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J'ai acquiescé, commenté:

– Putain! ce que ça va vite… Suffit de peu de choses, trois grains de sable et c'est l'émeute.

Temps mort, on a bu en silence, yeux rivés sur les autres qui s'excitaient les uns les autres. J'ai prédit:

– C'est plein de soldats potentiels ici, on va se faire une petite guerre civile. Mais, toi, tu vas pas te battre, tu vas rester tranquille, non?

Il a secoué la tête, rire morne:

– Aucune chance. On va partir avec Mathieu, il a un plan pour la Nouvelle-Zélande, il vient de se décider et il m'a proposé d'y aller avec lui. On se barre dès que nos papiers sont prêts. Faut que je me tire, je ferai pas un mois de plus dans ce quartier.

J'ai approuvé, dit quelque chose comme:

– Tu vas voir un tas de matchs de rugby, faudra penser à me raconter.

Rideau d'angoisse lourde, abattu d'un coup. Je n'avais jamais pensé à ça, qu'on n'était pas ensemble pour la vie. Et je n'ai rien dit parce qu'il n'y avait rien à dire.

Je sentais l'endroit où mon épaule touchait la sienne, et je n'avais rien à dire.

De tout ce qui s'est passé cet hiver-là, et je n'avais pas fini ma série, ça a dû être le shoot le plus radical de tous. Décrochage impalpable.

Je me suis levée pour prendre un verre, j'ai entendu Sonia débiter d'un ton tranchant:

– Tu parles pas de la Reine-Mère comme ça, elle t'a nourri trop longtemps, connard… Faut pas l'attendre, faut leur rentrer dedans, aucune raison pour que ça soit si facile que ça pour eux. Faut qu'on brûle tout ce qu'ils ont, on n'a pas besoin de la Reine-Mère pour balancer trois bidons d'essence dans leurs putains de boîtes pourries avec les filles dedans.

Me suis souvenue d'elle, qui préparait sa reconversion avec quelques jours d'avance… Bla-bla de défense, que j'avais confondu avec une détermination farouche. Sonia était la moins apte d'entre nous à admettre ce qui arrivait, accepter qu'il était déjà trop tard pour réagir.

Julien argumentait:

– On va pas se mettre en place dans les temps, on a toujours fait les choses ordonnées en haut lieu, on peut bien faire un ou deux morts chez eux, mais pas résister au sens propre.

Sonia cognait la table du poing, se penchait sur lui, haineuse et résolue:

– Que tu sois une putain de tapette, ça regarde que toi, mais moi je leur laisserai pas ça.

Et a claqué son pouce contre ses dents du haut. Elle faisait des adeptes, pas mal de snipers potentiels s'échauffant autour d'elle.

J'avais rempli mon verre de whisky à ras bord, comme ça je n'aurais pas à me relever toutes les cinq minutes. J'écoutais ce qui se racontait, ça ne me semblait plus si crucial. Je suis retournée m'asseoir à côté de Guillaume, vraiment près de lui. Lui non plus ne disait rien, gardait la tête penchée sur sa bière qu'il ne buvait toujours pas.

Mon verre était long à boire.

Guillaume s'est levé:

– Moi, je rentre, tu viens?

J'ai suivi son mouvement.

Ce truc aisé entre nous, cette évidence à force, je la sentais comme jamais, savoir que c'était fini. J'ai serré la main de tout le monde, et chacun m'a dit un truc particulier, mais j'étais soûle et assommée et je n'ai rien entendu, bredouillé quelques trucs. Julien a dit un truc que Guillaume a trouvé drôle, je l'attendais main sur la poignée. Je l'ai regardé de loin, renverser la tête et exploser de rire, comment sa bouche savait s'ouvrir, l'expression bien radieuse.

Arrivés dehors, Guillaume m'a demandé:

– Ça te fait chier que je parte?

Et j'ai répondu non, le plus naturellement du monde.

– Pourquoi voudrais-tu que ça me fasse chier?