Cependant j'avais trouvé le secret de me mettre on ne saurait mieux dans l'esprit de cet homme: il avouait naturellement que peu de femmes lui avaient autant plu. J'acquis de là des droits à sa confiance, dont je ne profitai que pour servir ma maîtresse.

Un matin que Gernande m'avait fait venir dans son cabinet pour me faire part de quelques nouveaux projets de libertinage, après l'avoir bien écouté, bien applaudi, je voulus, le voyant assez calme, essayer de l'attendrir sur le sort de sa malheureuse épouse:

– Est-il possible, monsieur, lui disais-je, qu'on puisse traiter une femme de cette manière, indépendamment de tous ses liens avec vous? Daignez donc réfléchir aux grâces touchantes de son sexe.

– Oh! Thérèse! avec de l'esprit, me répondit le comte, est-il possible de m'apporter pour raisons de calme, celles qui positivement m'irritent le mieux? Écoute-moi, chère fille, poursuivit-il en me faisant placer auprès de lui, et quelles que soient les invectives que tu vas m'entendre proférer contre ton sexe, point d'emportement; des raisons, je m'y rendrai, si elles sont bonnes.

De quel droit, je te prie, prétends-tu, Thérèse, qu'un mari soit obligé de faire le bonheur de sa femme? et quels titres ose alléguer cette femme pour l'exiger de son mari? La nécessité de se rendre mutuellement tels ne peut légalement exister qu'entre deux êtres également pourvus de la faculté de se nuire, et par conséquent entre deux êtres d'une même force. Une telle association ne saurait avoir lieu, qu'il se forme aussitôt un pacte entre ces deux êtres de ne faire chacun vis-à-vis l'un de l'autre que la sorte d'usage de leur force qui ne peut nuire à aucun des deux; mais cette ridicule convention ne saurait assurément exister entre l'être fort et l'être faible. De quel droit ce dernier exigera-t-il que l'autre le ménage? et par quelle imbécillité le premier s'y engagerait-il? Je puis consentir à ne pas faire usage de mes forces avec celui qui peut se faire redouter par les siennes; mais par quel motif en amoindrirais-je les effets avec l'être que m'asservit la nature? Me répondrez-vous: par pitié? Ce sentiment n'est compatible qu'avec l'être qui me ressemble, et comme il est égoïste, son effet n'a lieu qu'aux conditions tacites que l'individu qui m'inspirera de la commisération en aura de même à mon égard: mais si je l'emporte constamment sur lui par ma supériorité, sa commisération me devenant inutile, je ne dois jamais, pour l'avoir, consentir à aucun sacrifice. Ne serais-je pas une dupe d'avoir pitié du poulet qu'on égorge pour mon dîner? Cet individu trop au-dessous de moi, privé d'aucune relation avec moi, ne put jamais m'inspirer aucun sentiment. Or, les rapports de l'épouse avec le mari ne sont pas d'une conséquence différente que celle du poulet avec moi; l'un et l'autre sont des bêtes de ménage dont il faut se servir, qu'il faut employer à l'usage indiqué par la nature, sans les différencier en quoi que ce puisse être. Mais, je le demande, si l'intention de la nature était que votre sexe fût créé pour le bonheur du nôtre, et vice versa, aurait-elle fait, cette nature aveugle, tant d'inepties dans la construction de l'un et l'autre de ces sexes? leur eût-elle mutuellement prêté des torts si graves, que l'éloignement et l'antipathie mutuelle en dussent infailliblement résulter? Sans aller chercher plus loin des exemples, avec l'organisation que tu me connais, dis-moi, je te prie, Thérèse, quelle est la femme que je pourrais rendre heureuse, et réversiblement, quel homme pourra trouver douce la jouissance d'une femme, quand il ne sera pas pourvu des gigantesques proportions nécessaires à la contenter? Seront-ce, à ton avis, les qualités morales qui le dédommageront des défauts physiques? Et quel être raisonnable, en connaissant une femme à fond, ne s'écriera pas avec Euripide: Celui des dieux qui a mis la femme au monde, peut se vanter d'avoir produit la plus mauvaise de toutes les créatures, et la plus fâcheuse pour l'homme? S'il est donc prouvé que les deux sexes ne se conviennent point du tout mutuellement, et qu'il n'est pas une plainte fondée, faite par l'un, qui ne convienne aussitôt à l'autre, il est donc faux, de ce moment-là, que la nature les ait créés pour leur réciproque bonheur. Elle peut leur avoir permis le désir de se rapprocher pour concourir au but de la propagation, mais nullement celui de se lier à dessein de trouver leur félicité l'un dans l'autre. Le plus faible n'ayant donc aucun titre à réclamer pour obtenir la pitié du plus fort, ne pouvant plus lui opposer qu'il peut trouver son bonheur en lui, n'a plus d'autre parti que la soumission; et comme, malgré la difficulté de ce bonheur mutuel, il est dans les individus de l'un et de l'autre sexe de ne travailler qu'à se la procurer, le plus faible doit réunir sur lui, par cette soumission, la seule dose de félicité qu'il lui soit possible de recueillir, et le plus fort doit travailler à la sienne, par telle voie d'oppression qu'il lui plaira d'employer, puisqu'il est prouvé que le seul bonheur de la force est dans l'exercice des facultés du fort, c'est-à-dire dans la plus complète oppression. Ainsi, ce bonheur que les deux sexes ne peuvent trouver l'un avec l'autre, ils le trouveront, l'un par son obéissance aveugle, l'autre par la plus entière énergie de sa domination. Eh! si ce n'était pas l'intention de la nature que l'un des sexes tyrannisât l'autre, ne les aurait-elle pas créés de force égale? En rendant l'un inférieur à l'autre en tout point, n'a-t-elle pas suffisamment indiqué que sa volonté était que le plus fort usât des droits qu'elle lui donnait: plus celui-ci étend son autorité, plus il rend malheureuse, au moyen de cela, la femme liée à son sort, et mieux il remplit les vues de la nature. Ce n'est pas sur les plaintes de l'être faible qu'il faut juger le procédé; les jugements ainsi ne pourraient être que vicieux, puisque vous n'emprunteriez, en les faisant, que les idées du faible: il faut juger l'action sur la puissance du fort, sur l'étendue qu'il a donnée à sa puissance, et quand les effets de cette force se sont répandus sur une femme, examiner alors ce qu'est une femme, la manière dont ce sexe méprisable a été vu, soit dans l'antiquité, soit de nos jours, par les trois quarts des peuples de la terre.

Or, que vois-je en procédant de sang-froid à cet examen? Une créature chétive, toujours inférieure à l'homme, infiniment moins belle que lui, moins ingénieuse, moins sage, constituée d'une manière dégoûtante, entièrement opposée à ce qui peut plaire à l'homme, à ce qui doit le délecter…, un être malsain les trois quarts de sa vie, hors d'état de satisfaire son époux tout le temps où la nature le contraint à l'enfantement, d'une humeur aigre, acariâtre, impérieuse; tyran, si on lui laisse des droits, bas et rampant si on le captive; mais toujours faux, toujours méchant, toujours dangereux; une créature si perverse enfin, qu'il fut très sérieusement agité dans le concile de Mâcon, pendant plusieurs séances, si cet individu bizarre, aussi distinct de l'homme que l'est de l'homme le singe des bois, pouvait prétendre au titre de créature humaine, et si l'on pouvait raisonnablement le lui accorder. Mais ceci serait-il une erreur du siècle, et la femme est-elle mieux vue chez ceux qui précédèrent? Les Perses, les Mèdes, les Babyloniens, les Grecs, les Romains honoraient-ils ce sexe odieux dont nous osons aujourd'hui faire notre idole? Hélas! je le vois opprimé partout, partout rigoureusement éloigné des affaires, partout méprisé, avili, enfermé; les femmes, en un mot, partout traitées comme des bêtes dont on se sert à l'instant du besoin, et qu'on recèle aussitôt dans le bercail. M'arrêté-je un moment à Rome, j'entends Caton le Sage me crier du sein de l'ancienne capitale du monde: Si les hommes étaient sans femmes, ils converseraient encore avec les dieux. J'entends un censeur romain commencer sa harangue par ces mots: Messieurs, s'il nous était possible de vivre sans femme, nous connaîtrions dès lors le vrai bonheur. J'entends les poètes chanter sur les théâtres de la Grèce: Ô Jupiter! quelle raison put t'obliger de créer les femmes? Ne pouvais-tu donner l'être aux humains par des voies meilleures et plus sages, par des moyens, en un mot, qui nous eussent évité le fléau des femmes? Je vois ces mêmes peuples, les Grecs, tenir ce sexe dans un tel mépris qu'il faut des lois pour obliger un Spartiate à la propagation, et qu'une des peines de ces sages républiques est de contraindre un malfaiteur à s'habiller en femme, c'est-à-dire à se revêtir comme l'être le plus vil et le plus méprisé qu'elles connaissent.

Mais sans aller chercher des exemples dans des siècles si loin de nous, de quel œil ce malheureux sexe est-il vu même encore sur la surface du globe? Comment y est-il traité? Je le vois, enfermé dans toute l'Asie, y servir en esclave aux caprices barbares d'un despote qui le moleste, qui le tourmente, et qui se fait un jeu de ses douleurs. En Amérique, je vois des peuples naturellement humains, les Esquimaux, pratiquer entre hommes tous les actes possibles de bienfaisance, et traiter les femmes avec toute la dureté imaginable; je les vois humiliées, prostituées aux étrangers dans une partie de l'univers, servir de monnaie dans une autre. En Afrique, bien plus avilies sans doute, je les vois exerçant le métier de bêtes de somme, labourer la terre, l'ensemencer et ne servir leurs maris qu'à genoux. Suivrai-je le capitaine Cook dans ses nouvelles découvertes? L'île charmante d'Otaïti, où la grossesse est un crime qui vaut quelquefois la mort à la mère, et presque toujours à l'enfant, m'offrira-t-elle des femmes plus heureuses? Dans d'autres îles découvertes par ce même marin, je les vois battues, vexées par leurs propres enfants, et le mari lui-même se joindre à sa famille pour les tourmenter avec plus de rigueur.

Oh, Thérèse! ne t'étonne point de tout cela, ne te surprends pas davantage du droit général qu'eurent, de tous les temps, les époux sur leurs femmes: plus les peuples sont rapprochés de la nature, mieux ils en suivent les lois; la femme ne peut avoir avec son mari d'autres rapports que celui de l'esclave avec son maître; elle n'a décidément. aucun droit pour prétendre à des titres plus chers. Il ne faut pas confondre avec des droits, de ridicules abus qui, dégradant notre sexe, élevèrent un instant le vôtre: il faut rechercher la cause de ces abus, la dire, et n'en revenir que plus constamment après aux sages conseils de la raison. Or la voici. Thérèse, cette cause du respect momentané qu'obtint autrefois votre sexe, et qui abuse encore aujourd'hui, sans qu'ils s'en doutent, ceux qui prolongent ce respect.