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Puis elle demanda à entrer et à parler à Mme Kristensen et M. Brunner et l'homme ne sembla même pas surpris. Il se présenta comme le majordome de la maison et expliqua que celle-ci était vide, et que ni M. Brunner ni Mme Kristensen n'y seraient avant longtemps.

– Vous voulez dire qu'ils sont partis en vacances? demanda Anita alors que Peter se faufilait à sa suite dans la luxueuse entrée.

L'homme eut un très léger sourire.

– Non… La maison va être mise en vente… Tout le monde a déménagé… je dois rester jusqu'à la signature définitive de la transaction.

Anita improvisa un autre mensonge.

– Ah je vois… Écoutez… Nous sommes chargés par les services de police d'Amsterdam d'un nouveau programme de prévention contre les vols. Serait-il simplement possible de jeter un coup d'œil aux systèmes d'alarme et de prendre un peu la mesure de la maison…

Un des sourcils de l'homme se figea en un accent circonflexe d'un blond pâle, presque translucide.

– Mme Kristensen m'a prévenu que quelqu'un de la police passerait sûrement, elle m'a dit de vous ouvrir la maison et de montrer toute l'hospitalité possible, en son absence…

Anita et Peter se jetèrent un rapide coup d'œil étonné en suivant les pas du vieux majordome.

Ils jouèrent leur rôle avec minutie et authenticité, se mettant rapidement dans la peau de leurs personnages. À la fin, elle demanda à voir le soussol pour détecter d'éventuels points de faiblesse dans le système sophistiqué qui protégeait la maison.

L'homme ne trahit aucune émotion particulière et se contenta de les précéder dans le large escalier de granit rose qui descendait à la cave. Il y avait là une immense salle de sport personnelle, mais vidée de la plupart de ses instruments, un sauna, un jacuzzi à peine plus grand qu'un bassin olympique et, à l'extrémité du couloir, une grosse porte de métal jaune, visiblement blindée.

Anita demanda négligemment:

– Qu'est -ce qu'il y a ici?

Le vieil homme sortit un petit trousseau de clés d’une des poches de son gilet et l'enfonça dans la serrure principale.

– Rien. Un simple débarras…

Il tira le lourd battant de métal vers eux.

Anita retint son souffle une fraction de seconde.

La pénombre suffisait pour lui montrer l'évidence.

La pièce était complètement vide.

On avait installé un lit de camp dans un bureau du premier étage et Alice avait pu y dormir quelques heures, d'un mauvais sommeil, lourd et ténébreux, sous la garde d'une jeune flic en uniforme. Le jour tombait et Alice venait de se réveiller, pleine d'un pressentiment sombre et menaçant.

L'inspecteur Van Dyke vint la rejoindre dans la petite pièce et s'accroupit au pied du lit de camp.

Alice vit tout de suite que quelque chose n'allait pas. Ses sourcils étaient froncés, son front était soucieux. La femme n'était pas vraiment là, comme à la recherche d'une lueur intime.

Alice décida de l'aider.

– Qu'y a-t-il, madame Van Dyke?

La femme sembla revenir à elle et fournit l'ombre d'un sourire. Un sourire résigné, décela Alice.

– Nous avons un problème, Alice.

Alice tressaillit et réprima un tremblement.

Elle n'avait pas aimé le mot problème. Cela signifiait certainement pire que tout ce qu'elle avait imaginé. Elle lâcha un petit soupir et faillit plonger sa tête au creux de ses mains. Elle aurait tant voulu que rien de tout ça n'existe. Que cette pièce aux murs pisseux s'évanouisse et que cette femme qu'elle ne connaissait pas soit remplacée par l'homme qui savait prendre sa main sur la plage et lui raconter l'architecture corallienne des lagons du Pacifique ou la course des requins femelles lorsqu'elles mettent bas.

Mais le monde réel n'était pas aussi docile que les jeux d'enfants auxquels elle se livrait encore, dans la solitude de sa chambre ou du grenier. On n'y transformait pas aussi facilement quelques poupées et décors de papier en château de princesse florentine ou en navire magique de quelque fée marine d'inspiration celtique. Ici on était dans le monde dur et concret des adultes. Avec le bruit des fax et des machines à écrire. Avec l'éclairage du néon. Et avec des problèmes.

– Dites-moi, madame Van Dyke. Sa voix était presque suppliante.

Cette femme respirait l'honnêteté et la force.

Elle serait une alliée sûre pour la suite des événements, quelle que soit la nature du fameux problème.

– Voilà, tes parents ne sont pas dans la maison. Ils ont déménagé une grande partie des meubles et des objets…

Alice se tendait, toute droite sur le lit de toile, dans l'attente de la suite.

– Ils sont partis, reprit Van Dyke. Et toutes les cassettes du sous-sol aussi.

Alice ne pouvait faire le moindre mouvement, ni émettre le moindre son.

Mon dieu, pensait-elle. Papa, papa que dois-je faire, où es-tu, pourquoi n'es-tu pas là…

– Un homme nous a ouvert et nous a fait visiter la maison… Un vieil homme très blond, aux yeux bleu très clair…

– Oui, répondit Alice. C'est M. Lahut. Le majordome. Il s'occupe de la maison et des cuisiniers. Il vit dans une petite maison à l'autre bout du jardin…

La flic eut un sourire doux.

– Alice? Tu te rappelles, ce matin dans ta déposition tu m'as parlé d'un studio que tes parents avaient acheté à la campagne? Tu sais où il se trouve?

Non, fit Alice d'un signe de la tête.

– Dis-moi, quand tu m'en as parlé tu m'as décrit une grande maison, tu m'as dit avoir aperçu une photo c'est ça?

Oui, opina Alice calmement.

– Dans ce cas pourquoi parlaient-ils d'un studio alors? Tu crois qu'ils auraient aussi acheté un petit appartement, dans le même coin, ou ailleurs? Tu penses qu'il pourrait s'agir d'un studio d'enregistrement, ou de tournage?

Alice faillit répondre non, mais se retint au dernier moment. Après tout, pensa-t-elle, pourquoi pas en effet. Ses parents lui avaient caché beaucoup de choses, alors pourquoi pas ça?

Elle haussa les épaules.

– Je ne sais pas, madame Van Dyke… Sincèrement je ne sais pas.

La femme flic leva la main en signe d'apaisement. Son sourire était franc.

– O.K., ça n'a pas d'importance pour l'instant. Écoute, maintenant il faut que tu te reposes et que nous veillions à ta sécurité. Le fait que rien n'ait été trouvé dans la maison n'arrange pas nos affaires, je suis sûre que tu es à même de le comprendre. Ta seule cassette ne suffira pas, je le crains, devant un tribunal.

Van Dyke se leva, en révélant deux longues jambes gainées d'un simple blue-jean.

– Ton témoignage devient un élément décisif, Alice. Après notre visite chez toi, j'ai entendu un type de la Justice dire qu'on n'avait rien pour lancer un mandat d'arrêt, que jamais on n'aurait dû faire cette perquisition,etc.

La femme flic plantait son regard en elle, intensément.

– Je sais que tu es remarquablement intelligente, autant qu'une adulte, et peut-être même plus. Je vais être franche et loyale avec toi. On va essayer de te faire revenir sur ta déposition. Tes parents sont des gens riches et puissants, le scandale risque d'être dérangeant et, tu dois le comprendre, à part toi, nous avons peu de choses.

– Et la cassette? demanda Alice. Vous l'avez vue ce matin… Sa voix s'étrangla dans un hoquet de détresse.

La jeune flic se rapprocha du lit et s'accroupit, plus près cette fois.

Elle posa une main protectrice sur son poignet.

– Ta cassette ne tient qu'avec ton témoignage, Alice. Les masques, tu comprends?

Alice déglutit péniblement.

Oui, répondit-elle doucement de la tête.

La femme flic se releva.

– Bien. Cette nuit tu dormiras dans une maison du Service, avec deux policiers pour veiller sur toi. Dès demain, une énorme mécanique va se mettre en branle et il faudra que tu sois en forme. Tu vas manger un bon repas, prendre une douche et dormir dans un vrai lit. Je passerai te prendre lundi matin pour aller dans les bureaux du procureur, au palais de Justice… D'accord?

Alice émit un assentiment désespéré. Que faire d'autre en effet?

La porte se referma sur la ruche d'uniformes bleus et de néon.

Alice avait alors siroté son Coca-Cola assise sur le lit. Dehors le ciel se débarrassait de l'arrière-garde des gros nuages de pluie et le crépuscule s’irisait d'une infinité d'éclats sur l'asphalte. Une lumière orange dansait à l'horizon et dans les gouttes de pluie parsemées sur les vitres de la fenêtre. Alice savait que cette journée qui s'achevait refermait un livre entier de son existence. Elle n’était que le premier mot sur une page solitaire, qu’une tempête s'apprêtait à balayer, comme une vulgalre feuille tombée de l'arbre.

C'était ça son pressentiment. L'intuition que le ciel s'éclaircissait pour donner un second souffle aux éléments. Elle en était sûre, quelque chose allait souffler sur la ville. Une tempête.

Et cette tempête, c'est cela qui la faisait trembler et frissonner, cette tempête prenait le visage de sa mère.

Sa mère qui devait certainement être en colère.

Très en colère.