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À la porte de ma tante, il sauta de la chaise, et monta précipitamment, sans penser à moi. Il revint sur-le-champ m’en faire des excuses. Il salua ma tante. «Où est il? ajouta-t-il aussitôt; son nom, sa demeure, je vous en prie? – Hélas! monsieur, je l’ignore! – Mort et furie! je saurai bien le trouver, moi! – Voyez M. Gaudet! – Ah oui! c’est vrai!… Où est-il?… Je sais son adresse: j’y cours.» Il y courait. Il revint. «Par où faut-il passer en sortant d’ici? – On va vous y conduire, lui dit ma tante; Martine , où est ce jeune homme? – Le jeune homme, le jeune homme; votre Martine me ferait sécher.» Il part. Il vole. Il poussait devant lui son guide. Enfin, il arrive chez M. Gaudet.

«Celui-ci, en l’apercevant, court à lui, l’embrasse, veut lui montrer Laure. Edmond ne lui répond pas. Il interroge: «Son nom, sa demeure: allons retrouver? – Crois-tu qu’il est sous notre main? répond son ami. Il faut de la prudence, de l’adresse… – Et il a ma sœur!… Enfer et rage! il a ma sœur! – Va, nous lui ferons payer cher son audace! Payer! payer! Il faut l’anéantir… – Rapporte-t’en à moi! – À toi!… il est vrai! – Mais il faut dissimuler: s’il entend parler de ton arrivée, de tes menaces, c’est un homme riche, puissant, il se cachera si bien, que nous ne le découvrirons jamais; et il pourrait d’ailleurs, d’après quelques imprudences, te faire arrêter. – Me faire arrêter! je l’en défie, lui et toute cette grande ville! – Un peu de calme! Il faut m’écouter, si tu veux agir. Ignorant tout, que veux-tu faire?… Salue au moins ta cousine… – Ah! il est vrai! Bonjour, ma chère Laure!… Comme elle est embellie!… Mort et furie! ma sœur! – Calme-toi!… Ursule est une ravissante personne. – Ah! le scélérat! où est-il! – Si bien caché, que toutes mes recherches, et celles de la police même n’ont encore pu le découvrir. – L’abominable homme! oh! je le tiendrai! je le tiendrai! – L’assassineras-tu? -…Moi! moi!… Le Ciel m’en préserve! nous nous battrons; je le tuerai, ou il me tuera: si je le tue, je serai vengé; s’il me tue, sa vilaine âme aura un crime de plus à se reprocher, le mépris, et la haine de tout l’univers. Je ne puis que le punir, et je le punirai. – Le plus pressé, je crois, est de tâcher de délivrer ta sœur? – Ah! il est vrai! allons, allons, cherchons! Allons donc! que faisons-nous ici? – Demain, je compte avoir des nouvelles. Demain! demain! ah! mon cher Gaudet! sur le gril jusqu’à demain!… Voilà leur conversation, qui fut dix fois répétée. Heureusement que dès le lendemain, on te retrouva: car Edmond, à ce que dit M. Gaudet lui-même, aurait donné plus d’embarras que ta recherche.

«À présent, ma chère Ursule, j’ai d’autres craintes. Edmond est concentré: il ne parle plus du marquis, il contraint tous ses mouvements; il ne laisse rien percer au dehors de ses sentiments; il se livre même à une sorte de dissipation. Mais je le connais; il est capable de dissimuler, lorsque ses premiers mouvements sont calmés. Nous allons partir. M. Gaudet compte le garder ici. Je ne sais qu’en penser: sans ma faiblesse, je m’y opposerais. Mais après ce qui est arrivé, il faut qu’il reste. Depuis quelques jours, je le revois comme il était avant ton malheur; il reprend les mêmes sentiments à mon égard; il les exprime de même… Il faut qu’il reste!… Mais que de craintes m’assaillent pour lui! Cette ville, Gaudet, le marquis, tout m’épouvante, et point de remède!… Il me disait hier, en regardant Fanchette: «Qu’elle est charmante! je l’aurais adorée, si… elle n’avait pas eu de sœur!» Tu vois qu’il ne veut plus être mon beau-frère, et que ses vues sont changées… D’ailleurs, ma délicatesse répugne à ce mariage. Le but de cette longue confidence, ma chère Ursule, est pour te dire, qu’il ne se fera jamais; qu’il ne saurait plus se faire.».

«Pourquoi? ai-je dit: il me semble, qu’il vaudrait mieux sacrifier un peu de délicatesse, et donner à mon frère un moyen de régler ses sentiments, pour vous, ma respectable amie? – Non, ma chère Ursule: je porte dans mon sein l’empêchement à ce nœud si désiré.».

On nous a interrompues en ce moment. Je t’avouerai, ma chère Fanchon, que je ne goûte pas les raisons de Mme Parangon, et que malgré moi, il me vient des soupçons, qu’elle veut réserver Edmond pour elle-même. Si elle était fille ou veuve, à la bonne heure! mais… elle se dissimule sa faiblesse, et la cache sous des scrupules. D’un autre côté, considère que si une femme est excusable, c’est celle-là. Son mari ne mérite aucuns égards; il est même impossible qu’elle vive à présent avec lui; on l’accuse d’être… comme les libertins, qui ont été peu délicats dans le choix. de leurs amours. En tout cas, je dois suspendre mon jugement: Mme Parangon a trop de mérite, pour être condamnée, sans connaître parfaitement tous ses motifs.

13 novembre.

Je finis aujourd’hui cette longue lettre. Edmond reste décidément ici, mais seul; M. Gaudet nous accompagne: cet arrangement concilie tout. Nous partirons sous deux ou trois jours. Je brûle de vous embrasser tous, ma chère Fanchon! Mais si, après monsieur, cet embrassement a quelque douceur pour moi, je la devrai à M. Gaudet. C’est un homme bien essentiel, comme on dit ici. Mme Parangon se propose de passer quelque temps chez nous avec sa sœur. Je ne désespère pas du mariage; et entre nous, il faudra tâcher de l’y déterminer, tandis que nous la tiendrons là-bas avec sa petite sœur; on ferait venir Edmond. Car entre nous, je crains quelque chose; il m’a semblé que M. le conseiller voyait Fanchette avec des yeux d’admiration. Il faut tout prévoir. Si ce mariage s’arrangeait, le mien pourrait se faire aussi, moyennant ma fortune actuelle. Je ne t’en dis pas davantage; où la raison parle, tout s’entend.

Adieu, ma bonne amie.