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Tragique seconde où se décida la destinée de celle qui devait s’appeler la Marquise de Pompadour! Si le chevalier d’Assas avait pu écouter! S’il avait pu se lever! Nul doute qu’il n’eût dans la nuit même provoqué Le Normant d’Étioles! Nul doute qu’il ne l’eût tué ou obligé à renoncer au mariage! Et alors qui sait ce qui fût arrivé! Qui sait si Jeanne, touchée par cet amour si jeune, si pur, si fougueux, n’eût pas uni sa vie à celle du chevalier d’Assas!… Alors, il n’y eût pas eu de marquise de Pompadour! Alors bien des choses eussent été changées dans le règne de Louis XV!…

Ce n’était donc pas seulement le drame de deux cœurs qui se jouait là, dans ce petit salon trop pimpant, aménagé par le faux goût d’Héloïse Poisson!

C’était une page de l’histoire de la France – et de l’humanité – que le Destin tournait là!…

Haletante, la gorge serrée par l’angoisse, Jeanne se pencha, saisit les deux mains du chevalier d’Assas.

– Vous avez reçu ma lettre, n’est-ce pas?… Et vous êtes accouru?… Oh! merci!… vous m’entendez, n’est-ce pas?… Par grâce! Par pitié! Faites-moi un signe qui me dise que vous me comprenez!…

Un violent effort crispa le charmant visage du chevalier.

Ses paupières se soulevèrent lourdement.

Puis tout, en lui, s’affaissa de nouveau.

– Oh! râla Jeanne, vous ne m’entendez donc pas!… Chevalier!… Ma lettre! Rappelez-vous ce que vous dit ma lettre!… Je suis perdue si vous ne me secourez!… Je vais vous dire… on veut me marier… je hais cet homme… ce mariage me tue… Oh! il ne m’entend pas!… Chevalier!… si je n’épouse pas cet homme, mon père va à la Bastille… à l’échafaud peut-être!… entendez-vous! mon père!… Et je ne veux pas l’épouser, moi! Il me fait horreur!… Si je l’épouse, je meurs! Et il faut que je l’épouse! Ma mort ou celle de mon père! Il faut que je choisisse!… Oh! vous me laisserez donc mourir!… Dire que j’ai placé en vous toute ma confiance! Je vous attendais comme un Dieu!… Chevalier! Chevalier!…

Maintenant, elle était tombée à genoux.

Elle priait, suppliait, sanglotait devant ce canapé où gisait le jeune homme insensible, le pauvre chevalier qui eût donné sa vie pour une de ces larmes, et qu’un phénomène de réaction physique condamnait à la terrible immobilité, la vie suspendue, la pensée arrêtée, tous les sens enlisés dans un invincible sommeil qui le sauvait, – et perdait Jeanne!

Le drame était poignant.

Ce fut l’horrible lutte d’un esprit excessif en toutes ses expansions contre une fatale et implacable rigueur de la nature… Et ce fut la nature, indifférente, hélas! aux peines de nos cœurs, qui remporta!

La victoire fut au sommeil!… Le chevalier ne s’éveilla point!…

À bout de forces, Jeanne s’évanouit, la tête presque sur la poitrine du chevalier.

Et pour qui n’eût pas connu l’affreuse tragédie qui se déroula en cette nuit, pour un peintre de grâces et de gentillesses, pour un Boucher, pour un Greuse, pour un Watteau, c’eût été un adorable spectacle que celui de ce jeune homme si beau, au front si pur et si noble, qui dormait paisiblement, avec, sur son sein, la tête exquise de cette jeune fille…

Deux amoureux, sans doute!…

Ou plutôt deux jeunes époux, réfugiés dans le coquet salon tout plein de mignardises, semblables eux-mêmes à deux fragiles et gracieuses conceptions de porcelainiers de l’époque… et qui s’étaient endormis là, dans un baiser, n’ayant plus la force de regagner la chambre nuptiale!…

Pauvres petits!…

L’histoire s’est montrée cruelle pour l’une… Il est vrai que le dévouement héroïque du chevalier d’Assas, par contre, s’est imposé à son admiration.

Nous qui ne voulons pas prendre parti, nous que les faits de guerre n’émeuvent pas, mais qui ne voulons pas entrer dans la querelle historique au sujet de celle qu’on a appelée «la Pompadour», nous nous contentons de les montrer tous deux, de mettre à nu leur cœur et de dire à ceux qui veulent bien nous suivre dans ce récit:

– Voyez… et ayez pitié!…

Lorsque Jeanne revint de son évanouissement, elle jeta un regard sur la pendule de Saxe qui se dressait au-dessus des rosaces et des festons du marbre de la cheminée: il était plus de quatre heures du matin!

Jeanne, d’abord étonnée de se retrouver là sur ce tapis, près de ce canapé, passa ses mains sur son front.

Mais son esprit subtil et combatif, promptement, chassa les dernières nuées qui l’obscurcissaient.

Jeanne se souvint!… Hélas!…

– Quatre heures! murmura-t-elle. Voici venu le jour de douleur et d’horreur! Ô mon beau rêve, adieu! Adieu, chères pensées de prestige et de gloire! Adieu, amour surhumain que j’avais caressé! Je ne serai que Mme d’Étioles… Ô infamie!…

Elle se releva, laissa tomber ses yeux d’angoisse et d’épouvante sur le chevalier d’Assas – immobile statue pétrifiée!… Ah! le policier avait raison de s’en vanter! On ne revenait de ses coups de massue qu’au bout de bien longtemps… quand on en revenait!…

Un instant, elle eut la pensée d’essayer encore de galvaniser la statue…

Puis, de nouveau, son regard s’étant reporté sur la pendule, elle balbutia, éperdue:

– Trop tard! Trop tard! L’heure implacable approche!… Pauvre chevalier d’Assas! Il était pourtant accouru à mon appel! Quelle inexorable fatalité s’est mise entre lui et mon bonheur?… Qui sait!… Maintenant, il est trop tard, je suis condamnée… Adieu, chevalier d’Assas!…

Elle se pencha, et, du bout des lèvres, dans un souffle, déposa un baiser léger sur le front de marbre du jeune homme. Dans son sommeil, le chevalier eut un violent tressaillement. Les lèvres s’agitèrent comme pour formuler de confuses pensées nées dans son rêve. Son front se contracta. Et deux larmes brillantes perlant à ses paupières glissèrent sur ses joues…

– Trop tard! Trop tard! répéta Jeanne.

Doucement, le regard attaché sur le chevalier, elle se recula, gracieuse et légère apparition, atteignit la porte, s’effaça, disparut, s’évanouit comme l’ombre d’un joli songe d’amour!…