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Les yeux de la comtesse étaient devenus sévères:

– Je dois encore vous prévenir que je ne veux pas, absolument pas d’enfants chez moi. S’il vous survenait un enfant, je me verrais forcée de vous renvoyer… tout de suite… Oh! pas d’enfants!… Cela crie, cela est partout, cela dévaste tout… cela fait peur aux chevaux et donne des épidémies… Non, non… pour rien au monde, je ne tolérerais un enfant chez moi… Ainsi, vous voilà prévenus… Arrangez-vous… prenez vos précautions…

À ce moment, l’un des enfants, qui était tombé, vint se réfugier en criant et se cacher dans la robe de sa mère… Celle-ci le prit dans ses bras, le berça avec des paroles gentilles, le câlina, l’embrassa tendrement, et le renvoya apaisé, souriant, avec les deux autres… La femme se sentit subitement le cœur bien gros… Elle crut qu’elle n’aurait pas la force de retenir ses larmes… Il n’y avait donc de joie, de tendresse, d’amour, de maternité que pour les riches?… Les enfants s’étaient remis à jouer sur la pelouse… Elle les détesta d’une haine sauvage, elle eût voulu les injurier, les battre, les tuer… injurier et battre aussi cette femme insolente et cruelle, cette mère égoïste qui venait de prononcer des paroles abominables, des paroles qui condamnaient à ne pas naître tout ce qui dormait d’humanité future, dans son ventre de pauvresse… Mais elle se contint, et elle dit simplement, sur un nouvel avertissement, plus autoritaire que les autres:

– On fera attention, madame la comtesse… on tâchera…

– C’est cela… car je ne saurais trop vous le répéter… C’est un principe chez moi… un principe avec lequel je ne transigerai jamais…

Et elle ajouta, avec une inflexion presque caressante dans la voix:

– D’ailleurs, croyez-moi… Quand on n’est pas riche… mieux vaut ne pas avoir d’enfants…

L’homme, pour plaire à sa future maîtresse, conclut:

– Bien sûr… bien sûr… Madame la comtesse parle bien…

Mais une haine était en lui. La lueur sombre et farouche, qui passa comme un éclair dans ses yeux, démentait la servilité forcée de ces dernières paroles… La comtesse ne vit point briller cette lueur de meurtre, car, instinctivement, elle avait le regard fixé sur le ventre de la femme, qu’elle venait de condamner à la stérilité ou à l’infanticide.

Le marché fut vite conclu. Elle fit ses recommandations, détailla minutieusement les services qu’elle attendait de ses nouveaux jardiniers, et, comme elle les congédiait d’un hautain sourire, elle dit sur un ton qui n’admettait pas de réplique:

– Je pense que vous avez des sentiments religieux… Ici, tout le monde va, le dimanche, à la messe et fait ses Pâques… J’y tiens absolument…

Ils s’en revinrent, sans se parler, très graves, très sombres. La route était poudreuse, la chaleur lourde et la pauvre femme marchait péniblement, tirait la jambe. Comme elle étouffait un peu, elle s’arrêta, posa son sac à terre et délaça son corset.

– Ouf!… fit-elle en aspirant de larges bouffées d’air…

Et son ventre, longtemps comprimé, se tendit, s’enfla, accusa la rondeur caractéristique, la tare de la maternité, le crime… Ils continuèrent leur chemin.

À quelques pas de là, sur la route, ils entrèrent dans une auberge et se firent servir un litre de vin.

– Pourquoi que tu n’as pas dit que j’étais enceinte? demanda la femme.

L’homme répondit:

– Tiens! pour qu’elle nous fiche à la porte, comme les trois autres…

– Aujourd’hui ou demain, va!…

Alors l’homme murmura entre ses dents:

– Si t’étais une femme… eh bien, tu irais, dès ce soir, chez la mère Hurlot… elle a des herbes!

Mais la femme se mit à pleurer… Et elle gémissait, dans ses larmes:

– Ne dis pas ça… ne dis pas ça… Ça porte malheur!

L’homme tapa sur la table, et il cria:

– Faut donc crever… nom de Dieu!…

Le malheur vint. Quatre jours après, la femme eut une fausse couche – une fausse couche? – et mourut en d’affreuses douleurs d’une péritonite.

Et quand l’homme eut terminé son récit, il me dit:

– Ainsi, me voilà tout seul, maintenant. Je n’ai plus de femme, plus d’enfant, plus rien. J’ai bien songé à me venger… oui, j’ai songé longtemps à tuer ces trois enfants qui jouaient sur la pelouse… Je ne suis pas méchant pourtant, je vous assure, et pourtant, les trois enfants de cette femme, je vous le jure, je les aurais étranglés avec une joie…, une joie!… Ah! oui… Et puis, je n’ai pas osé… Qu’est-ce que vous voulez? On a peur… on est lâche… on n’a de courage que pour souffrir!