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Lettre 112. Ursule, à Laure.

[Écarts effroyables de la pauvre infortunée.].

Un mois après la précédente.

Une jolie vie, ma mignonne!… En vérité, nous sommes de vraies libertines!… Heureusement il est parti! Mais ce pauvre marquis! il ne savait en vérité comment prendre la chose! Je lui rétorquais ses arguments d’autrefois; puis je riais comme une folle: il ne savait si cela était sérieux, ou un simple badinage. Edmond était plus instruit; mais il n’osait parler. Ton conseil a été excellent! je lui ai fermé la bouche. Que j’aurais ici une belle Relation à te faire!… mais il est tant de petits mystères!… Il faut pourtant que je m’y amuse: je suis lasse des réalités, je veux un peu exercer mon imagination… Foin de moi! la jouissance l’éteint; il ne me vient rien du tout! Que ce petit Magot de N’ègrèt était un grand sot, de me dire que ça donne de l’esprit! C’était apparemment pour me tenter par quelque chose! mais je ne le suis pas de me débarrasser de ses importunités à ce prix-là. Je l’ai proposé l’autre jour à Marie. Elle m’a répondu, par une grimace, qui t’aurait fait mourir de rire… Voyons donc si je me mettrai en train par ces misères… Je vais écrire ab hoc et ab hac ; si, quand j’aurai fini, je vois que cela soit trop décousu, ou que j’aie été trop sincère, je serrerai ma lettre dans mon secrétaire, et tu ne l’auras pas.

Il faut avouer que Gaudet est arrivé bien à propos! Je commençais à mourir d’ennui avec le marquis l’ami a jeté de la variété dans l’assommante uniformité qui me donnait des vapeurs. J’aurais envie de te peindre son début, lorsqu’il m’aborda le jour de son arrivée. J’étais sous le déshabillé le plus voluptueux: une simple gaze me couvrait, sans presque rien cacher, si ce n’est dans quelques endroits, où elle formait des doubles. Je me suis levée pour le recevoir; ma mule, dont le talon gros comme le petit doigt, était fort élevé, a fait tourner mon pied: l’ami m’a recueillie dans ses bras, et ce qu’il n’aurait osé qu’après me l’avoir demandé, il l’a pris, un baiser à la Colombe . Nous sommes revenus vers mon sofa: il s’est assis, auprès de moi sur une jaseuse. Je lui ai fait signe de se mettre à mes côtés. Il s’est précipité vers moi avec un empressement qui m’a fait deviner son dessein… En vérité j’en étais charmée! aussi n’ai-je pas fait la difficile… J’étais bien aise d’ailleurs, de savoir quelle tournure prendraient ses sermons, après cela. Car il en fait aussi. J’ai observé qu’il les contredisait dans la pratique. Mais voilà les hommes!… Soyez sage, réservée, donnant peu … (aux autres); prodiguant tout, au sermonneur . Il était un peu étonné, après; moi, j’ai conservé la même aisance, il m’en a fait compliment. J’ai voulu rougir, et j’ai rougi. Ensuite je l’ai agacé, avec une coquetterie, qu’il a nommée délicieuse . Il n’a pu y tenir… J’ai voulu mettre les principes de mon mentor à l’épreuve. Ô ma chère amie, quand le mets est assaisonné à leur goût, ces philosophes se gorgent tout comme les plus grossiers des mortels: je n’oserais te dire jusqu’où j’ai mené le nôtre!… Je lui en ai fait honte; et il n’en a point eu; car avant de me quitter, il m’a fait une nouvelle prière. J’ai refusé net: j’ai pris à mon tour l’air pédagogue, et j’ai parodié la prude Parangon d’une manière qui l’a encore plus enflammé, Rien; j’ai été inexorable. Il est parti.

Une heure après, j’ai reçu un billet de mon prudhomme:

Gaudet, à Ursule.

Tu es une divinité: car tu rends trop heureux, pour n’être qu’une magicienne. Ah! belle URSULE! tu feras des hommes tout ce que tu voudras, par ce qui les rend infidèles aux autres femmes! Non, je ne te; dirai plus d’être réservée; l’univers y perdrait trop de bonheur! charmante fille! je te rends grâces; tu m’as aujourd’hui fait connaître la félicité, et tu m’as conservé la vie; il ne tenait qu’à toi d’en épuiser la source. Adieu; et sois plus sage que ton .

MENTOR.

Tu vois qu’il n’est pas mal enthousiaste, et pas mal injuste envers son ancienne bienfaitrice.

Le lendemain, nous n’avons pu nous parler en particulier: je n’en étais pas fâchée, et je fuyais les occasions. Mais j’ai voulu porter un peu de désordre dans son imagination: je lui ai donné un rendez-vous, que j’étais sûre de ne pas réaliser; le marquis en a profité. Depuis quelque temps, je tiens ce dernier au régime: comme il est assez pressant; je me suis attendrie, et je l’ai mené où notre ami m’attendait. Il a fallu que ce dernier se cachât. Le marquis m’a exprimé sa tendresse, et j’y ai répondu. J’avais eu l’attention de me placer de manière que mon pied allait justement toucher le prisonnier; je l’avançais en dessous, comme pour lui faire signe de ne pas remuer. Je voulais voir s’il se fâcherait, et s’il ne m’en donnerait, pas quelques marques: mais au contraire, j’ai senti qu’il le pressait tendrement de ses lèvres. J’ai été touchée de la peine que le lui causais, et j’en étais si réellement, pénétrée que le marquis a dû les plus heureux moments qu’il ait encore passés avec moi aux sentiments que m’inspirait son rival. Nous sommes ensuite sortis; et je n’ai eu garde de revenir dans le boudoir: j’ai envoyé Marie dire à l’ami que j’étais engagée pour le reste du jour; qu’il fallait remettre la partie au lendemain.

Ce jour-là, je me suis encore amusée à ses dépens: il m’a semblé que par là j’aiguiserais ses désirs, et que je leur donnerais une énergie que la plus belle femme ne sait pas toujours procurer. Je l’ai rendu témoin d’une infidélité que je fais au marquis avec le duc de ** son ami. J’ai pris la même position que la veille, pour la conversation; j’ai avancé le pied dans un moment où je riais de tout mon cœur. Mais ce n’a pas été tendresse ici: le prisonnier m’a fait un mal horrible, et j’ai poussé un cri aigu. Ce qui a produit un effet merveilleux pour le duc; il a cru… les hommes sont bien avantageux!… Je l’ai laissé dans son erreur. J’ai fini, la conversation, et nous sommes rentrés chez moi. Le marquis est venu; on a joué, et j’ai fait prier notre ami d’être notre quatrième au vingt un.

J’attendais avec curiosité l’effet de mon expérience le lendemain. Il a boudé; il n’est pas venu. Je me suis tranquillisée. Enfin le quatrième jour il a paru. J’étais seule.»Madame est seule! – Oui, je vous attends. – Avant-hier, hier, vous m’attendiez? – Non; ce que j’ai fait, c’est exprès. – Ah! cruelle! – Aveugle, bénissez-moi; je n’ai que vous en vue.» Il m’a comprise, et j’ai eu peine à modérer ses transports. Que de remerciements il m’a faits! Comme il m’a exaltée!…

Mais un malheur nous attendait ce jour-là: je dis un malheur, parce que je crois que cela doit avoir fait de la peine à mon frère. Nous sommes passés dans mon boudoir des rendez-vous. J’ai pris par hasard la même position que les jours précédents, et ce qui m’a surprise, dans la même circonstance que la veille, je me suis. senti serrer le pied. Un mouvement de frayeur m’a fait le retirer vivement, en même temps que je me suis à demi soulevée pour regarder. Je n’ai rien vu. Ensuite faisant réflexion que ce ne pouvait être que le marquis, ou mon frère, j’ai fait la prude; j’ai montré des regrets de ma chute; j’ai versé des larmes. L’ami était d’un étonnement stupide; mais il s’est remis. Je suis rentrée dans mon cabinet de toilette, où il est venu se mettre à mes genoux, en me jurant que Mme Parangon ne s’en, acquitterait pas mieux. Il croyait que je le faisais pour me divertir, et lui montrer tous mes talents. Cependant j’avais de l’inquiétude. J’ai sonné Marie, et je lui ai dit tout bas de savoir adroitement qui s’était caché dans mon boudoir. Elle est revenue me dire à l’oreille que c’était Edmond. Comme j’ai mes desseins à son sujet, j’en ai été charmée, dans un sens, et nous sommes retournés l’ami et moi. Je ne me suis pas contrainte et je me suis abandonnée à tout ce que le sentiment a de plus recherché, de plus délicieux. Il en était si émerveillé, qu’il n’a pu s’empêcher de me demander de qui je tenais ces charmants… Je suis bien fâchée de ne lui avoir pas dit que c’était de la belle. bégueule: mais j’étais trop occupée en ce moment. J’ai reposé mon pied à l’endroit de la cachette; mais on n’y a touché que pour faire quitter imperceptiblement ma mule, que je n’ai pu retrouver. Ce qui a été cause que l’ami m’a reportée dans ses bras jusque sur mon sofa dans le petit salon, où j’ai voulu aller. Là, j’ai avoué à l’ami qu’Edmond nous avait vus. Il en a paru surpris, et il est sorti quelques instants après.

J’attendais l’orage. En effet, dès que l’ami a été parti, j’ai vu paraître Edmond, ma mule à la main. Il l’a jetée à mes pieds de sa hauteur, sans me dire un mot, et s’est retiré en levant les yeux au ciel. Je l’ai rappelé: mais il n’a rien voulu entendre. J’ai achevé ma toilette, et je me disposais à sortir, quand mon frère est rentré. J’ai jeté un coup d’œil sur la glace; j’étais… à croquer… je ne me suis pas remuée. Il est venu me prendre la main. «Est-il possible! – Que veux-tu dire! – N’as-tu pas, tout à l’heure… – Eh bien, sans doute! ne lui devons-nous pas assez? ne le mérite-t-il pas autant que le marquis? Voilà toujours où tu en reviens! – Mais, c’est vrai! c’est que tu m’y forces. Laisse faire à ma prudence; va, je me conduirai pour le mieux. Si j’étais encore belle, ce serait autre, chose; mais puisque m’y voilà, ne désobligeons pas nos amis.» Il n’a su que me dire. Il a encore levé, les yeux au ciel, il m’a serré la main, l’a baisée, et m’a quittée précipitamment.

J’ai appris ensuite indirectement que la marquise lui donne des chagrins par ses infidélités: il paraît que son attendrissement avec moi venait d’une comparaison, qu’il faisait de son sort avec celui du marquis, et peut-être même l’ai-je un peu consolé, en lui prouvant, que les autres ne sont pas plus heureux que lui. Car c’est une consolation au moins et je t’avouerai que je serais enchantée, en suivant mes fantaisies, d’avoir diminué le chagrin de mon frère! L’ami l’a évité, depuis le tête-à-tête où nous avons été vus, et je crois que son départ précipité a eu pour cause la honte… de quoi? de m’avoir rendu hommage? En vérité, je lui en aurais voulu, s’il m’avait froidement admirée, j’aurais été incrédule à tous ses éloges! Tu me diras si son départ a eu d’autres raisons?