– Ce que vous m'avez raconté, me dit-il, n'annonce pas une très haute vertu; ainsi vos résistances seraient aussi déplacées que ridicules.

A ces mots, il fait un signe à ses jeunes garçons, qui, s'approchant aussitôt de moi, travaillent à me déshabiller. Avec des individus aussi faibles, aussi énervés que ceux qui m'entourent, la défense n'est pas assurément difficile; mais de quoi servirait-elle? L'anthropophage qui me les lançait m'aurait, s'il eût voulu, pulvérisée d'un coup de poing. Je compris donc qu'il fallait céder: je fus déshabillée en un instant; à peine cela est-il fait, que je m'aperçois que j'excite encore plus les ris de ces deux Ganymèdes.

– Mon ami, disait le plus jeune à l'autre, la belle chose qu'une fille!… Mais quel dommage que ça soit vide là!

– Oh! disait l'autre, il n'y a rien de plus infâme que ce vide; je ne toucherais pas une femme quand il s'agirait de ma fortune.

Et pendant que mon devant était aussi ridiculement le sujet de leurs sarcasmes, le comte, intime partisan du derrière (malheureusement, hélas! comme tous les libertins), examinait le mien avec la plus grande attention; il le maniait durement, le pétrissait avec force; et, prenant des pincées de chair dans ses cinq doigts, il les amollissait jusqu'à les meurtrir. Ensuite il me fit faire quelques pas en avant, et revenir vers lui à reculons, afin de ne pas perdre de vue la perspective qu'il s'était offerte. Quand j'étais de retour vers lui, il me faisait courber, tenir droite, serrer, écarter. Souvent il s'agenouillait devant cette partie qui l'occupait seule. Il y appliquait des baisers en plusieurs endroits différents, plusieurs même sur l'orifice le plus secret; mais tous ces baisers étaient l'image de la succion, il n'en faisait pas un qui n'eût cette action pour but: il avait l'air de téter chacune des parties où se portaient ses lèvres. Ce fut pendant cet examen qu'il me demanda beaucoup de détails sur ce qui m'avait été fait au couvent de Sainte-Marie-des-Bois, et sans prendre garde que je l'échauffais doublement par ces récits, j'eus la candeur de les lui faire tous avec naïveté. Il fit approcher un de ses jeunes gens, et le plaçant à côté de moi, il lâcha le nœud coulant d'un gros flot de ruban rose, qui retenait une culotte de gaze blanche, et mit à découvert tous les attraits voilés par ce vêtement. Après quelques légères caresses sur le même autel où le comte sacrifiait avec moi, il changea tout à coup d'objet et se mit à sucer cet enfant à la partie qui caractérisait son sexe. Il continuait de me toucher: soit habitude chez le jeune homme, soit adresse de la part de ce satyre, en très peu de minutes, la nature vaincue fit couler dans la bouche de l'un ce qu'elle lançait du membre de l'autre. Voilà comme ce libertin épuisait ces malheureux enfants qu'il avait chez lui, dont nous verrons bientôt le nombre; c'est ainsi qu'il les énervait, et voilà la raison de l'état de langueur où je les avais trouvés. Voyons maintenant comme il s'y prenait pour mettre les femmes dans le même état, et quelle était la véritable raison de la retraite où il tenait la sienne.

L'hommage que m'avait rendu le comte avait été long, mais pas la moindre infidélité au temple qu'il s'était choisi: ni ses mains, ni ses regards, ni ses baisers, ni ses désirs ne s'en écartèrent un instant. Après avoir également sucé l'autre jeune homme, en avoir recueilli, dévoré de même la semence:

– Venez, me dit-il, en m'attirant dans un cabinet voisin, sans me laisser reprendre mes vêtements; venez, je vais vous faire voir de quoi il s'agit.

Je ne pus dissimuler mon trouble, il fut affreux; mais il n'y avait pas moyen de faire prendre une autre face à mon sort, il fallait avaler jusqu'à la lie le calice qui m'était présenté.

Deux autres jeunes gens de seize ans, tout aussi beaux, tout aussi énervés que les deux premiers que nous avions laissés dans le salon, travaillaient à de la tapisserie dans ce cabinet. Ils se levèrent quand nous entrâmes.

– Narcisse, dit le comte à l'un d'eux, voilà la nouvelle femme de chambre de la comtesse, il faut que je l'éprouve; donne-moi mes lancettes.

Narcisse ouvre une armoire, et en sort aussitôt tout ce qu'il faut pour saigner. Je vous laisse à penser ce que je devins; mon bourreau vit mon embarras, il n'en fit que rire.

– Place-la, Zéphire, dit M. de Gernande à l'autre jeune homme.

Et cet enfant, s'approchant de moi, me dit en souriant:

– N'ayez pas peur, mademoiselle, ça ne peut que vous faire le plus grand bien. Placez-vous ainsi.

Il s'agissait d'être légèrement appuyée sur les genoux, au bord d'un tabouret mis au milieu de la chambre, les bras soutenus par deux rubans noirs attachés au plafond.

A peine suis-je en posture, que le comte s'approche de moi, la lancette à la main; il respirait à peine, ses yeux étaient étincelants, sa figure faisait peur; il bande mes deux bras, et en moins d'un clin d'œil il les pique tous deux. Il fait un cri accompagné de deux ou trois blasphèmes, dès qu'il voit le sang; il va s'asseoir à six pieds, vis-à-vis de moi. Le léger vêtement dont il est couvert se déploie bientôt: Zéphire se met à genoux entre ses jambes, il le suce; et Narcisse, les deux pieds sur le fauteuil de son maître, lui présente à téter le même objet qu'il offre lui-même à pomper à l'autre. Gernande empoignait les reins de Zéphire, il le serrait, il le comprimait contre lui, mais le quittait néanmoins pour jeter ses yeux enflammés sur moi. Cependant mon sang s'échappait à grands flots et retombait dans deux jattes blanches placées au-dessous de mes bras. Je me sentis bientôt affaiblir.

– Monsieur! monsieur! m'écriai-je, ayez pitié de moi, je m'évanouis…

Et je chancelai; arrêtée par les rubans, je ne pus tomber; mais mes bras variant, et ma tête flottant sur mes épaules, mon visage fut inondé de sang. Le comte était dans l'ivresse… Je ne vis pourtant pas la fin de son opération, je m'évanouis avant qu'il ne touchât au but; peut-être ne devait-il l'atteindre qu'en me voyant dans cet état, peut-être son extase suprême dépendait-elle de ce tableau de mort? Quoi qu'il en fût, quand je repris mes sens, je me trouvai dans un excellent lit et deux vieilles femmes auprès de moi. Dès qu'elles me virent les yeux ouverts, elles me présentèrent un bouillon, et de trois heures en trois heures d'excellents potages jusqu'au surlendemain. A cette époque, M. de Gernande me fit dire de me lever et de venir lui parler dans le même salon où il m'avait reçue en arrivant. On m'y conduisit: j'étais un peu faible encore, mais d'ailleurs assez bien portante; j'arrivai.

– Thérèse, me dit le comte en me faisant asseoir, je renouvellerai peu souvent avec vous de semblables épreuves, votre personne m'est utile pour d'autres objets; mais il était essentiel que je vous fisse connaître mes goûts et la manière dont vous finirez un jour dans cette maison, si vous me trahissez, si malheureusement vous vous laissez suborner par la femme auprès de laquelle vous allez être mise.

Cette femme est la mienne, Thérèse, et ce titre est sans doute le plus funeste qu'elle puisse avoir, puisqu'il l'oblige à se prêter à la passion bizarre dont vous venez d'être la victime. N'imaginez pas que je la traite ainsi par vengeance, par mépris, par aucun sentiment de haine: c'est la seule histoire des passions. Rien n'égale le plaisir que j'éprouve à répandre son sang… je suis dans l'ivresse quand il coule; je n'ai jamais joui de cette femme d'une autre manière. Il y a trois ans que je l'ai épousée et qu'elle subit exactement tous les quatre jours le traitement que vous avez éprouvé. Sa grande jeunesse (elle n'a pas vingt ans), les soins particuliers qu'on en a, tout cela la soutient; et comme on répare en elle en raison de ce qu'on la contraint à perdre, elle s'est assez bien portée depuis cette époque. Avec une sujétion semblable, vous sentez bien que je ne puis ni la laisser sortir, ni la laisser voir à personne. Je la fais donc passer pour folle, et sa mère, seule parente qui lui reste, demeurant dans son château à six lieues d'ici, en est tellement convaincue, qu'elle n'ose pas même la venir voir. La comtesse implore bien souvent sa grâce, il n'est rien qu'elle ne fasse pour m'attendrir; mais elle n'y réussira jamais. Ma luxure a dicté son arrêt, il est invariable, elle ira de cette manière tant qu'elle pourra: rien ne lui manquera pendant sa vie, et comme j'aime à l'épuiser, je la soutiendrai le plus longtemps possible; quand elle n'y pourra plus tenir, à la bonne heure! C'est ma quatrième; j'en aurai bientôt une cinquième, rien ne m'inquiète aussi peu que le sort d'une femme; il y en a tant dans le monde, et il est si doux d'en changer!

Quoi qu'il en soit, Thérèse, votre emploi est de la soigner: elle perd régulièrement deux palettes de sang tous les quatre jours, elle ne s'évanouit plus maintenant; l'habitude lui prête des forces, son épuisement dure vingt-quatre heures, elle est bien les trois autres jours. Mais vous comprenez facilement que cette vie lui déplaît; il n'y a rien qu'elle ne fasse pour s'en délivrer, rien qu'elle n'entreprenne pour faire savoir son véritable état à sa mère. Elle a déjà séduit deux de ses femmes, dont les manœuvres ont été découvertes assez à temps pour en rompre le succès: elle a été la cause de la perte de ces deux malheureuses, elle s'en repent aujourd'hui, et reconnaissant l'invariabilité de son sort, elle prend son parti, et promet de ne plus chercher à séduire les gens dont je l'entourerai. Mais ce secret, ce que l'on devient si l'on me trahit, tout cela, Thérèse, m'engage à ne placer près d'elle que des personnes enlevées comme vous l'avez été, afin d'éviter par là les poursuites. Ne vous ayant prise chez personne, n'ayant à répondre de vous à qui que ce soit, je suis plus à même de vous punir, si vous le méritez, d'une manière qui, quoiqu'elle vous ravisse le jour, ne puisse néanmoins m'attirer à moi ni recherches, ni aucune sorte de mauvaises affaires. De ce moment, vous n'êtes donc plus de ce monde, puisque vous en pouvez disparaître au plus léger acte de ma volonté: tel est votre sort, mon enfant, vous le voyez; heureuse si vous vous conduisez bien, morte si vous cherchiez à me trahir. Dans tout autre cas, je vous demanderais votre réponse: je n'en ai nul besoin dans la situation où vous voilà; je vous tiens, il faut m'obéir, Thérèse… Passons chez ma femme.