge de bord. En face d'eux les massifs volcaniques des serras de Beja découpaient leurs reliefs tourmentés.

Ils sortirent simultanément de la voiture.

La maison était cernée par un petit muret, d'un mètre trente de haut environ et Oliveira lui montra un endroit derrière la maison. On y apercevait l'arrière d'une grosse voiture verte.

– Il est là…

Oliveira sauta par-dessus le muret et Anita s'empressa de le suivre, lestement, avant qu'il ne se retourne pour l'aider à franchir l'obstacle. Elle atterrit sans un bruit à ses côtés. Il la regarda avec un air à moitié surpris seulement.

Puis il se dirigea rapidement vers la porte d'entrée et sonna, fermement. Un long carillon se fit entendre dans toute la maison.

Anita se posta derrière l'inspecteur, la main sur la crosse du petit automatique, au cas où.

Oliveira avait simplement déboutonné sa veste.

Il sonna à nouveau. Plusieurs fois d'affilée. Un carillon interminable retentit à l'intérieur de la maison toujours obscure.

– Hé, le Grec! cria Oliveira en direction de la façade, c'est moi, l'inspecteur Oliveira, de Faro… Police, OUVRE!

Et il resonna, encore. Mais un silence total baignait toute la maison.

Anita recula de quelques mètres pour voir si aucune lumière ne s'allumait à une des fenêtres de l'étage. Mais rien. Elle fit instinctivement le tour par l'arrière. Elle entendit une nouvelle fois le carillon.

La Nissan était garée, là, tout de suite, le long de la face arrière. Elle contourna la voiture et vit qu'une petite porte était ouverte, à quelques mètres. Une petite porte vitrée donnant sur une cuisine. Elle apercevait la tache blafarde d'un gros frigo derrière une fenêtre.

Elle se dirigea vers la porte et frappa trois coups en entrant dans un petit couloir.

La maison était plongée dans le noir et dans un silence de tombeau.

Elle fit deux-trois mètres dans le couloir, jusqu'à une porte entrouverte à sa gauche.

À l'autre extrémité du couloir, une large ouverture en forme d'arche donnait sur un salon et le couloir repartait ensuite, par une autre arche, vers la porte d'entrée vitrée de verre cathédrale, derrière laquelle se profilait l'ombre de Oliveira qui tentait de forcer la serrure.

Elle courut jusqu'à lui, traversant d'un trait le vaste salon et ouvrit la porte de l'intérieur.

– C'est moi, Anita, lança-t-elle à mi-voix en débloquant les verrous.

Oliveira lui jeta un sourire amusé entrant dans la maison.

– Alors? chuchota-t-il.

– Je sais pas, on dirait qu'il n'y a persone, répondit-elle. Ou bien c'est un gros dormeur… Ou il est complètement défoncé dans un recoin du grenier…

Ils marchèrent le long du couloir jusqu'à un escalier en colimaçon qui grimpait vers l'étage, juste avant d'entrer dans le salon.

– Faites le rez-de-chaussée, murmura Oliveira, moi je prends l'étage.

Son arme venait de faire son apparition, au bout du poing. Un revolver français, type Manhurin 357.

– O.K., chuchota-t-elle en retour.

Elle extirpa son petit 32 et pénétra doucement dans le salon.

Elle fit rapidement le tour de la pièce et se retrouva dans le couloir qui menait à la cuisine, sûrement la porte entrouverte à sa droite, cette fois-ci.

Elle s'avança silencieusement et poussa légèrement le battant du pied.

La porte découvrit graduellement l'espace de la pièce, éclairée par la pleine lune.

Une nuée d'angoisse irrésistible l'envahissait au fil des secondes. C'était l'enfer, ici.

Elle n'avait pu le voir en pénétrant dans l'entrée tout à l'heure, mais la pièce était littéralement dévastée.

Il y avait du sang partout, sur le sol et sur des pans de mur, sur le gros combiné frigo-congélateur, et, évidemment sur la table.

Le sang provenait d'un cadavre nu, allongé sur la lourde table paysanne. L'homme avait été ligoté aux quatre pieds de la table, en croix, et avait subi des mutilations diverses, en diverses parties du corps. D'une énorme entaille rouge, à la base du cou, suintait un liquide sombre, et gras. Elle vit aussi que les organes génitaux avaient été attaqués. Que l'ensemble du corps avait été martyrisé.

Des ordures étaient répandues dans toute la pièce, des assiettes sales, des bouteilles vides et des canettes de bière, des emballages déchirés. Les portes de l'armoire étaient ouvertes. Les paquets de riz et les boîtes de pâtes saccagés, éventrés. Et il y avait les restes d'un bon repas étalés sur le bord de l'évier.

Elle ne fit rien qui puisse bousculer le chaos figé dans la pièce. Elle ne mit pas le pied sur le sol mouillé de la cuisine, et n'alluma surtout pas la lumière.

Elle repartit, d'abord lentement, puis à bonne allure vers l'escalier qui menait à l'étage et hurla, la tete tendue vers le haut:

– OLIVEIRA?

Puis, à nouveau:

– OLIVEIRA, JE L'AI TROUVÉ… VOUS M'ENTENDEZ OLIVEIRA? JE L'AI TROUVÉ, EN BAS…

Elle entendit une voix, étouffée par la distance et un bruit de pas qui s'approchait lourdement de la cage d'escalier.

Puis une voix puissante qui éclata dans l'espace,

– ANITA? QU'EST-CE QUE VOUS DITES? VOUS L'AVEZ TROUVÉ?…

– OUI EN BAS… DANS LA CUISINE…

Les pas qui résonnent sur les marches. Oliveira fit son apparition au détour de la première vrille.

– Venez, c'est là-bas.

Sa voix avait été plus blanche qu'elle ne l'aurait voulu.

Moins de cinq minutes plus tard, lorsque Oliveira arriva en courant à la portière de sa voiture, la cuisine luisait faiblement d'un halo jaune derrière la maison.

À l'intérieur les tubes de néon éclairaient d'une lumière crue le décor répugnant et odieux.

Le visage du Grec, ou ce qu'il en restait, dardait des yeux fous, fixés dans la mort, écarquillés vers un point situé bien au-delà du plafond jaunâtre.

Anita passa la pièce en revue, en veillant à ne rien toucher, ni déplacer malencontreusement.

Elle s'approcha avec précaution du cadavre lacéré de toutes parts. Une odeur terrible se dégageait du corps. Elle toucha le haut du bras, juste pour apprécier la température. Elle fut surprise de constater qu'il était loin d'être froid. Encore tiède, et sans rigidité cadavérique… Nom de dieu… Ils s'étaient croisés à une demi-heure près, avec les tueurs… au maximum.