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Acte III

Scène I

Oreste , Pylade

Pylade

Modérez donc, Seigneur, cette fureur extrême.

Je ne vous connais plus; vous n’êtes plus vous-même.

Souffrez…

Oreste

Non, tes conseils ne sont plus de saison,

Pylade; je suis las d’écouter la raison.

C’est traîner trop longtemps ma vie et mon supplice:

Il faut que je l’enlève, ou bien que je périsse.

Le dessein en est pris, je le veux achever.

Oui, je le veux.

Pylade

Eh bien! il la faut enlever,

J’y consens. Mais songez cependant où vous êtes.

Que croira-t-on de vous, à voir ce que vous faites?

Dissimulez: calmez ce transport inquiet;

Commandez à vos yeux de garder le secret.

Ces gardes, cette cour, l’air qui vous environne,

Tout dépend de Pyrrhus, et surtout Hermione.

À ses regards surtout cachez votre courroux.

Ô dieux! en cet état pourquoi la cherchiez-vous?

Oreste

Que sais-je? De moi-même étais-je alors le maître?

La fureur m’emportait, et je venais peut-être

Menacer à la fois l’ingrate et son amant.

Pylade

Et quel était le fruit de cet emportement?

Oreste

Et quelle âme, dis-moi, ne serait éperdue

Du coup dont ma raison vient d’être confondue?

Il épouse, dit-il, Hermione demain;

Il veut, pour m’honorer, la tenir de ma main.

Ah! plutôt cette main dans le sang du barbare…

Pylade

Vous l’accusez, Seigneur, de ce destin bizarre;

Cependant, tourmenté de ses propres desseins,

Il est peut-être à plaindre autant que je vous plains.

Oreste

Non, non, je le connais, mon désespoir le flatte;

Sans moi, sans mon amour, il dédaignait l’ingrate;

Ses charmes jusque-là n’avaient pu le toucher:

Le cruel ne la prend que pour me l’arracher.

Ah dieux! c’en était fait: Hermione gagnée

Pour jamais de sa vue allait être éloignée,

Son cœur, entre l’amour et le dépit confus,

Pour se donner à moi n’attendait qu’un refus,

Ses yeux s’ouvraient, Pylade, elle écoutait Oreste,

Lui parlait, le plaignait… Un mot eût fait le reste.

Pylade

Vous le croyez!

Oreste

Hé quoi? ce courroux enflammé

Contre un ingrat…

Pylade

Jamais il ne fut plus aimé.

Pensez-vous, quand Pyrrhus vous l’aurait accordée,

Qu’un prétexte tout prêt ne l’eût pas retardée?

M’en croirez-vous? Lassé de ses trompeurs attraits,

Au lieu de l’enlever, fuyez-la pour jamais.

Quoi? votre amour se veut charger d’une furie

Qui vous détestera, qui toute votre vie,

Regrettant un hymen tout prêt à s’achever,

Voudra…

Oreste

C’est pour cela que je veux l’enlever.

Tout lui rirait, Pylade; et moi, pour mon partage,

Je n’emporterais donc qu’une inutile rage?

J’irais loin d’elle encor tâcher de l’oublier?

Non, non, à mes tourments, je veux l’associer.

C’est trop gémir tout seul. Je suis las qu’on me plaigne.

Je prétends qu’à mon tour l’inhumaine me craigne,

Et que ses yeux cruels, à pleurer condamnés,

Me rendent tous les noms que je leur ai donnés.

Pylade

Voilà donc le succès qu’aura votre ambassade:

Oreste ravisseur!

Oreste

Et qu’importe, Pylade?

Quand nos États vengés jouiront de mes soins,

L’ingrate de mes pleurs jouira-t-elle moins?

Et que me servira que la Grèce m’admire,

Tandis que je serai la fable de l’Épire?

Que veux-tu? Mais, s’il faut ne te rien déguiser,

Mon innocence enfin commence à me peser.

Je ne sais de tout temps quelle injuste puissance

Laisse le crime en paix, et poursuit l’innocence.

De quelque part sur moi que je tourne les yeux,

Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux.

Méritons leur courroux, justifions leur haine,

Et que le fruit du crime en précède la peine

Mais toi, par quelle erreur veux-tu toujours sur toi

Détourner un courroux qui ne cherche que moi?

Assez et trop longtemps mon amitié t’accable:

Évite un malheureux, abandonne un coupable.

Cher Pylade, crois-moi, ta pitié te séduit.

Laisse-moi des périls dont j’attends tout le fruit.

Porte aux Grecs cet enfant que Pyrrhus m’abandonne.

Va-t’en.

Pylade

Allons, Seigneur, enlevons Hermione.

Au travers des périls un grand cœur se fait jour.

Que ne peut l’amitié conduite par l’amour?

Allons de tous vos Grecs encourager le zèle.

Nos vaisseaux sont tout prêts, et le vent nous appelle.

Je sais de ce palais tous les détours obscurs;

Vous voyez que la mer en vient battre les murs,

Et cette nuit, sans peine, une secrète voie

Jusqu’en votre vaisseau conduira votre proie.

Oreste

J’abuse, cher ami, de ton trop d’amitié

Mais pardonne à des maux dont toi seul as pitié;

Excuse un malheureux qui perd tout ce qu’il aime,

Que tout le monde hait, et qui se hait lui-même.

Que ne puis-je à mon tour dans un sort plus heureux…

Pylade

Dissimulez, Seigneur; c’est tout ce que je veux.

Gardez qu’avant le coup votre dessein n’éclate:

Oubliez jusque-là qu’Hermione est ingrate;

Oubliez votre amour. Elle vient, je la voi.

Oreste

Va-t’en. Réponds-moi d’elle, et je réponds de moi.

Scène II

Hermione , Oreste , Cléone

Oreste

Eh bien! mes soins vous ont rendu votre conquête.

J’ai vu Pyrrhus, Madame, et votre hymen s’apprête.

Hermione

On le dit; et de plus on vient de m’assurer

Que vous ne me cherchiez que pour m’y préparer.

Oreste

Et votre âme à ses vœux ne sera pas rebelle?

Hermione

Qui l’eût cru que Pyrrhus ne fût pas infidèle?

Que sa flamme attendrait si tard pour éclater?

Qu’il reviendrait à moi, quand je l’allais quitter?

Je veux croire avec vous qu’il redoute la Grèce,

Qu’il suit son intérêt plutôt que sa tendresse,

Que mes yeux sur votre âme étaient plus absolus.

Oreste

Non, Madame: il vous aime, et je n’en doute plus.

Vos yeux ne font-ils pas tout ce qu’ils veulent faire?

Et vous ne vouliez pas sans doute lui déplaire.

Hermione

Mais que puis-je, Seigneur? On a promis ma foi.

Lui ravirai-je un bien qu’il ne tient pas de moi?

L’amour ne règle pas le sort d’une princesse:

La gloire d’obéir est tout ce qu’on nous laisse.

Cependant je partais, et vous avez pu voir

Combien je relâchais pour vous de mon devoir.

Oreste

Ah! que vous saviez bien, cruelle… Mais, Madame,

Chacun peut à son choix disposer de son âme.

La vôtre était à vous. J’espérais; mais enfin

Vous l’avez pu donner sans me faire un larcin.

Je vous accuse aussi bien moins que la fortune.

Et pourquoi vous lasser d’une plainte importune?

Tel est votre devoir, je l’avoue; et le mien

Est de vous épargner un si triste entretien.

Scène III

Hermione , Cléone

Hermione

Attendais-tu, Cléone, un courroux si modeste?

Cléone

La douleur qui se tait n’en est que plus funeste.

Je le plains d’autant plus qu’auteur de son ennui,

Le coup qui l’a perdu n’est parti que de lui.

Comptez depuis quel temps votre hymen se prépare;

Il a parlé, Madame, et Pyrrhus se déclare.

Hermione

Tu crois que Pyrrhus craint? Et que craint-il encor?

Des peuples qui dix ans ont fui devant Hector,

Qui cent fois, effrayés de l’absence d’Achille,

Dans leurs vaisseaux brûlants ont cherché leur asile,

Et qu’on verrait encor, sans l’appui de son fils,

Redemander Hélène aux Troyens impunis?

Non, Cléone, il n’est point ennemi de lui-même;

Il veut tout ce qu’il fait, et s’il m’épouse, il m’aime.

Mais qu’Oreste à son gré m’impute ses douleurs:

N’avons-nous d’entretien que celui de ses pleurs?

Pyrrhus revient à nous! Eh bien! chère Cléone,

Conçois-tu les transports de l’heureuse Hermione?

Sais-tu quel est Pyrrhus? T’es-tu fait raconter

Le nombre des exploits… mais qui les peut compter?

Intrépide, et partout suivi de la victoire,

Charmant, fidèle enfin: rien ne manque à sa gloire.

Songe…

Cléone

Dissimulez. Votre rivale en pleurs

Vient à vos pieds, sans doute, apporter ses douleurs.

Hermione

Dieux! ne puis-je à ma joie abandonner mon âme?

Sortons: que lui dirais-je?

Scène IV

Andromaque , Hermione , Cléone , Céphise

Andromaque

Où fuyez-vous, Madame?

N’est-ce pas à vos yeux un spectacle assez doux

Que la veuve d’Hector pleurante à vos genoux?

Je ne viens point ici, par de jalouses larmes,

Vous envier un cœur qui se rend à vos charmes.

Par une main cruelle, hélas! j’ai vu percer

Le seul où mes regards prétendaient s’adresser.

Ma flamme par Hector fut jadis allumée;

Avec lui dans la tombe elle s’est enfermée.