Изменить стиль страницы

– Non, Jack. C'était plus que cela…

Un soupçon lui traversa l'esprit.

– … Laissez-moi voir cette lettre que vous étiez en train d'écrire.

– Ah! Ettie, je ne le peux pas!

Ses soupçons se transformèrent en certitude.

– C'était à une autre femme! s'écria-t-elle. J'en suis sûre. Sinon, pourquoi ne me la montreriez-vous pas? Était-ce à votre femme que vous écriviez? Comment pourrais-je savoir que vous n'êtes pas déjà marié, vous, un étranger que personne ne connaît?

– Je ne suis pas marié, Ettie. Regardez-moi: je vous le jure! Vous êtes pour moi la seule femme sur la terre. Par la croix du Christ, je le jure!

Il avait pâli; la passion grave qu'il mit dans sa réponse la convainquit qu'il ne mentait pas.

– Alors, pourquoi ne voulez-vous pas me montrer cette lettre?

– Je vais vous le dire, ma chérie. J'ai fait le serment de ne pas la montrer, et de même que je ne voudrais pas être parjure envers vous; je ne voudrais pas trahir une parole donnée à d'autres. C'est une affaire de la loge; une affaire secrète, même pour vous, Et si j'ai eu peur quand une main s'est posée sur moi, comprenez que j'avais peur que ce fût celle d'un policier?…

Elle sentit qu'il disait la vérité. Il la prit dans ses bras; ses baisers balayèrent frayeurs et doutes.

– … Asseyez-vous près de moi. C'est un trône bizarre pour une pareille reine, mais c'est le meilleur que puisse vous offrir votre pauvre amant. Un jour il fera mieux pour vous, je pense. Vous voilà rassurée maintenant?

– Comment pourrais-je l'être, Jack, quand je sais que vous faites partie d'une bande de criminels, quand je m'attends chaque jour à vous voir assis dans le box des accusés? McMurdo l'Éclaireur, voilà comment l'un de nos pensionnaires vous a appelé hier. Je l'ai ressenti comme un coup de poignard.

– Croyez-moi, ma chérie, je ne suis pas aussi mauvais que vous le pensez. Nous ne sommes que de pauvres gens qui essayons à notre manière de faire respecter nos droits.

Ettie passa son bras autour du cou de son amant

– Abandonnez cela, Jack! Pour l'amour de moi, pour l'amour de Dieu, laissez tomber! Je suis venue ici pour vous en supplier. Oh! Jack, je vous le demande à genoux! Je m'agenouille devant vous, et je vous adjure d'abandonner

Il la releva et il l'apaisa entre ses bras.

– Voyons, ma chérie, réfléchissez à ce que vous me demandez! Comment pourrais-je laisser tomber puisque ce serait me parjurer et abandonner mes camarades? Si vous saviez tout ce qui se passe, jamais vous ne me le proposeriez. De plus, même si je le voulais, comment pourrais-je le faire? Vous ne supposez pas que la loge permettrait à l'un de ses adhérents de se retirer avec tous ses secrets?

– J'y ai réfléchi, Jack. J'ai tout prévu. Père a un peu d'argent de côté. Il est fatigué de cet endroit, où notre existence est assombrie par la terreur. Il est prêt à partir. Nous pourrions nous enfuir ensemble à Philadelphie ou à New York. Là, nous serions en sécurité.

McMurdo se mit à rire.

– La loge a le bras long. Croyez-vous qu'elle ne pourrait pas l'étendre d'ici jusqu'à Philadelphie ou New York?

– Eh bien! dans ce cas, allons dans l'Ouest, ou en Angleterre, ou en Suède. N'importe où, pourvu que nous sortions de cette vallée de la peur.

McMurdo pensa au vieux frère Morris.

– Voilà la deuxième fois que j'entends ce nom, dit-il. L'ombre ne semble pourtant pas peser trop lourdement sur certains habitants de cette vallée.

– Elle obscurcit chaque instant de notre existence. Vous imaginez-vous que Ted Baldwin nous a pardonné? Si ce n'était qu'il vous craint, il nous aurait déjà anéantis. Il me suffit de voir ses yeux noirs de bête affamée quand par hasard il me rencontre!

– Ah! ah! Je lui apprendrai de meilleures manières si je l'y prends. Mais écoutez-moi bien, petite fille: je ne peux pas partir d’ici. Je ne peux pas. Enregistrez cela une fois pour toutes. Mais si vous me laissez choisir ma propre voie, j'essaierai de trouver le moyen d'en sortir honorablement.

– Il n'y a pas d'honneur dans une affaire pareille!

– Mon Dieu, cela dépend du point de vue auquel on se place! Mais si vous me donnez six mois, je m'arrangerai pour partir d'ici sans avoir honte de regarder les autres en face.

– Six mois! s'exclama la jeune fille dans une explosion de joie. C’est une promesse?

– Écoutez: ce sera peut-être sept ou huit. Mais avant un an au maximum, nous aurons quitté la vallée.

– Ettie ne put rien obtenir de plus précis; mais enfin c'était déjà quelque chose: une sorte de phare lointain qui éclairait les ténèbres de l’avenir immédiat. Elle rentra chez son père, plus allègre qu'elle ne l'avait jamais été depuis que Jack McMurdo avait fait irruption dans sa vie.

Il aurait pu penser qu'en tant que membre de la société, tous les agissements de celle-ci lui seraient connus; mais il ne tarda pas à découvrir que l'organisation était beaucoup plus étendue et plus complexe que la simple loge. McGinty lui-même ignorait beaucoup de choses, car il y avait un dignitaire appelé le délégué du district, habitant à Hobson's Patch, au bas de la voie ferrée, qui avait tout pouvoir sur plusieurs loges qu'il régentait d'une façon imprévue et arbitraire. McMurdo ne le vit qu'une fois: il avait l'air d'un petit rat timide à poils gris; il avait une démarche furtive et un regard oblique chargé de malignité. Il s'appelait Evans Pott; devant lui, le grand patron de Vermissa ressentait un peu de la répulsion et de la peur que Robespierre devait inspirer à Danton.

Un jour Scanlan, qui était le camarade de pension de McMurdo, reçut un billet de McGinty accompagnant une lettre d'Evans Pott. Le «grand patron» informait McGinty qu'il lui adressait deux hommes, Lawler et Andrews, munis d'instructions pour agir dans les environs; il lui disait aussi qu'il était préférable pour la cause de ne pas divulguer de détails quant au but de cette mission: il demandait au chef de corps de veiller à ce que ces deux exécutants fussent logés et bien traités jusqu'à l'heure de l'action. McGinty avait ajouté pour Scanlan que personne ne pouvait loger clandestinement à la maison syndicale et qu'il serait obligé à Scanlan et McMurdo d'accueillir chez la veuve MacNamara ces deux nouveaux pensionnaires.

Ils arrivèrent le soir même, chacun muni d'un sac. Lawler avait un certain âge; il avait le visage austère; il était taciturne et réservé; il était habillé d'une vieille redingote noire qui, avec son chapeau mou et sa barbe grisonnante hirsute, lui donnait l'air d'un prédicateur itinérant. Son compagnon, Andrews, n'était pas beaucoup plus qu'un enfant: il avait le visage ouvert et gai, et il ressemblait à un écolier en vacances. Tous deux ne buvaient que de l'eau, et ils se conduisirent en tous points comme des membres exemplaires de la société, à cela près qu'ils étaient l'un comme l'autre assassins patentés. Lawler avait accompli quatorze missions de meurtre, et Andrews trois.