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– Non, dit-elle avec un cynisme inconscient, ce n’est pas ce que vous pensez!… Cette jeune fille à qui on ne connaissait pas d’autre nom que celui de Bertille, savez-vous qui elle est, mon père?… La propre fille du roi!… Qui l’eût dit!…

– Que m’apprenez-vous là! s’écria le moine d’un air incrédule. Colline Colle vit qu’il doutait. Pour le convaincre, elle n’hésita pas à révéler dans tous ses détails le contenu du mémoire de Blanche de Saugis. Elle n’avait aucun intérêt direct à garder le secret qu’elle avait surpris. En revanche, elle trouvait une magnifique occasion de faire marcher sa langue. Elle n’eut garde de la laisser passer.

Parfait Goulard, lui, tout en conservant la contenance digne et réservée du confesseur, écoutait de ses vastes oreilles grandes ouvertes. Il commençait à se dire qu’il n’aurait pas perdu son temps en confessant la mégère.

Quand elle eut épuisé ce sujet passionnant, elle aborda la partie la plus épineuse, celle qui l’intéressait le plus, celle pour laquelle avait été préparée cette parodie de confession. Elle aborda enfin la question du trésor.

– Ce n’est pas tout, dit-elle. Parmi ces papiers, j’ai trouvé une lettre signée de ce comte de Vaubrun, vous savez, le fiancé de la dame de Saugis. Dans cette lettre, le comte de Vaubrun annonce l’envoi de documents précieux… Ces documents, paraît-il, font connaître l’endroit exact où est enfoui un fabuleux trésor appartenant à une souveraine qu’il appelle… Fausta.

Si maître de lui qu’il fût, le moine bondit. Il était si loin de s’attendre à une révélation de cette importance! Il se reprit immédiatement du reste et, se rasseyant:

– Vous dites?… fit-il d’une voix qui tremblait un peu. Répétez.

Colline Colle, si futée, si matoise, se méprit sur le sens de cette émotion. Elle crut à de la surprise provoquée par ce nom de Fausta et complaisamment, elle expliqua:

– Oui, c’est un nom bizarre, que je n’avais jamais entendu prononcer. Cependant je suis bien sûre que c’est ce nom-là: Fausta… Je l’ai bien retenu, allez.

Parfait Goulard s’était complètement ressaisi. Il réfléchissait maintenant. Est-ce que le hasard allait le mettre enfin sur la trace du trésor tant cherché?… Il se morigénait aussi parce qu’il avait failli se trahir. Mais à présent, il entrevoyait quelle attitude il convenait de prendre. Son visage se fit soudain sévère, sa voix devint froide, le ton impérieux, et il dit:

– Continuez. Vous dites qu’il était question de documents faisant connaître l’emplacement d’un soi-disant trésor, n’est-ce pas?

– Oui, mon père, fit la matrone vaguement inquiète de ce changement de manières.

– Et n’y avait-il pas d’autres noms? fit le moine de plus en plus sévère, rappelez-vous bien.

– Si fait?… Un autre nom aussi bizarre: Myr… this… Oui, c’est bien cela, Myrthis. Et puis un nom plus chrétien, celui-là: Pardaillan… Ah! et puis aussi encore un nom bizarre, diabolique… attendez… Sa… Saêtta?… Mais qu’avez-vous donc mon père?… Vous m’effrayez.

De fait, l’attitude énigmatique du moine commençait à l’inquiéter sérieusement. Ce fut bien pis lorsqu’elle l’entendit lui dire, et de quel ton, grand Dieu:

– Prenez garde, mon enfant, c’est très grave ce que vous me révélez là!…

Parfait Goulard se redressa. Son visage, jusque-là doux et indulgent, exprimait une sourde terreur qui fit passer le frisson de la petite mort sur l’échine de la mégère. Et d’une voix imposante qui parut terrible à son oreille déjà terrifiée:

– Prenez garde, répéta-t-il. C’est à Dieu que vous parlez… Dieu qui sonde les cœurs et sait lire les plus secrètes pensées. Répondez-moi donc comme vous répondriez à Dieu… Ces documents, vous les avez pris… n’est-ce pas?

– Hélas! gémit la matrone dont les dents s’entrechoquaient, j’en ai pris un pauvre petit… que je voulais vous demander de me traduire, vu qu’il est écrit en latin, je crois.

– Bien, dit le moine dont la figure se fit plus lugubre, le ton plus menaçant. Je vous adjure de me dire exactement ce qu’il y avait dans cette lettre… Et songez, malheureuse, qu’il y va de votre salut… le plus petit mensonge, la moindre réticence… et vous allez tout droit rôtir au plus profond des enfers!…

Du coup, Colline Colle s’écroula. Ce coup imprévu l’assommait. Quoi?… Qu’y avait-il?… Qu’avait-elle dit?…, Pourquoi cette horrible menace de l’enfer?… Elle ne savait pas. Ce qu’elle savait bien, par exemple, c’est qu’elle ne se sentait plus une goutte de sang dans les veines… c’est qu’elle s’étranglait, qu’elle suffoquait.

Le moine comprit que, s’il ne la rassurait pas un peu, il n’en tirerait rien.

– Allons, dit-il plus doucement, vous n’avez peut-être péché que par ignorance. S’il en est ainsi, vous n’êtes pas indigne de pardon. Mais il faut que je sache, et pour savoir, il faut que vous me disiez tout. Parlez donc, mon enfant!… Allons, du courage!… Dieu est miséricordieux, vous le savez.

Réconfortée, la matrone put parler. Et je vous réponds qu’elle ne cherchait pas à ruser maintenant. Elle voyait l’enfer béant devant elle, prêt à l’engloutir, et cette vision affreuse suffisait à éloigner toute velléité de mensonge.

– Donc, mon père, dit-elle d’une voix tremblante, la lettre de ce comte de…

– Ne prononcez pas ce nom! interrompit le moine d’une voix tonnante.

La matrone sursauta et considéra Parfait Goulard d’un œil effaré.

– Continuez, fit celui-ci rudement.

– La lettre donc, reprit-elle en avalant péniblement sa salive, annonçait l’envoi de documents relatifs à un trésor. Ces documents, je vous l’ai dit, étaient précieux en ce qu’ils dévoilaient l’endroit où est enfoui le trésor. Quant au trésor lui-même, il appartenait à cette souveraine…

– Ne prononcez pas ce nom! interrompit encore le moine d’une voix si terrible que Colline Colle gémit:

– Doux Jésus, c’est fini, je suis damnée!…

– Continuez.

– Cette souveraine léguait ce fameux trésor à son fils… un fils qu’elle avait eu d’un seigneur… faut-il dire le nom, mon père?

– Non, malheureuse! tonitrua Goulard.

Encore un coup, Colline Colle courba l’échine, se frappa la poitrine à coups de poing énergiques, en marmottant des mea culpa! Et elle reprit:

– Cet enfant avait été emmené en France par une suivante de cette souveraine. Cette suivante – ah! je ne dis pas le nom, cette fois-ci!…

– Vous faites bien, mon enfant, continuez. La suivante avait donc emmené l’enfant en France. Pour l’élever sans doute?

– Oui, mon père. Et cet enfant lui fut volé par un sacripant que le comte croyait deviner. Un nommé…

– Ne prononcez pas ce nom, vous dis-je! Vous voulez donc être damnée?

– Jésus, mon Dieu! sainte Vierge! sainte Brigitte, ma patronne! ayez pitié de moi, pauvre pécheresse!

– L’enfant lui fut donc volé. Que fit alors cette suivante?

– Elle se tua de désespoir, mon père.

– Qu’elle aille à tous les diables d’enfer! lança le moine à toute volée. Ne savait-elle pas, cette chienne enragée, que notre sainte mère l’Église interdit le suicide?

– Je n’y suis pour rien! gémit Colline Colle dont la raison commençait à chanceler.

– Je le sais, répondit Goulard, et c’est fort heureux pour vous. Sans quoi vous seriez damnée comme elle. Donc elle se tua, cette diablesse. Et que fit-elle avant de se tuer?

– Elle porta à ce comte dont je ne dois pas dire le nom les papiers relatifs au trésor.

– Pourquoi à ce comte? demanda Goulard qui suivait la vérité à travers toutes ces interruptions destinées à affoler la matrone.

– Parce que ce comte était un ancien serviteur de la souveraine et qu’il était, de plus, un ami du père de l’enfant.

– Bon, je comprends! Le comte devait garder les papiers pour les remettre au père de l’enfant… Mais le comte s’est tué volontairement – et qu’il aille à tous les diables, lui aussi! – en sorte que les papiers sont restés chez sa fiancée, laquelle les a légués à sa fille, où vous les avez vus… Est-ce bien tout?

– C’est tout, mon père! Je le jure par les plaies du Christ.

– Je vous crois… Mais ce que vous ne savez pas, vous, et que je sais, moi, parce que j’ai étudié des livres sacrés qu’il n’est pas donné aux profanes de feuilleter, ce que je devine par les noms maudits que vous avez eu la fatale imprudence de prononcer, c’est que tout ceci est un conte diabolique… Diabolique, entendez-vous, malheureuse?… Ah! j’ai bien peur que vous ne soyez irrémissiblement damnée!

– Pourquoi? Qu’ai-je donc fait de si abominable? larmoya Colline Colle.

– Ce que vous avez fait, malheureuse?… Montrez-moi d’abord ce papier… Il est possible après tout, que je me trompe.