Le trésor de Grand-Mère
Un soir, Grand-Mère dit.
– Fermez bien toutes les portes et toutes les fenêtres. Je veux vous parler, et je ne veux pas que quelqu'un nous entende.
– Personne ne passe jamais par ici, Grand-Mère.
– Les gardes-frontière se promènent un peu partout, vous le savez bien. Et ils ne se gênent pas pour écouter aux portes. Apportez-moi aussi une feuille de papier et un crayon.
Nous demandons:
– Vous voulez écrire, Grand-Mère?
Elle crie:
– Obéissez! Ne posez pas de questions!
Nous fermons les fenêtres et les portes, nous apportons le papier et le crayon. Grand-Mère, assise à l'autre bout de la table, dessine quelque chose sur la feuille. Elle dit en chuchotant:
– Voilà où se trouve mon trésor.
Elle nous tend la feuille. Elle y a dessiné un rectangle, une croix et, sous la croix, un cercle. Grand-Mère demande:
– Vous avez compris?
– Oui, Grand-Mère, nous avons compris. Mais nous le savions déjà.
– Quoi, qu'est-ce que vous saviez déjà?
Nous répondons en chuchotant:
– Que votre trésor se trouve sous la croix de la tombe de Grand-Père.
Grand-Mère se tait un moment, puis elle dit:
– J'aurais dû m'en douter. Vous le savez depuis longtemps?
– Depuis très longtemps, Grand-Mère. Depuis que nous vous avons vue soigner la tombe de Grand-Père.
Grand-Mère respire très fort:
– Ça ne sert à rien de s'énerver. De toute façon, tout est pour vous. A présent, vous êtes assez intelligents pour savoir qu'en faire.
Nous disons:
– Pour le moment, on ne peut pas en faire grand chose.
Grand-Mère dit:
– Non. Vous avez raison. Il faut attendre. Vous saurez attendre?
– Oui, Grand-Mère.
Nous nous taisons un moment tous les trois, puis Grand-Mère dit:
– Ce n'est pas tout. Quand j'aurai une nouvelle attaque, sachez que je ne veux pas de votre bain, de votre culotte ni de vos langes.
Elle se lève, elle fouille sur l'étagère parmi ses bocaux. Elle revient avec une petite bouteille bleue:
– Au lieu de vos saloperies de médicaments, vous verserez le contenu de cette bouteille dans ma première tasse de lait.
Nous ne répondons pas. Elle crie:
– Vous avez compris, fils de chienne?
Nous ne répondons pas. Elle dit:
– Vous avez peut-être peur de l'autopsie, petits chiards? Il n'y aura pas d'autopsie. On ne va pas chercher midi à quatorze heures quand une vieille femme meurt à la suite d'une deuxième attaque.
Nous disons:
– Nous n'avons pas peur de l'autopsie, Grand-Mère.
Nous pensons seulement que vous pouvez vous remettre une seconde fois.
– Non. Je ne m'en remettrai pas. Je le sais. Alors, il fâudra en finir au plus vite.
Nous ne disons rien, Grand-Mère se met à pleurer:
– Vous ne savez pas ce que c'est que d'être paralysé. Tout voir, tout entendre, et ne pas pouvoir bouger. Si vous n'êtes même pas capables de me rendre ce petit service, vous êtes des ingrats, des serpents que j'ai chauffés sur mon sein.
Nous disons:
– Cessez de pleurer, Grand-Mère. Nous le ferons; si vous le voulez vraiment, nous le ferons.