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Lettre 97. Ursule, à Gaudet.

[La pauvre infortunée avoue sa turpitude, et découvre celle de son Lagouache, qui est horrible.].

15 janvier 1753.

Mon frère vous a tranquillisé à mon sujet, l’ami; je sais qu’il vous a écrit le 31 du mois dernier. L’amitié, la reconnaissance et mon goût me mettent la plume à la main pour vous rendre compte de tout ce qui s’est passé depuis notre réunion. Vous serez content de moi j’espère: car je connais vos dispositions à mon sujet; Laure m’a parlé clairement, et je vais faire de même.

Vous savez que j’avais quitté la maison de Mme Canon, et que j’étais allée demeurer dans la rue du Haut-Moulin, avec Lagouache. J’aimais réellement ce jeune homme, et sa bassesse m’était absolument inconnue. Le premier soir, nous étions fort bons amis, et je vais vous avouer ce que je cache à Laure elle-même; ainsi le secret! je vous connais, et j’y compte; je vous avouerai donc que nous n’avons eu qu’un lit: c’était mon but, et je voulais forcer par là mon frère à faire mon mariage. Le lendemain, est arrivée la scène que je place au premier soir, dans mon récit à Laure, mais avec des circonstances encore plus humiliantes pour moi; car il me reprocha ma…; vous devinez ce mot, et me traita comme une malheureuse. Vous savez que j’ai du cœur; je fus piquée au vif, et je me conduisis comme je le marque à Laure. Le lendemain, il vint pour me demander pardon. J’étais tentée de l’accorder: mais un reste de décore à garder m’en empêcha pour l’heure. Cependant je m’adoucis beaucoup. Il sortit, et rentra dans sa chambre. Une heure après, Marie vint me dire qu’il était sorti. J’avais des doubles clefs à son insu: c’était une précaution que j’avais prise en faisant préparer l’appartement; j’entrai dans sa chambre, en faisant tenir Marie à une croisée de la mienne pour m’avertir, s’il revenait. J’ouvris son secrétaire avec ma double clef, et j’y trouvai un brouillon de lettre, conçu en ces termes.

Lettre de Lagouache, à Pastourel.

Je suis ici avec ma drôlesse come je ne conte pas de pouvoir lépouzer a coze de son frair e dune Dle Lore file entretenu e peu taite pis je la trete come une vile prize dassot e je ne la ménage pas je lé traitez hiair au soir comme une G-use pour que la reconsiliation me vaille ancor queque chose. Je la done pour ma Fame dans le voizinage et lé fai accroir a un voizin e une voisine for honêtejans pour quil ne foure pas leurs né dans mais affeir sil entendent du brui car cil fot la rocer je la roceré je lé traitez an marié la premiair nuit mes sa ete la plus belle ge né pas envie a presant de me genez tien mai une chanbe prete acote de toi je tanvoi di loui pour la meubler en chanbe de pentre cait la que nous riboteron aveque larjant de la donzelle ge la ferez chantez sur le bon ton e ge la travallerez de maniair que ci on man done le tantje la razerai au plus prais possibe come je ne pourai pas lepouzer et que je ses quelle te plet je te la cederé une de ses nuits san quelle le sache il fot bien fere queque choze poure ces amis elle le sora par aprais si. tu vœu quan cela cera pacez quaisse que sa me fera a moi voila une bonne obeine e cela oret été bien melleur cil i avet pu avoir un mariage car je noret pas fet le difficile o sujet d’un cairten marqui vu quil lui a degea fet un anfan tu voi que sa net pas a menager je tiré voir le pluto que je pouré car je ne vœu pas tro mabcenté que je naye fait mon cou de peur de manquez une bone ocasion je pille tou ce que je peus attrapé arjan bigeou mon cecretaire dont gé la clé ait degea bien garni .

Adieu, mon cher Pastourel.

ton ami LAGOUACHE.

Je te diré qu’elle me croi amoureu amoureu moi je meprise tro, les fame pour sa elle est joli mais je nanvizajeret sa ci elle etet ma fame que du cote de linteret tu mantans.

Comme j’achevais de lire cette lettre importante pour moi, Marie m’a fait le signal que Lagouache paraissait. J’ai refermé bien vite, sans avoir le temps de reprendre ce qu’il m’avait volé: mais je me suis promis de profiter de la première occasion; et pour qu’il ne se doutât de rien, j’ai laissé la lettre. Il est rentré. Mon parti était pris, et depuis ce moment, jusqu’à la fin, le relation de Laure est exacte. J’y ajoute que la journée même de mon départ, j’avais repris tous mes bijoux, et jusqu’aux dix louis envoyés pour meubler la chambre; apparemment qu’il avait cette somme à lui, en venant avec moi. Laure vous a marqué quel avait été son étonnement à son retour. Il n’a profité de rien, pas même de ce que je voulais lui laisser Laure est impitoyable pour les mauvais sujets. Je vais à présent parler de ma réconciliation avec mon frère. J’étais chez Laure depuis le 25 au soir, et il y avait déjà cinq jours d’écoulés que j’avais quitté Lagouache. Je priai Laure de sonder Edmond par lettre. Elle préféra d’y aller, et de pénétrer ses dispositions. Elle les trouva assez favorables pour me dire qu’il fallait me montrer. Elle l’envoya chercher par Marie, que je veux garder avec moi, quoiqu’elle ne sache pas coiffer; je prendrai une femme de chambre. Edmond en voyant cette fille a paru transporté de joie, «Des nouvelles de ma sœur! – Oui, monsieur; Mme Laure vient d’en recevoir; elle vous attend.» Il a tout quitté. Marie, qu’on avait envoyée en voiture, a tâché de le devancer, pour nous prévenir. Laure l’a attendu; moi, j’ai passé dans une autre pièce.

«Eh bien, chère cousine, a dit Edmond, en entrant, URSULE met-elle fin à mon tourment! – Oui, mon ami. cette pauvre fille ne songe qu’à toi, et ta peine l’occupe bien plus à présent, que l’envie de faire son mariage. – Serait-il possible? Où est-elle? m’est-il permis de la voir? – je ne sais. – Ah Dieu! Vous me flattez, Laure!» À ce mot, je n’ai pu me retenir, je suis venue par-derrière sur la pointe du pied, et je l’ai embrassé. Il m’a reconnue à ma main. «C’est ma sœur!» et il a porté cette main à sa bouche. J’ai été touchée au-delà de toute expression; je me suis jetée dans ses bras, fondante en larmes: «Jamais, jamais, me suis-je écriée, je ne donnerai le moindre chagrin à un si bon frère! qu’il parle; ses volontés seront des lois pour moi.» Edmond m’a serrée contre son cœur, sans pouvoir me répondre en ce premier moment; et lorsqu’il allait parler, le marquis est entré. Ça été une autre scène: mais comme elle m’intéresse moins, je ne la décrirai pas.

Depuis ce moment, je les ai vus tous deux à chaque instant, ou ensemble, ou au moins l’un d’entre eux. J’ai cru devoir prêter l’oreille aux propositions du marquis appuyé par mon frère… Ce n’est pas que je ne voie fort bien que l’honnêteté d’Edmond est la dupe du projet du marquis; mais je dois tant à ce cher frère, je vous dois tant à vous-même, que je me crois obligée de vous sacrifier une vaine délicatesse: les restes d’un Lagouache valent-ils la peine que je vous mécontente?

Il faut à présent vous dire un mot de la manière dont ce malheureux a cédé au marquis ce qui ne lui appartenait plus. De concert avec Laure, j’ai soigneusement caché les torts de ce vaurien afin de me donner un certain prix. Edmond m’en croyait encore amoureuse: cependant à la manière prompte avec laquelle j’ai consenti à l’épreuve proposée par le marquis, un Gaudet m’aurait devinée; mais mon frère est encore bonasse. Le marquis l’a fait venir chez Laure: nous nous sommes cachés, Edmond et moi. M. de*** lui a fait la proposition de m’épouser, pour me céder ensuite. Lagouache a consenti, sans la moindre difficulté, d’une manière si vile, si basse, que l’eussé-je encore adoré, je l’aurais pris en horreur. J’étais humiliée du peu de valeur qu’il me donnait. Ah Dieu! que j’ai méprisé toute cette espèce mercenaire! Les grands ont leurs défauts, mais que ces défauts sont aimables, en comparaison de ceux des gens sans éducation! J’ai fait à cette occasion la comparaison du marquis voulant m’enlever, employant la violence… Il était encore poli dans ses plus grands écarts; rien de mortifiant pour moi; ce n’étaient que des hommages; ses outrages marquaient l’excès de sa passion: du reste, que n’eût-il pas fait pour moi! quel bonheur à ses yeux, si j’avais daigné exprimer un désir! Que c’est avec justice qu’on méprise le peuple, et que vous avez raison quand vous dites qu’on pourrait justifier tous les préjugés, même ceux qui paraissent les plus odieux et les plus cruels!… Cédée, humiliée, je pleurais de rage, et j’ai laissé croire que c’était d’amour. Le marquis a envoyé Lagouache l’attendre à son hôtel, pour conclure, et il est venu essuyer mes larmes, auxquelles il supposait une source plus douce. Je ne l’ai pas détrompé: eh! le pouvais-je? mais je l’ai assuré que c’étaient les dernières. On dit que le vil Lagouache a été fort maltraité chez le marquis. Je sens que la pitié me parle encore pour lui; car j’en suis fâchée.

Pour terminer mon récit, je n’ai plus qu’à vous ajouter que j’ai accepté les propositions du marquis. Aux yeux d’Edmond, c’est un dédommagement qu’il me doit, et dont il s’acquitte; entre le marquis et moi, c’est une liaison, et il m’entretient. J’aurai soixante mille livres par an. Ce qui me flatte davantage, dans ce revenu considérable, c’est l’emploi que je me propose d’en faire. Venez bien vite ici; car Edmond est riche dès que je la suis, et donnez carrière à vos brillants projets.

Adieu, l’ami.

Toute à vous.