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Lettre 39. Gaudet, à Edmond.

[Il le veut calmer par le récit des arrangements avantageux qu’il a faits pour Ursule.].

20 octobre.

Du calme! de la tranquillité! Tu ne m’écoutes pas; tu me liras peut-être! À quoi servent les menaces, l’emportement, la fureur? je suis de sang-froid, je vois mieux les choses qu’un homme hors de lui-même. Cette aventure est malheureuse; mais l’issue en peut être ta fortune et celle de ta sœur, sans que l’honneur de cette dernière y perde rien; c’est à quoi je travaille: tout est conclu. J’ai droit d’exiger quelque complaisance de ta part: c’est moi seul qui ai découvert ta sœur, par mes soins infatigables, en faisant suivre en même temps les démarches de trois hommes que je soupçonnais, un financier, un vieux seigneur italien et le marquis. Que mon zèle au moins me donne quelque empire sur ton esprit, et que le succès de mes démarches t’inspire quelque reconnaissance!

Hier, j’ai vu la famille du marquis, et muni d’une lettre assez longue d’Ursule à Laure, j’ai parlé comme peut le faire à des coupables un homme qui tient la preuve du crime, comme le doit l’ami des offensés. On l’a pris sur un ton de hauteur. Je me suis concentré; j’ai gardé deux minutes ce terrible silence qui précède l’éruption enflammée des passions, et comme un autre Flaminius, j’ai dit: «Je ne vous donne qu’un quart d’heure, tout-puissants que vous êtes, qu’un quart d’heure, pour m’accorder tout ce que je vais vous demander: après cet instant fatal expiré, je n’écoute plus rien, et vous verrez à quel homme vous avez à faire. (On a souri dédaigneusement…) C’est à celui qui s’est fait donner les ordres pour reprendre la demoiselle, qui pouvait les étendre jusqu’au marquis, et qui cependant lui a fait grâce… Je vous préviens d’avance que je n’exige pas un mariage; c’est à l’honneur à vous dire là-dessus ce que vous avez à faire.» Ces derniers mots ont réveillé l’attention. Le comte m’a dit: «Que demandez-vous donc? – Une fortune pour la demoiselle, qui la dédommage d’un mariage qu’on était prêt à faire, et dont j’ai toutes les preuves; le jeune magistrat de province qu’elle allait épouser, a cent mille écus au moins: il me faut un don pareil pour la demoiselle, afin qu’elle puisse vivre dans l’indépendance le reste de ses jours, si elle le veut, et que la connaissance de votre fils ne la retienne pas dans un état au-dessous de celui, qu’elle aurait eu. C’est bien assez qu’il l’empêche d’obtenir la qualité d’épouse d’un honnête homme, celle de mère de famille, sans que son action la condamne encore à vivre dans l’indigence, fille, et déshonorée…, peut-être enceinte: car, voici la conduite du marquis… Trois attentats commis…, et un dont on ne parle pas… La conduite d’un forcené… Parlez, ou j’imprime cette lettre, avec des notes de ma façon; je ne m’en tiens pas là; je fais agir des amis aussi puissants que vous et que les vôtres, auprès d’un prince protecteur des innocents et vengeur des crimes… Mais, je sens que je me suis peut-être trop vivement exprimé, en parlant à des gens d’honneur… Ma demande est juste: je préfère de vous avoir pour juges, à vous avoir pour parties. Je ne suis cependant autorisé par personne: ses parents sont au désespoir, un frère qui est ici, ne respire que le sang et la vengeance; mais terminons et mon meilleur moyen auprès de ces gens-là, sera notre traité: il le faut éblouissant pour la famille; il faut qu’il la détermine à intimer ses ordres au fils. Ce jeune homme, plein de cœur, de la plus heureuse figure, propre à tout, trouverait des protecteurs, et surtout des protectrices j’ose vous inviter à le prévenir. Il n’y a point ici de honte réparer un crime honore le réparateur, presque autant que les plus sublimes vertus…» «Monsieur, a dit le comte, après avoir lu la lettre d’Ursule, si j’avais deux fils, je sacrifierais celui-ci à la vengeance publique: mais je n’en ai qu’un.» La famille du comte, qui s’était assemblée pour m’entendre, a parlé le même langage: le marquis a essuyé les plus cruels reproches. On est ensuite convenu qu’on m’accorderait ma demande. Je te fais grâce de quelques discussions, pour en venir au fait. On m’a dicté un écrit, pour le faire signer à ta sœur. Je l’ai tracé de ma main, tel que le voici:

«Je soussigné, Ursule R **, fille mineure, âgée de dix-huit ans trois mois, de présent à Paris, où ma famille m’a envoyée, sous les auspices de Mme Parangon, amie de madite famille, et sous la conduite de la respectable dame Canon, sa tante, reconnais, qu’ayant été enlevée par des paysans, dans la rue des Billettes , à Paris, j’ai été heureusement rencontrée et délivrée par M. le marquis de ***, qui me trouvant évanouie et sans connaissance, m’a conduite dans une petite maison à lui appartenante, du côté de la Chaussée d’Antin , où il m’a mise en sûreté. Qu’étant revenue à moi, ledit sieur marquis m’a parlé avec respect, soumission et tendresse. Que sur la demande que je lui ai faite, d’être ramenée chez Mme Canon, il s’est mis en devoir de me satisfaire; mais que ma faiblesse, causée par la frayeur, et par la fièvre qui s’était allumée, ne l’ayant pas permis, il a continué de me garder, en usant avec moi de la manière la plus obligeante. Qu’à la vérité, il m’a parlé d’amour, mais comme peut le faire un honnête homme. Que je l’ai paisiblement écouté; qu’un jour n’ayant pas bien compris ce qu’il me disait et, ayant donné une marque d’acquiescement, ledit sieur marquis trompé, pensa que je consentais à couronner sa tendresse, et se conduisit en conséquence, tandis que moi, encore effrayée de mon enlèvement, et croyant que l’action du marquis en était une suite, j’ai perdu l’usage de mes sens; situation dont le marquis ne s’est point aperçu… Qu’après l’injure involontaire qu’il m’avait faite, le marquis m’a exprimé ses regrets de la manière la plus vive et la plus vraie. Que pour réparer, autant qu’il est en lui, et qu’il convient à un fils de famille encore sous l’autorité de ses parents, le mal que j’avais souffert par son erreur, il a promis d’engager ses parents à me faire le capital de quinze mille livres de rentes; que j’ai promis d’accepter, en lui délivrant la présente reconnaissance, pour servir et valoir en toute occurrence où elle sera nécessaire. Fait à Paris, ce octobre 17… Approuvé l’écriture. URSULE R **.».

J’ai fait signer cette décharge à ta sœur, comme une lettre à tes parents, où je la priais de mettre sa signature pour les tranquilliser. Elle ignore ce qu’elle a reconnu, et je crois qu’il est à propos qu’elle n’en soit pas de sitôt instruite. Le mal est fait: en exigeant un prix aussi fort, pour acheter le silence d’Ursule, je n’ai pas seulement en vue de lui faire un sort, mais de diminuer aux yeux, du monde, et d’une famille distinguée, la distance que le rang et les richesses mettent entre ta sœur et le marquis de ***: cent mille écus sont une dot honnête; et si l’attentat avait des suites, qu’un fils, par exemple, vînt appuyer des droits légitimes, nous pourrions prétendre à un mariage: c’est un plan que je n’abandonne pas; au contraire, toutes mes démarches, et en particulier celle-ci, tendent à le réaliser.

Ainsi, mon cher il s’agit ici d’acquitter la parole d’honneur que je viens de donner aux parents du marquis, en leur remettant la déclaration, et en recevant d’eux, en bons effets, la somme convenue. Je la place sur-le-champ: parce qu’un notaire de ma connaissance se trouve avoir un fonds très avantageux à vendre à l’amiable, l’acquisition produira au-delà de l’intérêt ordinaire, c’est une excellente occasion! Les vendeurs partent pour les colonies, et, ils sont enchantés d’emporter une somme ronde avec eux; cette considération leur a fait rabattre du prix une vingtaine de mille francs. Ce nouvel acte vient d’être signé par Ursule, en ma présence: ainsi tout est fait. Je compte sur ton amitié, sur quelque reconnaissance pour mes soins, sur la considération de ton intérêt; je dis plus, de ta sûreté: car avec la déclaration d’Ursule, la famille, en cas de vengeance, te perdrait sûrement. Je suis,

Ton fidèle ami, à toute épreuve.

P.-S. – Le conseiller vient d’arriver: de la prudence avec cet homme! Mon intention est de ménager tous les partis, de les tromper s’il le faut, et de n’être utile qu’à toi.