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– Dix millions!… Je le savais riche… mais tout de même, pas à ce point. Dix millions!… C’est fabuleux!…

– Rassure-toi, Concino, expliqua Léonora, ces dix millions ne sortent pas de sa poche.

– Je me disais aussi!…

– L’évêque nous a apporté le fameux trésor de la princesse Fausta dont tu as entendu parler.

– Il existe donc réellement, ce fameux trésor? haleta Concini, dont les yeux brillaient de convoitise.

– Tout ce qu’il y a de plus réellement. Et voici un papier que m’a donné Richelieu qui indique exactement où on pourra le trouver.

Et elle tendit le petit feuillet à Concini qui le dévora des yeux. Quand elle vit qu’il avait terminé la lecture, elle demanda:

– Crois-tu que Richelieu se soit montré trop exigeant en demandant le poste d’aumônier de la reine en échange de ces précieuses indications?

– Non, cornes du diable! s’écria joyeusement Concini. Je trouve même qu’il s’est montré très modéré. Aussi, dès demain, je demanderai sa nomination… Après tout, Richelieu n’est peut-être pas aussi mauvais diable que je me le figure.

– Il va sans dire, ajouta Léonora avec un sourire qui en disait long, que ces renseignements et ces millions, Richelieu ne les donne pas à nous, mais à la reine.

Concini répondit par un sourire pareil et un geste qui signifiait clairement que la reine ou eux, c’était tout comme.

La joie que lui causait l’annonce inattendue de cette fortune colossale lui faisait oublier momentanément ses inquiétudes au sujet de Bertille et que Léonora n’avait pas dit son dernier mot. Ébloui, il répéta machinalement, comme s’il avait peine à y croire:

– Dix millions!…

Léonora eut un sourire indéfinissable et se penchant sur lui, l’enveloppant des effluves de sa pensée:

– Je te comprends, Concino, tu te dis qu’avec une fortune pareille, même si le roi ne disparaît pas, tu peux réaliser tes plus folles ambitions. L’or est le plus puissant des leviers quand il est placé dans des mains qui savent le distribuer avec à-propos.

– Eh cara mia! avec une somme pareille, j’achète… le roi lui-même, si je veux!

Léonora se pencha davantage et le brûlant de la flamme de son regard, d’une voix basse, sourde:

– Vous avez raison, dit-elle.

Jusque-là, elle l’avait tutoyé. Maintenant, elle lui disait vous. Il n’y avait rien d’extraordinaire à cela. Vingt fois par jour, il leur arrivait de quitter le ton familier pour le ton cérémonieux et ils n’y faisaient pas attention ni l’un ni l’autre.

Pourquoi ce brusque changement rendit-il Concini à ses inquiétudes? Il n’aurait su le dire, mais il eut l’intuition foudroyante que le moment approchait où elle frapperait et que tout ce qu’elle avait dit jusqu’à ce moment n’était que pour amener ce qu’elle allait dire maintenant.

Elle continuait imperturbablement, d’une voix où grondait comme une sourde menace:

– Croyez-vous donc que ces millions qu’on nous donne, nous n’allons avoir que la peine de les prendre et tout sera dit?… S’il en est ainsi, vous vous trompez singulièrement. Ces millions nous seront âprement disputés. Il faudra les conquérir de haute lutte… Et la lutte sera dure, acharnée, mortelle.

Concini se redressa, une flamme sous le sourcil:

– Tant mieux! Bataille!… Je ne demande que cela, moi!… Quoique, à vrai dire, je ne voie pas trop…

– Concini, dit froidement Léonora, pour retrouver le trésor, il va falloir faire des fouilles importantes. Ces travaux ne pourront s’effectuer sans éveiller l’attention de tous ceux qui savent que le trésor est à Montmartre… Et ils sont nombreux.

– Que faire à cela?

– Rien. Je le sais. Il n’en est pas moins vrai que nous aurons, dès ce moment, à lutter contre le roi.

– Corpo di bacco! grommela Concini rembruni.

– Le roi n’est rien! dit Léonora d’une voix tranchante. Nous aurons, et ceci est déjà plus grave, à lutter contre une nuée de prêtres qui convoitent ce trésor depuis qu’ils ont appris son existence, c’est-à-dire depuis plus de vingt ans. Et cela n’est rien!

– Diavolo, diavolo! murmura Concini de plus en plus rembruni.

– Nous aurons contre nous Jehan le Brave. Ne souriez pas dédaigneusement, Concino… Ce jeune homme sera plus redoutable pour nous que le roi et les prêtres réunis. Vous le comprendrez quand je vous aurais expliqué pourquoi. Jehan le Brave, comme le roi, comme les prêtres, ce n’est rien. Cependant vous devez comprendre que ceci est un motif de plus pour qu’il disparaisse. Vous devez comprendre enfin pourquoi, moi qui n’ai pas de haine contre lui, je l’ai condamné.

– Et moi, grinça Concini, en plus des raisons que vous me donnez, j’ai des raisons à moi, que je garde pour moi, qui font que ma haine ne désarmera jamais!… Aussi je vous réponds que ce truand ne périra que de ma main… et dans quels tourments! Tous les tourments d’enfer ne sont rien en comparaison. Et quant à ces dangers que vous me signalez, je ne pense pas que vous ayez dans l’idée de m’amener à renoncer à ces millions?

– Pourquoi pas? dit froidement Léonora en le regardant en face. Si l’entreprise vous paraît au-dessus de vos forces…

Concini eut un éclat de rire:

– Oh! chère amie, il ne fallait pas me parler de ce trésor auquel je ne pensais pas, moi.

Et avec une indomptable énergie, il ajouta:

– Ce trésor nous a été donné par Richelieu; je surmonterai ou supprimerai les obstacles, quels qu’ils soient, mais je vous jure que nul autre que moi ne le possédera!

Léonora le considéra avec une indéfinissable satisfaction. Et elle approuvait doucement de la tête. Elle reprit:

– Je pensais bien que le danger n’était pas fait pour vous faire reculer. Mais si nous voulons mener à bien cette affaire, il est indispensable de considérer en face les obstacles que nous aurons à surmonter. Je continue. Nous aurons contre nous un homme qui, à lui seul, est plus à redouter encore que tous ceux que je viens de vous nommer. Parce que cet homme, en plus de la force et du génie d’intrigue qui lui ont permis, dans sa longue existence, de surmonter toutes les embûches et finalement de terrasser des forces formidables qui eussent pulvérisé tout autre que lui, cet homme, dis-je, aura pour lui la force du droit.

– Qui est-ce? gronda Concini, le poing crispé sur le manche de sa dague, l’œil sanglant, le mufle menaçant.

– Je vous dirai son nom, Concino. Pour l’instant, sachez que cet homme est le propre père de celui à qui appartient ces millions que nous convoitons. Et qu’il défendra furieusement le bien de son fils.

– J’ai entendu dire, fit Concini à voix basse, que la princesse Fausta a donné ses millions à son fils?

Léonora fit signe que oui de la tête.

– Ce fils de Fausta n’est donc pas mort, comme on le croyait? Même signe de la tête de Léonora. Négatif cette fois.

– Qui est-ce?

Léonora pointa l’index vers le parquet et murmura un nom que Concini devina plus qu’il ne l’entendit.

– Oh! fit-il avec stupeur. Je comprends maintenant!… Et dans une explosion furieuse:

– Eh bien, le fils de Fausta est mort!… et tout ce qui se dressera entre cette fortune et moi aura le même sort.

Léonora le considéra avec cette même expression d’indéfinissable satisfaction qu’elle avait eue déjà. Concini reprit avec une froideur menaçante:

– Sont-ce là tous les dangers que nous devons écarter?

– Non, dit nettement Léonora.

Et avec une gravité qui impressionna fortement Concini, elle ajouta:

– J’ai gardé pour la fin le dernier de tous, le plus terrible, le plus menaçant, celui auprès de qui tous les autres ne sont rien.

– Je vous écoute.

Léonora se pencha davantage sur lui et d’une voix basse, grondante:

– Il est une personne qui peut, si elle veut, réduire à néant tout ce que nous pourrons tenter dans cette affaire. C’est la personne chez qui a été pris le papier que vous venez de lire.

– Comment cela?

– Cette personne possède d’autres pièces plus importantes encore. Cette personne peut remettre ces pièces à celui à qui elles reviennent de droit, c’est-à-dire à celui à qui appartient le trésor. Comprenez-vous?

– Je comprends, mâchonna rageusement Concini. Celui-là, muni de ces pièces, n’a qu’à se présenter ouvertement, et nulle puissance au monde ne peut l’empêcher de reprendre son bien. Mais moi, je veux ma place en haut de l’échelle. Tout en haut… au-dessus de toutes les têtes. Avec une fortune pareille on grimpe les échelons quatre à quatre. On trouve les dévouements qui vous facilitent l’ascension. Le tout est de savoir y mettre le prix. La personne dont vous parlez est condamnée… elle est morte comme celui à qui elle pourrait remettre ces fameuses pièces.