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Crab naquit dans une prison, c'était même un cachot sordide. Sa mère s'y trouvait enfermée pour des raisons inconnues de lui aujourd'hui encore.
Plusieurs années passèrent, car sa mère avait été lourdement condamnée. Un matin enfin, le gardien ouvrit la porte du cachot et signifia à la prisonnière qu'elle était libre.
Toi tu restes, ajouta-t-il en repoussant Crab qui s'apprêtait à la suivre. Sa mère laissa retomber ses bras en signe d'impuissance et lui adressa un petit sourire navré avant de refermer la porte.
Crab se rebiffa, pourquoi et de quel droit le gardait-on enfermé ici depuis sa naissance? Mais le directeur de la prison lui répliqua que depuis sa naissance justement, et donc depuis qu'il croupissait derrière les barreaux, le nombre de méfaits et de meurtres avait considérablement diminué par ici, dans une proportion telle qu'il ne pouvait s'agir d'une coïncidence. Crab eut beau rappeler qu'il n'était pas né à l'époque de ces crimes, allez produire des preuves ou des témoins oculaires de votre inexistence. On lui conseilla de revoir sa stratégie de défense. Il plaida coupable et justice fut rendue, la sentence de réclusion à perpétuité prononcée contre lui recueillit de francs applaudissements. A la sortie de l'audience, tout le monde paraissait satisfait. Ce fut même un grand soulagement pour la population. Les individus comme ce Crab, leur place est en prison.
Douloureux en soi, non, honnêtement, vous ne sentez rien, mais ça vous tient, ça vous empêche, ça vous prive de bien des joies, impossible de bouger lorsque vous avez comme Crab un pied coincé entre le ciel et la terre pour vous être malencontreusement trouvé là-bas au moment où s'opérait leur jonction, l'adhérence étroite de leurs bords sur une ligne circulaire unique: vous resterez toute votre vie à l'horizon. Après quelques tentatives inutiles – risibles ou pathétiques, on ne sait jamais bien -, Crab n'essaye même plus de se dégager.
Il vieillira là-bas.