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Ce n’est que Borgia!

Ô Dieu bon, penchez-vous sur tous ces misérables!

Sauvez ces submergés, aimez ces exécrables!

Ouvrez les soupiraux.

Au nom des innocents, Dieu, pardonnez aux crimes.

Père, fermez l’enfer. Juge, au nom des victimes,

Grâce pour les bourreaux!

De toutes parts s’élève un cri: Miséricorde!

Les peuples nus, liés, fouettés à coups de corde,

Lugubres travailleurs,

Voyant leur maître en proie aux châtiments sublimes,

Ont pitié du despote, et, saignant de ses crimes,

Pleurent de ses douleurs;

Les pâles nations regardent dans le gouffre,

Et ces grands suppliants, pour le tyran qui souffre,

T’implorent, Dieu jaloux;

L’esclave mis en croix, l’opprimé sur la claie,

Plaint le satrape au fond de l’abîme, et la plaie

Dit: Grâce pour les clous!

Dieu serein, regardez d’un regard salutaire

Ces reclus ténébreux qu’emprisonne la terre

Pleine d’obscurs verrous,

Ces forçats dont le bagne est le dedans des pierres,

Et levez, à la voix des justes en prières,

Ces effrayants écrous.

Père, prenez pitié du monstre et de la roche.

De tous les condamnés que le pardon s’approche!

Jadis, rois des combats,

Ces bandits sur la terre ont fait une tempête;

Étant montés plus haut dans l’horreur que la bête,

Ils sont tombés plus bas.

Grâce pour eux! clémence, espoir, pardon, refuge,

Au jonc qui fut un prince, au ver qui fut un juge!

Le méchant, c’est le fou.

Dieu, rouvrez au maudit! Dieu, relevez l’infâme!

Rendez à tous l’azur. Donnez au tigre une âme,

Des ailes au caillou!

Mystère! obsession de tout esprit qui pense!

Échelle de la peine et de la récompense!

Nuit qui monte en clarté!

Sourire épanoui sur la torture amère!

Vision du sépulcre! êtes-vous la chimère,

Ou la réalité?

VIII

La fosse, plaie au flanc de la terre, est ouverte,

Et, béante, elle fait frissonner l’herbe verte

Et le buisson jauni;

Elle est là, froide, calme, étroite, inanimée,

Et l’âme en voit sortir, ainsi qu’une fumée,

L’ombre de l’infini.

Et les oiseaux de l’air, qui, planant sur les cimes,

Volant sous tous les cieux, comparent les abîmes

Dans les courses qu’ils font,

Songent au noir Vésuve, à l’Océan superbe,

Et disent, en voyant cette fosse dans l’herbe:

Voici le plus profond!

IX

L’âme est partie, on rend le corps à la nature.

La vie a disparu sous cette créature;

Mort, où sont tes appuis?

Le voilà hors du temps, de l’espace et du nombre.

On le descend avec une corde dans l’ombre

Comme un seau dans un puits.

Que voulez-vous puiser dans ce puits formidable?

Et pourquoi jetez-vous la sonde à l’insondable?

Qu’y voulez-vous puiser?

Est-ce l’adieu lointain et doux de ceux qu’on aime?

Est-ce un regard? hélas! est-ce un soupir suprême?

Est-ce un dernier baiser?

Qu’y voulez-vous puiser, vivants, essaim frivole?

Est-ce un frémissement du vide où tout s’envole,

Un bruit, une clarté,

Une lettre du mot que Dieu seul peut écrire?

Est-ce, pour le mêler à vos éclats de rire,

Un peu d’éternité?

Dans ce gouffre où la larve entr’ouvre son œil terne,

Dans cette épouvantable et livide citerne,

Abîme de douleurs,

Dans ce cratère obscur des muettes demeures,

Que voulez-vous puiser, ô passants de peu d’heures,

Hommes de peu de pleurs?

Est-ce le secret sombre? est-ce la froide goutte

Qui, larme du néant, suinte de l’âpre voûte

Sans aube et sans flambeau?

Est-ce quelque lueur effarée et hagarde?

Est-ce le cri jeté par tout ce qui regarde

Derrière le tombeau?

Vous ne puiserez rien. Les morts tombent. La fosse

Les voit descendre, avec leur âme juste ou fausse,

Leur nom, leurs pas, leur bruit.

Un jour, quand souffleront les célestes haleines,

Dieu seul remontera toutes ces urnes pleines

De l’éternelle nuit.

X

Et la terre, agitant la ronce à sa surface,

Dit: – L’homme est mort; c’est bien; que veut-on que j’en fasse?

Pourquoi me le rend-on? -

Terre! fais-en des fleurs! des lys que l’aube arrose!

De cette bouche aux dents béantes, fais la rose

Entr’ouvrant son bouton!

Fais ruisseler ce sang dans tes sources d’eaux vives,

Et fais-le boire aux bœufs mugissants, tes convives;

Prends ces chairs en haillons;

Fais de ces seins bleuis sortir des violettes,

Et couvre de ces yeux que t’offrent les squelettes

L’aile des papillons.

Fais avec tous ces morts une joyeuse vie.

Fais-en le fier torrent qui gronde et qui dévie.

La mousse aux frais tapis!

Fais-en des rocs, des joncs, des fruits, des vignes mûres,

Des brises, des parfums, des bois pleins de murmures,

Des sillons pleins d’épis!

Fais-en des buissons verts, fais-en de grandes herbes!

Et qu’en ton sein profond d’où se lèvent les gerbes,

À travers leur sommeil,

Les effroyables morts sans souffle et sans paroles

Se sentent frissonner dans toutes ces corolles

Qui tremblent au soleil!

XI

La terre, sur la bière où le mort pâle écoute,

Tombe, et le nid gazouille, et, là-bas, sur la route

Siffle le paysan;

Et ces fils, ces amis que le regret amène,

N’attendent même pas que la fosse soit pleine

Pour dire: Allons-nous-en!

Le fossoyeur, payé par ces douleurs hâtées,

Jette sur le cercueil la terre à pelletées.

Toi qui, dans ton linceul,

Rêvais le deuil sans fin, cette blanche colombe,

Avec cet homme allant et venant sur ta tombe,

Ô mort, te voilà seul!

Commencement de l’âpre et morne solitude!

Tu ne changeras plus de lit ni d’attitude;

L’heure aux pas solennels

Ne sonne plus pour toi; l’ombre te fait terrible;

L’immobile suaire a sur ta forme horrible

Mis ses plis éternels.

Et puis le fossoyeur s’en va boire la fosse.

Il vient de voir des dents que la terre déchausse,

Il rit, il mange, il mord;

Et prend, en murmurant des chansons hébétées,

Un verre dans ses mains à chaque instant heurtées

Aux choses de la mort.

Le soir vient; l’horizon s’emplit d’inquiétude;

L’herbe tremble et bruit comme une multitude;

Le fleuve blanc reluit;

Le paysage obscur prend les veines des marbres;

Ces hydres que, le jour, on appelle des arbres,

Se tordent dans la nuit.

Le mort est seul. Il sent la nuit qui le dévore.

Quand naît le doux matin, tout l’azur de l’aurore,

Tous ses rayons si beaux,

Tout l’amour des oiseaux et leurs chansons sans nombre,

Vont aux berceaux dorés; et, la nuit, toute l’ombre

Aboutit aux tombeaux.

Il entend des soupirs dans les fosses voisines;

Il sent la chevelure affreuse des racines

Entrer dans son cercueil;

Il est l’être vaincu dont s’empare la chose;

Il sent un doigt obscur, sous sa paupière close,

Lui retirer son œil.

Il a froid; car le soir, qui mêle à son haleine

Les ténèbres, l’horreur, le spectre et le phalène,

Glace ces durs grabats;

Le cadavre, lié de bandelettes blanches,

Grelotte, et dans sa bière entend les quatre planches

Qui lui parlent tout bas.

L’une dit: – Je fermais ton coffre-fort. – Et l’autre

Dit: – J’ai servi de porte au toit qui fut le nôtre. -