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CLXIX

La gloire des grands hommes se doit mesurer aux moyens qu'ils ont eus pour l'acquérir.

CLXX

Il y a une infinité de conduites qui ont un ridicule apparent, et qui sont, dans leurs raisons cachées, très sages et très solides.

CLXXI

Il est plus aisé de paraître digne des emplois qu'on n'a pas que de ceux qu'on exerce.

CLXXII

Notre mérite nous attire l'estime des honnêtes gens, et notre étoile celle du public.

CLXXIII

Le monde récompense plus souvent les apparences du mérite que le mérite même.

CLXXIV

La férocité naturelle fait moins de cruels que l'amour-propre.

CLXXV

L'espérance, toute trompeuse qu'elle est, sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un chemin agréable.

CLXXVI

On peut dire de toutes nos vertus ce qu'un poète italien a dit de l'honnêteté des femmes, que ce n'est souvent autre chose qu'un art de paraître honnête.

CLXXVII

Pendant que la paresse et la timidité ont seules le mérite de nous tenir dans notre devoir, notre vertu en a souvent tout l'honneur.

CLXXVIII

Il n'y a personne qui sache si un procédé net, sincère et honnête, est plutôt un effet de probité que d'habileté.

CLXXIX

Ce que le monde nomme vertu n'est d'ordinaire qu'un fantôme formé par nos passions, à qui on donne un nom honnête, pour faire impunément ce qu'on veut.

CLXXX

Toutes les vertus se perdent dans l'intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer.

CLXXXI

Nous sommes préoccupés de telle sorte en notre faveur que ce que nous prenons souvent pour des vertus n'est en effet qu'un nombre de vices qui leur ressemblent, et que l'orgueil et l'amour-propre nous ont déguisés.

CLXXXII

La curiosité n'est pas comme l'on croit un simple amour de la nouveauté; il y en a une d'intérêt, qui fait que nous voulons savoir les choses pour nous en prévaloir; il y en a une autre d'orgueil, qui nous donne envie d'être au-dessus de ceux qui ignorent les choses, et de n'être pas au-dessous de ceux qui les savent.

CLXXXIII

Il vaut mieux employer son esprit à supporter les infortunes qui arrivent qu'à pénétrer celles qui peuvent arriver.

CLXXXIV

La constance en amour est une inconstance perpétuelle, qui fait que notre cœur s'attache successivement à toutes les qualités de la personne que nous aimons, donnant tantôt la préférence à l'une, tantôt à l'autre; de sorte que cette constance n'est qu'une inconstance arrêtée et renfermée dans un même sujet.

CLXXXV

Il y a deux sortes de constance en amour: l'une vient de ce que l'on trouve sans cesse dans la personne que l'on aime (comme dans une source inépuisable) de nouveaux sujets d'aimer, et l'autre vient de ce qu'on se fait un honneur de tenir sa parole.

CLXXXVI

La persévérance n'est digne ni de blâme ni de louange, parce qu'elle n'est que la durée des goûts et des sentiments qu'on ne s'ôte et qu'on ne se donne point.

CLXXXVII

Ce qui nous fait aimer les connaissances nouvelles n'est pas tant la lassitude que nous avons des vieilles ou le plaisir de changer, que le dégoût que nous avons de n'être pas assez admirés de ceux qui nous connaissent trop, et l'espérance que nous avons de l'être davantage de ceux qui ne nous connaissent guère.

CLXXXVIII

Nous nous plaignons quelquefois légèrement de nos amis pour justifier par avance notre légèreté.

CLXXXIX

Notre repentir n'est pas une douleur du mal que nous avons fait; c'est une crainte de celui qui nous en peut arriver.

CXC

Il y a une inconstance qui vient de la légèreté de l'esprit, qui change à tout moment d'opinion, ou de sa faiblesse, qui lui fait recevoir toutes les opinions d'autrui; il y en a une autre qui est plus excusable, qui vient de la fin du goût des choses.

CXCI

Les vices entrent dans la composition des vertus comme les poisons entrent dans la composition des remèdes de la médecine. La prudence les assemble et les tempère, et elle s'en sert utilement contre les maux de la vie.

CXCII

Il y a des crimes qui deviennent innocents et même glorieux par leur éclat, leur nombre et leur excès. De là vient que les voleries publiques sont des habiletés, et que prendre des provinces injustement s'appelle faire des conquêtes.

CXCIII

Nous avouons nos défauts, afin qu'en donnant bonne opinion de la justice de notre esprit, nous réparions le tort qu'ils nous ont fait dans l'esprit des autres.

CXCIV

Il y a des héros en mal comme en bien.

CXCV

On peut haïr et mépriser les vices, sans haïr ni mépriser les vicieux; mais on a toujours du mépris pour ceux qui manquent de vertu.

CXCVI

Le nom de la vertu sert à l'intérêt aussi utilement que les vices.

CXCVII

La santé de l'âme n'est pas plus assurée que celle du corps; et quoique l'on paraisse éloigné des passions, on n'y est pas moins exposé qu'à tomber malade quand on se porte bien.

CXCVIII

Il n'appartient qu'aux grands hommes d'avoir de grands défauts.

CXCIX

La nature a prescrit à chaque homme dès sa naissance des bornes pour les vertus et pour les vices.

CC

Nous n'avouons jamais nos défauts que par vanité.

CCI

On ne trouve point dans l'homme le bien ni le mal dans l'excès.

CCII

On pourrait dire que les vices nous attendent dans le cours de la vie comme des hôtes chez lesquels il faut successivement loger; et je doute que l'expérience nous les fît éviter s'il nous était permis de faire deux fois le même chemin.