CII
L'aveuglement des hommes est le plus dangereux effet de leur orgueil: il sert à le nourrir et à l'augmenter, et nous ôte la connaissance des remèdes qui pourraient soulager nos misères et nous guérir de nos défauts.
CIII
On n'a plus de raison, quand on n'espère plus d'en trouver aux autres.
CIV
On a autant de sujet de se plaindre de ceux qui nous apprennent à nous connaître nous-mêmes, qu'en eut ce fou d'Athènes de se plaindre du médecin qui l'avait guéri de l'opinion d'être riche.
CV
Les philosophes, et Sénèque surtout, n'ont point ôté les crimes par leurs préceptes: ils n'ont fait que les employer au bâtiment de l'orgueil.
CVI
Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n'être plus en état de donner de mauvais exemples.
CVII
Le jugement n'est autre chose que la grandeur de la lumière de l'esprit; son étendue est la mesure de sa lumière; sa profondeur est celle qui pénètre le fond des choses; son discernement les compare et les distingue; sa justesse ne voit que ce qu'il faut voir; sa droiture les prend toujours par le bon biais; sa délicatesse aperçoit celles qui paraissent imperceptibles, et le jugement décide ce que les choses sont. Si on l'examine bien, on trouvera que toutes ces qualités ne sont autre chose que la grandeur de l'esprit, lequel, voyant tout, rencontre dans la plénitude de ses lumières tous les avantages dont nous venons de parler.
CVIII
Chacun dit du bien de son cœur, et personne n'en ose dire de son esprit.
CIX
La politesse de l'esprit est un tour par lequel il pense toujours des choses honnêtes et délicates.
CX
La galanterie de l'esprit est un tour de l'esprit par lequel il entre dans les choses les plus flatteuses, c'est-à-dire celles qui sont le plus capables de plaire aux autres.
CXI
Il y a de jolies choses que l'esprit ne cherche point, et qu'il trouve toutes achevées en lui-même; il semble qu'elles y soient cachés, comme l'or et les diamants dans le sein de la terre.
CXII
L'esprit est toujours la dupe du cœur.
CXIII
Bien des gens connaissent leur esprit, qui ne connaissent pas leur cœur.
CXIV
Toutes les grandes choses ont leur point de perspective, comme les statues; il y en a qu'il faut voir de près pour en bien juger, et il y en a d'autres dont on ne juge jamais si bien que quand on en est éloigné.
CXV
Celui-là n'est pas raisonnable à qui le hasard fait trouver la raison, mais celui qui la connaît, qui la discerne, et qui la goûte.
CXVI
Pour bien savoir les choses, il en faut savoir le détail; et comme il est presque infini, nos connaissances sont toujours superficielles et imparfaites.
CXVII
Il n'y a point de plaisir qu'on fasse plus volontiers à un ami que celui de lui donner conseil.
CXVIII
Rien n'est plus divertissant que de voir deux hommes assemblés, l'un pour demander conseil, et l'autre pour le donner: l'un paraît avec une déférence respectueuse, et dit qu'il vient recevoir des instructions pour sa conduite; et son dessein, le plus souvent, est de faire approuver ses sentiments, et de rendre celui qu'il vient consulter garant de l'affaire qu'il lui propose. Celui qui conseille paye d'abord la confiance de son ami des marques d'un zèle ardent et désintéressé, et il cherche en même temps, dans ses propres intérêts, des règles de conseiller; de sorte que son conseil lui est bien plus propre qu'à celui qui le reçoit.
CXIX
On est au désespoir d'être trompé par ses ennemis, et trahi par ses amis; et on est souvent satisfait de l'être par soi-même.
CXX
Il est aussi aisé de se tromper soi-même sans s'en apercevoir qu'il est difficile de tromper les autres sans qu'ils s'en aperçoivent.
CXXI
La plus déliée de toutes les finesses est de savoir bien faire semblant de tomber dans les pièges que l'on nous tend; on n'est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres.
CXXII
L'intention de ne jamais tromper nous expose à être souvent trompés.
CXXIII
La coutume que nous avons de nous déguiser aux autres, pour acquérir leur estime, fait qu'enfin nous nous déguisons à nous-mêmes.
CXXIV
L'on fait plus souvent des trahisons par faiblesse que par un dessein formé de trahir.
CXXV
On fait souvent du bien pour pouvoir faire du mal impunément.
CXXVI
Les plus habiles affectent toute leur vie d'éviter les finesses pour s'en servir en quelque grande occasion et pour quelque grand intérêt.
CXXVII
L'usage ordinaire de la finesse est l'effet d'un petit esprit, et il arrive quasi toujours que celui qui s'en sert pour se couvrir en un endroit se découvre en un autre.
CXXVIII
Si on était toujours assez habile, on ne ferait jamais de finesses ni de trahisons.
CXXIX
On est fort sujet à être trompé quand on croit être plus fin que les autres.
CXXX
La subtilité est une fausse délicatesse, et la délicatesse est une solide subtilité.
CXXXI
C'est quelquefois assez d'être grossier pour n'être pas trompé par un habile homme.
CXXXII
Les plus sages le sont dans les choses indifférentes, mais ils ne le sont presque jamais dans leurs plus sérieuses affaires.
CXXXIII
Il est plus aisé d'être sage pour les autres que de l'être assez pour soi-même.
CXXXIV
La plus subtile folie se fait de la plus subtile sagesse.
CXXXV
La sobriété est l'amour de la santé, ou l'impuissance de manger beaucoup.