«Émue! Moi! Moi, émue!… Allons donc!… Par le ciel! Fausta la Vierge ne connaîtra pas un homme capable de troubler sa pensée!…»
Et pourtant cette pensée, entraînée comme d’un coup d’aile par la pensée du chevalier, s’élevait soudain. Fausta se mettait au diapason de celui qui faisait vibrer en elle ces sensations inconnues…
– Le maître que j’ai à vous proposer, dit-elle en gardant cette majestueuse froideur qu’elle devait à une longue étude, a rêvé ce que vous avez rêvé, chevalier…
– Ah! pardieu, madame, je serais bien aise de connaître un tel personnage!
– Vous l’avez devant vous, dit Fausta.
– Vous, madame!…
– Moi!… Moi, chevalier, moi qui cherche des hommes pour l’exécution de vastes entreprises capables de séduire les plus ambitieux… Voulez-vous être l’un de ces hommes?… Je devine en vous la grandeur d’âme, la force d’un esprit supérieur, la pensée qui permet de dominer l’humanité… Si je vous disais, chevalier, tout ce que je porte dans ma tête! Pourquoi suis-je entraînée à vous parler, à vous que je ne connais pas?… Je ne sais… mais je crois, je vois que vous êtes celui que j’ai souhaité!…
«Malheur de moi! songea le chevalier. Me voilà bien loti! Il n’y a donc pas moyen de vivre en paix sa pauvre vie?…»
– Sachez donc, continua Fausta d’une voix devenue ardente, sachez donc, ô vous que je ne connais pas, sachez mon rêve!… Sachez que je suis celle que des évêques, des cardinaux réunis en conclave secret ont élue pour conduire l’Église à ses destinées suprêmes!… Sachez que devant l’œuvre vertigineuse mon âme n’a pas tremblé. Aux princes qui m’offraient la plus éblouissantes des royautés, j’ai dit que je serais…
Elle s’arrêta palpitante… Soudain elle porta la main à son front. Et en elle-même, elle balbutia:
– Quoi! Émue à ce point par ce routier! Quoi! Moi qui parle aux rois de France en despote, je me sens fléchir devant cet aventurier!… Malheureuse! qu’ai-je dit! qu’allais-je dire!…
Mais Pardaillan avait compris!… le voile de mystère qui enveloppait Fausta se déchirait en partie!… Il demeura un instant ébloui de ce qu’il entrevoyait, en proie à cet étonnement fabuleux qui saisit l’homme devant l’impossibilité réalisée,…
– Oh! murmura-t-il, c’est donc vrai! C’est bien le Vatican dans Paris!… Et ce trône que j’ai aperçu, s’il n’est pas pour un pape… eh bien!… il est donc pour la Papesse!
La Papesse!
Pardaillan frissonna. Une femme!… Oui, une femme qui se dressait devant Sixte Quint!… Une femme qui, devant le trône de l’implacable et terrible vieillard, dressait le trône où elle asseyait sa beauté radieuse!… Il y avait dans cette monstrueuse supposition une telle démence apparente que Pardaillan haussa violemment les épaules et, presque à haute voix, prononça:
– Impossible!…
«Il m’a devinée! murmura Fausta au fond d’elle-même. Il faut que cet homme devienne sur l’heure un de mes serviteurs… ou qu’il ne sorte pas vivant de ce palais!…»
Les violentes émotions duraient peu chez Pardaillan. Ce fut avec plus de curiosité que d’effroi ou de vénération qu’il considéra l’étrange princesse.
– Madame, dit-il, puisque vous avez commencé à m’expliquer votre pensée, daignez achever… Je vois que vous êtes en France pour une œuvre que je ne connais pas, mais qui doit être terrible…
– Cette œuvre, dit alors Fausta redevenue maîtresse d’elle-même, vous en avez vu les premiers actes… Henri de Valois a succombé à nos premiers coups… il est en fuite… Le trône de France est inoccupé… Chevalier, que pensez-vous d’Henri III?…
– Moi, madame?… Mais je n’en pense rien, sinon qu’il est en fuite, comme vous venez de le dire.
– Oui… Mais avez-vous un motif quelconque de lui être dévoué?… Parlez franchement…
– Je connais à peine le roi, madame. Je ne l’ai vu qu’une fois ou deux, alors qu’il s’appelait le duc d’Anjou, et j’avoue que je le tiens en médiocre estime…
Le visage de Fausta s’éclaira.
– Bien, dit-elle. Maintenant, tout ressentiment à part, que pensez-vous d’Henri de Guise?
– Je pense, dit nettement le chevalier, qu’il est tout désigné pour monter sur le trône de France… C’est du moins l’opinion de tous les Parisiens.
– Oui! dit Fausta. Mais ne pensez-vous pas aussi qu’il est plus digne de la couronne que n’importe quel gentilhomme de ce pays? N’a-t-il pas la force d’âme, le courage, la générosité de pensée, l’intrépidité naturelle qui peuvent faire accomplir de grandes choses?…
– Mon Dieu, madame, fit Pardaillan avec ce sourire de naïveté aiguë qui faisait qu’on ne savait jamais s’il plaisantait, je crois que vous voulez me demander si Henri de Guise sera un roi capable de mériter autour de lui les dévouements héroïques?
– C’est bien ce que je vous demande, me faisant fort d’obliger le roi de France à oublier les insultes faites au duc de Guise…
– Mille grâces, madame! dit Pardaillan qui s’inclina. Je souhaite et espère au contraire que Guise se souviendra. Quant à mon avis, le voici tout franc: j’estime d’abord que le trône de France serait admirable si aucun roi ne s’y asseyait. Que voulez-vous! C’est une folle idée que j’ai ramassée le long des routes, en regardant le soleil qui est fait pour éclairer tout le monde, et en voyant que peu sont appelés à se chauffer à ses rayons!… Ensuite, s’il faut absolument qu’il y ait quelqu’un dans ce pays pour continuer à lever des impôts, occupation charmante, j’en conviens, il faudrait au moins que ce quelqu’un fût aimable, beau et généreux entre tous…
– N’est-ce pas le portrait d’Henri de Guise? dit Fausta avec un regard aigu.
Pardaillan prit un visage des plus stupéfaits.
– Comment, madame, n’avez-vous donc pas entendu ce que j’ai eu l’honneur de vous dire?… Comment l’homme qui pose son pied sur la tête d’un ennemi vaincu peut-il être généreux?… Comment peut-il m’apparaître brave et beau, à moi qui l’ai souffleté!…
Pardaillan se leva et s’appuya sur sa rapière.
– Tenez, madame, jusqu’ici j’ai plaisanté, je crois… je vous supplie de me pardonner… c’est plus fort que moi, je ne puis prendre au sérieux ce que font les hommes. Je me contente de les aimer quand ils sont aimables, de les admirer quand ils agissent en véritables hommes, et de les mépriser et encore!… plus simplement, de m’écarter d’eux quand ils agissent en fauves… Guise est un fauve, madame. Je ne le blâme pas; seulement, je le trouve hideux… Et puis… et puis…
– Achevez donc, chevalier, dit Fausta avec un sourire mortel.
– Soit! Je voulais vous dire ceci: que faites-vous, vous-même? Si belle, madame, si admirable de beauté, femme, admirablement femme, vous ne songez à rien de sérieux, c’est-à-dire à l’amour, au bonheur… Vous songez à des choses qui, d’avance, me font bâiller d’ennui… c’est-à-dire à des histoires de trône… Excusez-moi… Je vous le disais bien qu’avec moi vous ne connaîtriez pas les belles pensées de la gentilhommerie…
– Jamais je ne fus autant intéressée… continuez! reprit Fausta dont le regard lança un sombre éclair.
– Merci, madame!… Je continue… Encore si ces histoires de trône offraient un amusement quelconque… Mais non. Cela se complique… Ce sont des choses assez laides que j’entrevois… Voulez-vous que je vous dise?… Eh bien, Henri de Guise ne sera pas roi de France!…
– Pourquoi?… Voyons… pourquoi?…
– Parce que je ne veux pas, dit simplement Pardaillan. De grâce, madame, laissez-vous parler à cœur ouvert. Vous êtes venue en France pour accomplir cette œuvre. Eh bien, voyez-vous, ce que vous avez de mieux à faire, c’est de vous en retourner dans l’admirable pays où l’on respire l’amour et la joie, où chaque passant est peut-être un grand peintre ou un beau poète, où les femmes ont des sourires de déesses… Ici, madame, vous ne réussirez pas!
– Pourquoi? gronda Fausta… pourquoi?…
– Parce que je vous ai devinée, madame! Parce qu’une femme qui rêve de s’appeler Papesse au lieu de s’appeler la Joie et l’Amour (Fausta pâlit horriblement) est une chose qui me blesse, moi, et me paraît extravagante! parce que vous voulez, enfin, monter sur le trône auprès d’un homme que j’ai résolu d’écarter du trône!…
– Mais pourquoi ne réussirais-je pas? dit Fausta d’une voix caressante.
– Parce que vous allez me trouver sur votre chemin, madame!
Sur ces mots, Pardaillan s’inclina profondément. À ce moment retentit un coup de sifflet strident. Et en se redressant, le chevalier put croire qu’il avait fait un rêve fantastique, car la mystérieuse Fausta avait disparu!… Il se retourna vivement.
– Ah! ah! s’écria-t-il en éclatant de rire, il paraît que la Papesse n’aime pas plus la vérité que le Pape! Peste! Trois… sept… douze!… Ça, messieurs, qu’êtes-vous? Évêques ou cardinaux, ou marguilliers?…