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Ce fut Crébillon qui vint lui ouvrir.

Le poète ne parut pas autrement surpris de cette visite mais en revanche d’Assas tressaillit violemment.

Elle vit ce tressaillement et, croyant qu’il voulait la chasser, elle joignit les mains dans un geste suppliant.

Crébillon les regardait tous les deux avec une attention soutenue. Il paraissait très calme, seulement ses doigts battaient nerveusement un rappel frénétique sur le dossier d’une chaise qu’il avait saisi machinalement.

D’Assas cependant s’était levé et de sa voix fraîche et sonore, la regardant bien en face pendant qu’elle restait muette, trop émue pour parler, il dit doucement, avec une déférence visible:

– Madame, lorsque vous me fîtes l’honneur de me venir visiter dans ma prison, je me suis oublié jusqu’à vous dire des choses qu’un homme ne doit pas dire à une femme… quelle qu’elle soit… ce faisant, j’ai manqué au respect que tout homme bien né doit à une femme… je vous en demande pardon…

Elle leva sur lui des yeux brillants, se demandant si elle entendait bien, si elle ne rêvait pas, et ne trouvant pas un mot à dire elle éclata en sanglots, tomba à genoux et, avant qu’il eût pu faire un mouvement, saisit sa main et la baisa.

Vivement, d’Assas confus la releva en murmurant:

– Oh! madame!… que faites-vous?…

Et le pauvre chevalier éperdu regardait Crébillon comme pour implorer son secours.

Celui-ci, non moins ému, ne se fit d’ailleurs pas tirer l’oreille. Il approcha vivement un fauteuil dans lequel la jeune femme se laissa tomber, la tête enfouie dans ses deux mains, toujours secouée par d’affreux sanglots.

Le poète fit au chevalier un signe qui recommandait de se taire et de respecter cette douleur sincère, et posant doucement sa main sur la tête de la jeune femme avec une douceur infinie qu’on n’aurait jamais soupçonnée dans ce grand corps dégingandé:

– Pleurez, mon enfant, pleurez… les larmes sont bonnes, les larmes sont saintes parce qu’elles sont régénératrices… pleurez… parce que, avec les larmes de vos yeux tombent en même temps toutes les mauvaises pensées qui étouffaient votre cœur… pleurez, parce que ces larmes purifient ce cœur qui se dégagera pur et radieux… pleurez, mon enfant…

Et, comme une mère qui berce son enfant, l’excellent homme, en des paroles émues, laissait parler son cœur de poète et endormait la douleur dans ce cœur meurtri, pendant que d’Assas contemplait ce spectacle et écoutait avec une émotion qu’il n’essayait pas de cacher.

Enfin, la jeune femme parut se calmer.

Elle essuya ses yeux et dit avec un sourire triste et doux:

– C’est fini!…

Et comme ses yeux se fixaient sur d’Assas en prononçant ces mots, Crébillon esquissa un mouvement de retraite que le chevalier vit avec inquiétude, car il se demandait ce que venait faire la comtesse, et un tête-à-tête avec cette femme, qui, décidément, était de plus en plus étrange et extraordinaire, l’effrayait.

Juliette vit-elle cette inquiétude?… Comprit-elle ce qui se passait dans l’esprit de d’Assas?

Nous ne saurions le dire.

Toujours est-il qu’elle dit à Crébillon qui déjà gagnait la porte:

– Restez, monsieur, je vous prie… Vous pouvez entendre ce que je suis venue dire à M. d’Assas…

Crébillon s’inclina, satisfait au fond d’assister à cet entretien qui l’intriguait, devinant que sa présence pouvait être utile, tandis que d’Assas, de son côté, respirait plus à l’aise, satisfait de voir un tiers entre lui et cette femme déconcertante.

Juliette reprit, s’adressant à d’Assas, cette fois:

– Vous avez eu, tout à l’heure, la générosité de me demander pardon pour les vérités un peu dures peut-être que vous m’avez dites l’autre jour. Ces vérités, je les avais méritées par toutes les… sottises que je vous ai dites… dont je rougis aujourd’hui, et c’est moi, d’Assas, qui vous demande pardon…

– Oh! madame, je ne souffrirai pas!…

– Écoutez-moi, je vous prie… Oui, je vous demande pardon de vous avoir, par mes folles paroles, par mes actes méprisables et, je le sens aujourd’hui, indignes d’un cœur honnête, mis dans la cruelle nécessité de me dire des choses que vous vous reprochez dans la bonté de votre cœur… alors que je reconnais maintenant et que je déclare hautement, devant monsieur qui m’entend, qu’elles étaient fort au-dessus de ce que je méritais.

– Je vous en conjure, madame, dit d’Assas, ne parlons plus de cela… j’ai tout oublié pour ma part… et… je serais heureux, croyez-le, si vos paroles et vos actes futurs me permettaient de ne me souvenir que du service que vous m’avez rendu l’autre jour et de vous remercier autrement que par de vaines paroles, comme je le fais en ce moment…

La comtesse le regarda avec une pointe d’attendrissement étonné et murmura, pour elle-même:

– Il serait donc vrai…?

Puis, secouant sa tête charmante d’un air résolu, elle répondit:

– Peut-être avez-vous raison… mais ce que j’ai à vous dire me ramènera forcément à parler de ce qui s’est passé entre nous… Rassurez-vous pourtant, j’éviterai autant qu’il me sera possible de rappeler des souvenirs qui me sont aujourd’hui plus pénibles et plus odieux qu’ils ne peuvent l’être pour vous… et si certains de ces souvenirs que je serai forcée d’évoquer devant M. de Crébillon sont humiliants pour moi… eh bien, ce sera ma punition… le commencement de l’expiation que je me suis imposée… uniquement pour mériter un peu de votre estime.

D’Assas s’inclina en signe d’assentiment.

La comtesse se recueillit quelques secondes et reprit:

– Pourtant, il est une chose que je veux vous répéter encore une fois… Je vous aime ardemment… de toutes les forces de mon être… Vous êtes le premier, le seul qui ait fait battre mon cœur, et ce cœur s’est donné pour toujours… il ne se reprendra jamais… quoi qu’il puisse advenir…

Je sais que je suis indigne de votre amour… vous ne pouvez descendre jusqu’à moi. Hélas! quoi que je fasse, je ne pourrai jamais m’élever jusqu’à vous, car rien au monde ne pourra effacer l’odieux et méprisable passé qui fut le mien.

Je n’espère donc rien… je ne demande rien… pas même votre amitié… mais il m’est doux de vous dire encore une fois que mon cœur vous appartient tout entier… que la misérable femme que je suis sera toujours heureuse de sacrifier sa vie et son bonheur à votre propre bonheur… Dites-vous bien cela, d’Assas, et ne l’oubliez jamais, car plus jamais maintenant je ne vous parlerai de cet amour.

Vous disiez tout à l’heure que vous attendiez mes actes et mes paroles pour me juger… En attendant les actes, vous allez pouvoir le faire tout de suite, car je vais parler avec une entière franchise et ce que je vais vous dire, c’est ma confession pleine et entière… si humiliante qu’elle puisse être pour moi… Plus tard, d’Assas, vous verrez que mes actes seront d’accord avec mes paroles.

– Je ne souffrirai pas, madame, que vous vous humiliiez… Tout ce que vous venez de dire, ce que vous avez fait pour moi me donne à penser que vous valez mieux qu’on ne vous a dépeinte à mes yeux, et je commence à croire qu’on vous a calomniée… Qui que vous soyez, quoi que vous ayez été, il y a certainement en vous des élans généreux qui ne demandent qu’à se développer… Je crois fermement que, si vous suivez les impulsions de votre cœur, vos actes seront tels qu’ils vous réhabiliteront aux yeux des honnêtes gens… Il est donc inutile de vous humilier, répondit d’Assas.

La comtesse hocha la tête comme quelqu’un qui est bien décidé, tandis que Crébillon disait:

– Laissez dire, madame… Les paroles comme les larmes sont parfois un soulagement…

– Vous avez raison, monsieur… ce me sera un soulagement immense de pouvoir découvrir mon âme devant deux hommes d’esprit et de cœur.

Les deux hommes s’inclinèrent.

La comtesse reprit:

– Vous disiez tout à l’heure qu’on m’avait dépeinte à vous et sans doute calomniée… On vous a donc parlé de moi?…

– Oui, madame, je l’avoue… mais…

– Oh! rassurez-vous, je ne vous demande pas le nom de la personne qui vous a parlé de moi… ce nom, au surplus, je crois le connaître… Est-ce la même personne qui vous a dit mon vrai nom et… ce que j’avais été?…

– La même, oui, madame, répondit d’Assas qui tout aussitôt ajouta vivement:

Cette personne aurait-elle menti?

– Non, pas sur ce point-là… Je sais bien ce qu’on vous a dit que j’étais, répondit Juliette en baissant la tête… Mais si on vous a dit que j’étais pour quelque chose dans la séquestration de Mme d’Étioles, on a menti… Je n’ai rien fait, je vous le jure, contre cette jeune femme, si ce n’est de prendre sa place dans la petite maison du roi… cela et une… méchante action que j’ai commise il y a deux jours, et que je vous confesserai, voilà les deux seules choses que j’aie à me reprocher; encore, de ces deux choses, tout au moins êtes-vous le dernier qui puisse me reprocher la première puisque, en prenant sa place, j’ai empêché Mme d’Étioles de devenir ce que je suis devenue… Me croyez-vous?…