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Dans un meurtre, l'élément dramatique fait rarement défaut, et ils avaient montré aux Éclaireurs de Gilmerton que ceux de Vermissa n'avaient pas froid aux yeux. Il y avait eu un contretemps: un homme et sa femme étaient arrivés à cheval tandis qu'ils déchargeaient leurs revolvers dans le corps voué au silence éternel. Ils avaient envisagé de les tuer eux aussi, mais c'étaient des gens inoffensifs qui n'avaient rien à voir avec les mines; ils avaient été instamment priés de poursuivre leur route et de tenir leur langue, s'ils ne voulaient pas qu'il leur arrivât pis. Le cadavre rouge de sang avait été abandonné dans la neige en guise d'avertissement dédié à tous les patrons au cœur dur, et les trois nobles vengeurs avaient pris le chemin du retour.

Ç’avait été un grand jour pour les Éclaireurs. L'ombre s'était encore appesantie sur la vallée. Mais de même que le général avisé choisit le moment de la victoire pour redoubler d'efforts afin que l'ennemi n'ait pas le temps de se reformer après la défaite, de même McGinty avait conçu une nouvelle offensive contre ses adversaires. Cette nuit-là, alors que la société à demi ivre se séparait, il toucha le coude de McMurdo et le mena dans le petit salon où ils avaient eu leur première conversation.

– Écoutez-moi, mon garçon, lui dit-il. J'ai un travail enfin digne de vous. Vous aurez à en prendre toute la responsabilité.

– Je suis fier de votre choix, répondit McMurdo.

– Vous pourrez prendre deux hommes avec vous: Manders et Reilly. Ils ont été prévenus. Nous ne serons jamais tranquilles dans ce district tant que le cas de Chester Wilcox ne sera pas réglé. Vous aurez droit aux bénédictions de toutes les loges du district minier si vous réussissez à le descendre.

– Je ferai de mon mieux. Qui est-il? Et où le trouverai-je?

McGinty tira du coin de sa bouche son éternel cigare à moitié mâché, à moitié fumé, avant de déchirer de son carnet une page où était dessiné un plan rudimentaire.

– C'est le principal contremaître de la Compagnie Iron Dyke. Citoyen sévère et vieux sergent de la guerre. Nous avons déjà essayé deux fois de l'abattre, mais la chance ne nous a pas été favorable, et Jim Carnaway y est resté. À présent, c'est à vous de prendre votre risque. Voici la maison, isolée au carrefour de Iron Dyke, comme vous le voyez sur ma carte; il n'y a pas d'autre habitation en vue. Il ne faut pas y aller de jour. Il est armé. Il tire vite et juste sans se préoccuper de sommations. Mais la nuit… Bref, il habite là, avec sa femme, trois enfants et une domestique. Vous n'avez pas le choix. C'est tout ou rien. Si vous pouviez mettre un sac d'explosifs devant sa porte avec une mèche…

– Qu'a fait cet homme?

– Je vous ai dit qu'il avait tué Jim Carnaway!

– Pourquoi l'a-t-il tué?

– Qu'est-ce que ça peut bien vous faire? Carnaway se trouvait dans les parages un soir, et il l'a tué. Cela suffit pour moi et pour vous. Pour le reste, débrouillez-vous!

– Il y a les deux femmes et les trois enfants. Faudra-t-il aussi les faire monter au ciel?

– Évidemment! Sinon, comment l'avoir, lui?

– C'est dommage pour eux, s'ils n'ont rien fait de mal!

– En voilà un langage! Vous vous dégonflez?

– Du calme, conseiller! Qu'ai-je dit ou fait qui vous suggère que je refuserais d'obéir à un ordre émanant du chef de corps de ma loge? Bonne ou mauvaise, la décision vient de vous.

– Alors vous l'exécuterez?

– Bien sûr!

– Quand?

– Eh bien! accordez-moi une nuit ou deux, afin que je repère la maison et que je dresse mon plan. Et puis…

– Très bien, déclara McGinty en lui serrant la main. Je m'en remets à vous. Ce sera un grand jour, celui où vous nous rapporterez la nouvelle. Ce dernier coup les mettra tous à genoux devant nous.

McMurdo réfléchit à la mission qui venait de lui être confiée inopinément. La maison isolée qu'habitait Chester Wilcox était située à une douzaine de kilomètres dans une vallée adjacente. La nuit même il partit seul pour préparer sa tentative. Il faisait grand jour quand il revint de sa reconnaissance. Le lendemain, il s'entretint avec ses deux subordonnés, Manders et Reilly, jeunes garçons sans pitié, qui se montrèrent aussi enchantés que s'il s'agissait de chasser le sanglier. Le surlendemain, ils se réunirent hors de la ville; ils étaient armés tous les trois; l'un d'eux portait un sac bourré de poudre utilisée dans les carrières. Il était deux heures du matin quand ils arrivèrent devant la maison. Il faisait grand vent; les nuages glissaient rapidement sous une lune qui en était à son troisième quartier. Ils avaient été prévenus d'avoir à se méfier des chiens de garde; aussi avancèrent-ils prudemment, revolver au poing. Mais il n'y eut d'autre bruit que le gémissement du vent et le bruissement des branches. McMurdo colla l'oreille contre la porte; personne ne bougeait à l'intérieur. Alors il cala le sac de poudre, le troua avec son couteau et y attacha la mèche. Quand il l'eut allumée, lui et ses deux camarades s'enfuirent à toutes jambes; ils étaient parvenus à une certaine distance et ils venaient de se coucher dans un fossé, quand l'explosion retentit: un sourd grondement précéda l'effondrement de la maison; leur travail était accompli. Jamais succès plus complet n'avait été enregistré dans les annales de la société. Hélas! la minutie des préparatifs, la finesse de la conception et la hardiesse dans l'exécution se révélèrent inutiles: se doutant qu'il était promis à l'anéantissement, Chester Wilcox avait déménagé la veille et il avait emmené sa famille dans un lieu plus sûr et moins connu, que gardait la police. L'explosion n’avait soufflé qu'une maison vide, et le vieux sergent continuait d’inculquer la discipline aux mineurs de Iron Dyke.

– Laissez-le-moi, dit McMurdo. Je m'en charge. Je jure que je l’aurai, même si je dois attendre mon heure pendant une année!

Une motion de remerciements et de confiance fut votée par la loge à l'unanimité, et l'affaire fut mise en sommeil. Quand, quelques semaines plus tard, les journaux annoncèrent que Wilcox avait affronté des coups de feu dans une embuscade, tout le monde comprit que McMurdo tenait à achever le travail commencé.

Telles étaient les méthodes de la Société des hommes libres, tels étaient les actes des Éclaireurs. Ainsi gouvernaient-ils par la peur ce grand district si riche. Pourquoi ces pages seraient-elles souillées par d'autres crimes? N'en ai-je pas assez dit pour situer ces hommes et leurs procédés? Leurs agissements font partie de l'histoire; ils sont consignés dans des dossiers. On y apprendra, par exemple, comment ont été tués les policiers Hunt et Evans parce qu'ils avaient osé arrêter deux membres de la société: ce double assassinat fut préparé dans la loge de Vermissa et perpétré de sang-froid. On lira également le récit des derniers instants de Mme Larbey, assassinée pendant qu'elle soignait son mari, lequel venait d'être battu à mort sur les ordres de McGinty. Le meurtre du vieux Jenkins, les mutilations de James Murdoch, la disparition de la famille Staphouse, la tuerie des Stendal se succédèrent au cours de cet hiver terrible. L'ombre s'obscurcissait sur la vallée de la peur. Le printemps surgit enfin, avec son cortège de ruisselets en cascade et d'arbres en fleurs. Il y avait de l'espoir pour toute la nature maintenue de longs mois sous la rude poigne de l'hiver; mais nulle part ne se levait la moindre espérance pour les hommes et les femmes assujettis à la terreur. Au-dessus de leurs têtes, jamais les nuages ne s'étaient amoncelés si noirs et si menaçants qu'au début de l'été 1875.