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Il prit aussitôt la route de la frontière.

– Habille-toi dans la voiture, lui jeta-t-il, à la sortie de la ville.

Il fit l'effort de ne jeter aucun coup d' œil dans le rétroviseur.

Deux heures plus tard environ, ils atteignirent la N630, en Espagne.

Le soleil tombait sur l'horizon, boule d'un rouge-orange insoutenable.

Il prit plein sud, vers Séville et Badajoz et avala un autre comprimé.

*

Elle avait repris la route de Faro après avoir appelé le commissariat central et appris que l'inspecteur Oliveira allait revenir aux alentours de dix-neuf heures trente. Elle avait demandé qu'il l'attende si c'était possible, qu'elle pourrait être là vers sept heures et demie, huit heures maximum.

Lorsqu'elle arriva, un peu avant huit heures, Oliveira l'attendait dans son bureau.

Il se leva prestement et lui tendit largement la main par-dessus le plan de travail encombré de dossiers surchargés. Anita la serra rapidement en s'approchant du fauteuil.

– Bom dia inspector, alors comment s'est passée votre journée?

Son sourire était clair et avenant.

Anita ne put réprimer un rictus mi-figue mi-raisin..

– Prenez place, prenez place, reprit Oliveira en s'asseyant. Racontez-moi.

Anita se posa avec un vague soupir:

– Eh bien j'ai appris quelques petites choses intéressantes sur Travis, ses origines, son milieu, sa vie… Mais je n'ai pas avancé d'un pouce sur… sa localisation vous voyez…

Oliveira murmura un vague assentiment. Ses mains se croisaient sous son menton. Attentif et concentré.

– Qu'est-ce que vous avez appris exactement?

– Déjà, visiblement, c'est un junkie, les mecs du milieu dont vous m'avez parlé hier soir c'était des dealers, non?

– Pas tous. Certains oui. D'autres, juste des espèces d'espions ou d'agents de liaison de la maffia sicilienne… mais les contacts n'ont été qu'épisodiques, dans des boîtes de nuit, vous voyez… on n'a jamais rien pu trouver contre lui… Rien de concret. Je ne savais même pas qu'il était toxico…

– Ce n'est pas vraiment ici qu'il a plongé à fond… Il était à Barcelone avec sa femme et sa fille quand c'est arrivé. En revanche, quand il est revenu il y était plongé jusqu'au cou… Mais il a fini par s'en sortir, à peu près… Visiblement il a été d'une discrétion absolue. Parmi ces mecs du a milieu vous pourriez me balancer ceux qui étaient vraiment impliqués dans le trafic de drogue?

– Oui… Je dois avoir conservé des éléments du dossier…

Il se leva jusqu'à une grande armoire métallique verte, de la couleur de toutes les armoires métalliques d'un petit bureau de police. Ouvrit un des tiroirs, fouilla dans une rangée de chemises et en sortit un dossier marron qu'il feuilleta en retournant s'asseoir.

– Alors… Oui, c'est ça. Des vendeurs de poudre. Coke, héro. Beaucoup d'argent, des voitures de luxe… Eux et Travis fréquentaient les mêmes boîtes à la mode d'Espagne et du Portugal et comme il était skipper il a emmené certains en croisière, en Méditerranée. On avait enquêté pour voir s'il ne se servait pas de ses bateaux pour acheminer de la drogue mais on n'a jamais rien pu prouver. Quand la gosse est née, il a cessé peu à peu toutes ses fréquentations et ensuite il a quitté le pays avec toute sa famille… Voilà, les dealers ce sont: Franco Escobar, un Espagnol de Séville. Lui, je sais qu'il est mort il y a deux ans, dans un vulgaire accident de la route. À fond et bourré de coke évidemment… Ensuite on a Nuno Pereira, lui on l’a baisé, il est en taule pour une bonne demi-douzaine d'années. Reste Ricardo Alvarès, Julio «Junior» Picoa et Théo Andronopùulos, dit «le Grec». Tous les trois sont encore en activité.

Il en parlait comme des incendies qu'il faut éteindre.

– Vous savez où on peut les coincer?

– À cette heure-ci, non, évidemment, dit-il en jetant un coup d'œil à sa montre. Ils peuvent être dans une des centaines de restaurants, de casinos ou de boîtes branchées d'ici à Lisbonne dans un sens et d'ici à Barcelone, dans l'autre… Mais…

Anita dressa l'oreille.

Oliveira se mit à feuilleter un vieux calepin de cuir plus qu'élimé. Il lui transmit un petit sourire en empoignant le téléphone. Il composa un numéro, puis, couvrant de sa main le combiné:

– Un contact. Un dealer qui me sert d'indic… Elle entendit un vague grésillement provenant de l'écouteur.

– Tonio, c'est moi, Vasco… Il faut qu'on se voie à l'endroit habituel.

Une pause. Un autre petit grésillement.

– Dans une demi-heure, ça va?

Puis:

– D'accord, d'accord, dans une heure…

Il raccrocha et referma son carnet.

– Dans une heure. Vous m'attendrez dans la voiture… On va avoir le temps de casser une petite graine.

Elle accepta l'invitation comme un cadeau du ciel. D'une, elle avait faim. De deux, elle savait qu'avec Oliveira les choses allaient considérablement s'accélérer. Oliveira connaissait tout le monde par ici. C'était son territoire, Sa ville, son pays. Il connaissait les plans et les contacts utiles, il avait de quoi remonter des pistes.

Ils dévorèrent des filets d'espadon dans un autre petit restaurant de la ville, où Oliveira connaissait tout le monde. Elle comprit qu'Oliveira la sortait et n'était pas peu fier d'entrer avec elle dans le petit troquet de quartier.

Elle accepta cela avec une tolérance qui la surprit. Ce n'était pas vraiment ostentatoire. Juste perceptible. Cela semblait naturel et exempt de toute agressivité compétitrice.

Juste, bonsoir les gars, soyez gentils avec la dame et pas «vous avez vu ce que je ramène ce soir?» Cela dut avoir une incidence positive sur le goût du vin et du poisson, incontestablement.

Le repas fut assez bref. À neuf heures, Oliveira regarda sa montre et montra d'un haussement de sourcils qu'il fallait y aller.

Ils reprirent sa voiture et ils sortirent de la ville.

Un quart d'heure plus tard, il s'arrêta près d'une grande plage parsemée de cabines de bain, peintes de blanc et de bleu et qui luisaient sous la lune.

Le ciel était du dernier bleu avant le noir.

Sur la route, à l'autre extrémité de la plage, une voiture se remit en route et avança d'une cinquantaine de mètres avant de stopper à nouveau. Les phares clignotèrent par trois fois, avant de s'éteindre pour de bon. Il fit de même avec ses feux et ouvrit la portière.

– J'en ai pour dix minutes, dit-il en sortant dans la fraîcheur de la nuit.

Il s'enfonça dans l'obscurité. Là-bas, à quatre ou cinq cents mètres, l'ultime halo d'un petit réverbère suintait sur le capot d'une voiture claire. Un homme ouvrait la portière et venait à la rencontre de Oliveira.

Elle les vit discuter le long de la rambarde de pierre qui dominait les dunes, en fumant des cigarettes, minuscules lucioles ardentes dans le clair-obscur lunaire. Puis d'un même mouvement ils jetèrent leurs cigarettes vers la plage, feux follets rougeoyants qui s'évanouirent dans le sable. Ils se quittèrent sans se serrer la main ni aucun geste amical. Oliveira revint à bonnes foulées vers la Seat, ouvrit sa portière et s'assit dans un râle satisfait.

– Ricardo est en voyage sur la Côte d'Azur française, casinos, salons de massage, tout ce qu'il aime… Julio Junior il n'sait pas… mais le Grec, il est ici.

Il introduisit sa clé dans le démarreur et mit le moteur en marche.

– Enfin pas très loin, entre Faro et Évora.

La Seat partit en vrombissant vers la N2, plein nord.

Anita comprit tout de suite qu'on allait lui faire une petite visite, au Grec.

Le Grec et Travis s'étaient connus par la mer. À la différence des autres dealers, le Grec n'était pas outrageusement riche. Il n'était qu'un simple vendeur d'herbe et parfois de coke, à plus petite échelle.

Oliveira lui donnait méthodiquement tous les détails nécessaires.