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25. Votre frère ne tient de moi aucun livre licencieux; je les regarde comme des poisons; et si vous en avez eu de lui, comme je l’apprends, il les a reçus d’ailleurs: je le désapprouve fort de les avoir lus; je ne lui pardonne pas de vous les avoir prêtés: je crains même que le tort qu’ils vous ont fait ne soit irréparable; mais jetez-les au feu, et pour préservatif, lisez, je vous en supplie, deux ouvrages que je lui envoie, le Traité de l’Onanisme , et le Livre d’Astruc .

Tous les livres de votre frère, à l’exception du Voltaire et des Théâtres , ne sont pas faits pour vous, belle Ursule; et les deux derniers ne vous conviennent que par occasion. Voici comme je composerai votre bibliothèque particulière: 1. Les Opéras-comiques , dont vous ferez votre lecture favorite, et toutes les Comédies ariettes , dont vous vous étudierez à bien savoir les airs, pour briller en compagnie. Cela n’a pas le sens commun: mais une jolie femme, pour être à la mode, doit paraître ne pas l’avoir. 2. Tous les romans, exceptés ceux des Scudéry : ainsi vous aurez la Princesse de Clèves, Mme de Villedieu, Hippolyte Douglass , le Sofa et tout Crébillon fils, Angola , les Bijoux indiscrets , le Grelot , les Lettres d’un Singe , celles du Marquis de Rozelle , l’Héloïse ; en un mot tous les romans qui sont bien écrits. 3. Le Chansonnier français , l’Anthologie française . 4. les Contes des Fées . 5. Les Mille et Une Nuits , les Mille et Un Jours ; et si vous pouvez en trouver un exemplaire, les Mille et Une Faveurs , que vous lirez avec le marquis, en faisant bien la naïve; car il ne faut pas imiter une jeune personne de dix-neuf ans, avec laquelle je les lisais un jour, qui trouvait toutes les anagrammes obscènes beaucoup mieux que moi.

Je crois que voilà tout pour votre bibliothèque; les romans qui ont quelque mérite, garniront une pièce entière. Pour l’histoire, la philosophie, la physique, fuyez tout cela; une femme savante, ou seulement pensante, est toujours laide, je vous en avertis sérieusement, et surtout une femme auteur…

À propos! qu’est-ce donc que m’a dit Laure? que vous vouliez écrire. Ah ciel! une femme autrice ! mais c’est le comble du délire! Examinons cela ensemble de sang-froid; car à vous parler sincèrement, je n’en ai rien cru; ainsi vous êtes désintéressée. Il me semble que si je voyais à la promenade une jolie femme qui me plût infiniment, dont je ne pourrais détourner la vue, il suffirait de me dire: – Elle est autrice: elle a fait tel et tel ouvrage, pour m’inspirer à son égard un dégoût si complet, qu’il irait jusqu’aux nausées. – Pourquoi cela, me direz-vous? – Ah! le voici, ma belle. Une femme autrice sort des bornes de la modestie prescrite à son sexe. La première femme auteur est, je crois, Sapho : elle écrivit en vers, comme quelques-unes de nos belles d’aujourd’hui. Je leur demande si elles souhaitent qu’on leur attribuent les mœurs de cette lesbienne? Toute femme qui se produit en public, par sa plume, est prête à s’y produire comme actrice, j’oserais dire comme courtisane: si j’en étais cru, dès qu’une femme se serait fait imprimer, elle serait aussitôt mise dans la classe des comédiennes, et flétrie comme elles. Ainsi, je ne permettrais d’écrire qu’aux femmes entretenues et aux actrices. J’accorderais aux autrices le privilège flétrissant des filles de théâtre, qui les soustrait au pouvoir paternel: car c’est là surtout ce qui établit la bassesse des comédiennes, les tire du rang, de citoyennes, et les place dans la clam des prostituées. Si jamais vous en veniez à vous faire inscrire, il faudrait que les circonstances les plus malheureuses vous y eussent réduite; ce que toute la prudence humaine ne peut quelquefois prévoir. Vous, pourriez écrire alors, si vous en aviez le talent: mais il faudrait faire des ouvrages utiles aux femmes seulement, en leur dévoilant tout ce qui les dégrade, sans jamais vous donner l’air d’instruire les hommes! Si vous avez besoin d’un guide dans cette carrière, ne prenez jamais un savant de l’Acade; ces messieurs ne sont pas propres à vous y diriger; ils gâtent les ouvrages des femmes, par leur régularité pédantesque. J’en ai vu l’exemple le plus frappant au sujet des Lettres de Catesby , cet ouvrage charmant d’une femme que j’excepte de cette critique, ainsi qu’une autre non moins célèbre?: le libraire de Catesby connaissait un philosophe; il le consulta sur le manuscrit: celui-ci le jugea inférieur aux Lettres de Fanny , de la même auteur. Pour son honneur, il faut croire, qu’il ne l’avait pas lu, ou que la philosophie ne se connaît guère en élégance et en intérêt.

Il ne me reste plus à vous dires pour terminer cette longue lettre, premièrement qu’un mot sur les préjugés écoutez-les, toutes les, fois que leurs chimères peuvent avoir des effets réels sur l’esprit de ceux que vous aurez intérêt de ménager.

Deuxièmement que je vous crois beaucoup plus facile à conduire que votre frère, qui tient des bas-Bourguignons pour l’entêtement. C’est un vice des paysans de tous les pays, mais surtout des paysans français. Il en est peu d’aussi malheureux, non par le genre de notre gouvernement, qui est fort bon, mais par les charges, et par les seigneurs, qui ont trop d’autorité. Dans un village, comme le vôtre, où il n’y a pas de seigneur visible, parce que c’est un corps, où l’on a des bois communaux, où les habitants s’assemblent pour des affaires d’intérêt commun, pour des nominations de syndics, de collecteurs, de pâtres, on est républicain comme un Genevois, entêté, fier, ou du moins patriarcal, comme votre père. Au lieu que dans les autres villages, où séjournent les seigneurs, on est bas, rampant, souple; mais sans énergie, sans capacité pour le bien. Tous ces villages policés ne valent pas le vôtre: on a beau y fêter les seigneurs, ils ont beau faire du bien, la manière dont ils le font, empêche qu’on ne les aime. Je m’applaudis de ce que vous n’êtes pas née dans ces derniers endroits; vous en avez l’âme plus noble, vous en êtes plus capable des grandes choses. À la vérité, vous auriez été Rosière : mais où cela vous aurait-il menée?… À propos des Rosières , c’est une épidémie depuis quelque temps. Je ne sais qu’en penser, et au fond de l’âme, j’ai senti que je désapprouvais ces. institutions, avant de pouvoir m’en rendre raison à moi-même. Ce n’est que cette répugnance machinale, qui m’a fait en chercher la cause. J’ai d’abord vu que la vertu de village est simple, naïve, sans prétention, et que le Rosiérat détruit ces trois qualités, pour y substituer une dangereuse émulation, l’envie, l’hypocrisie. J’ai ensuite vu que pour augmenter le mal, les seigneurs et les dames de paroisse venaient eux-mêmes donner le prix, en étalant leur magnificence aux yeux de simples paysans – ce qui fait tenir à ces bonnes gens, un propos que j’ai entendu: «Mais qu’avons-nous donc fait à Dieu, nous qui sortons d’Adam, comme ces gens-là, pour être pauvres, impuissants, méprisés, tandis…» J’ai ensuite observé, que des endroits voisins d’un rosiéra, il se faisait une émigration nombreuse de laquais, de femmes de chambre, de cuisinières, qui venaient en foule à Pans, éblouis par la magnificence du seigneur et de la dame; que plusieurs de ces filles devenaient des catins, etc. J’en ai conclu, que si on institue des Rosières , il faut éviter de mettre de l’ostentation dans la cérémonie; que ni les seigneurs ni les dames ne doivent y donner de l’éclat; la vertu de village est une violette, que fane l’air de la ville, ou la présence de: ceux qui l’ont, l’or, les diamants l’éclipsent, au lieu de la faire briller… Mais je sors ici de mon sujet. Revenons-y, et je termine.

Il est nuisible pour nos intérêts bien entendus, surtout pour ceux d’Edmond, que vous soyez femme de théâtre: il faut éviter toute espèce d’avilissement, ou ce qui est tel aux yeux du monde. Si vous avez des galanteries, il faut qu’elles aient un air philosophique, et qu’au lieu de vous avilir, elles vous élèvent au contraire par-dessus tout ce qu’on nomme décence bourgeoise. Il faut être libre, et si vous sacrifiez jamais votre liberté, il faut que le personnage soit si grand, qu’il y ait de l’honneur à dépendre de lui. Il faut compenser par des vertus réelles tout ce que le vulgaire appelle vice; il ne faut ni étourderies, ni folies, ni rien qui puisse faire dire au peuple: ces filles-là dépensent comme elles gagnent . Une jeune et jolie personne de ma connaissance avait reçu d’un magistrat son amant les fleurs les plus rares: il lui prit fantaisie, après qu’elles furent arrangées dans la corbeille de son parterre, de les fouler aux pieds, en dansant dessus. Ce trait la fit traiter de G… par son coiffeur, et par tout le village.

Adieu, belle Ursule. Vous voyez que je ne suis pas un si mauvais moraliste. Consultez-moi donc avec confiance, et soyez sûre, que je ne vous répondrai pas comme à tout le, monde mais conformément à ce qui vous sera utile, suivant les circonstances.