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— C’est moi qui lui ai suggéré de consulter. Je l’ai encouragée à y aller parce que je n’arrivais pas à l’aider.

Sa voix s’est fêlée.

— Je ne pouvais pas l’aider. Et elle m’a dit qu’elle avait déjà eu ce type de problèmes par le passé, et qu’ils finiraient par s’en aller d’eux-mêmes, mais je l’ai… je l’ai convaincue d’aller voir un médecin. On lui a recommandé ce type.

Il a toussoté pour s’éclaircir la gorge.

— La thérapie avait l’air de lui faire du bien, elle était plus heureuse.

Il a eu un petit rire triste.

— Maintenant, je comprends mieux pourquoi.

J’ai tendu une main pour lui tapoter le bras, un geste de réconfort, mais il s’est écarté brusquement et s’est levé.

— Vous devriez y aller, a-t-il repris. Ma mère ne va pas tarder à revenir, elle n’arrive pas à me laisser seul plus d’une heure ou deux.

À la porte, alors que je m’apprêtais à sortir, il m’a attrapé le bras.

— Je vous ai déjà vue quelque part ?

Un instant, j’ai songé que je pourrais lui répondre : « Peut-être, oui. Vous m’avez peut-être vue au poste de police, ou là, dans la rue. J’étais là samedi soir. » J’ai secoué la tête.

— Non, je ne pense pas.

J’ai marché vers la gare aussi vite que possible. À la moitié du chemin environ, je me suis retournée pour regarder en arrière. Il était toujours sur le pas de la porte, à m’observer.

Soir

Je n’arrête pas d’aller voir si j’ai des nouveaux messages, mais pas de nouvelles de Tom. La vie devait être tellement plus simple pour les alcooliques jaloux avant les e-mails, les textos et les téléphones portables, avant l’ère de l’électronique et toutes les traces que cela laisse.

Aujourd’hui, il n’y avait presque rien au sujet de Megan. On est déjà passé à autre chose, et la une était consacrée à la crise politique en Turquie, la fillette de quatre ans mutilée par des chiens à Wigan, et la défaite humiliante de l’équipe de foot d’Angleterre contre celle du Monténégro. On a déjà oublié Megan, et ça ne fait qu’une semaine qu’elle a disparu.

Cathy m’a invitée à déjeuner. Elle était toute perdue : Damien est parti rendre visite à sa mère à Birmingham, et elle n’a pas été conviée. Ça fait presque deux ans qu’ils sortent ensemble, mais elle ne l’a toujours pas rencontrée. On est allées au Giraffe, sur High Street, un restaurant que je déteste. Une fois qu’on nous eut installées au milieu d’une pièce qui vibrait des hurlements des moins de cinq ans, Cathy s’est mise à me poser des questions. Elle était curieuse de savoir où j’étais hier soir.

— Tu as rencontré quelqu’un ? a-t-elle demandé, les yeux brillants d’espoir.

C’était assez touchant. J’ai presque dit oui, parce que, après tout, c’est la vérité, mais c’était plus simple de mentir. Je lui ai dit que j’étais allée à une réunion des Alcooliques anonymes à Witney.

— Oh, a-t-elle commenté.

Gênée, elle a plongé les yeux dans sa salade grecque flasque.

— J’ai cru que tu avais fait une petite rechute. Vendredi.

— Oui. Ça ne va pas être de tout repos, tu sais, Cathy, ai-je répondu.

Je me sentais très mal, parce qu’elle donnait vraiment l’impression de se préoccuper de mon sevrage.

— Mais je fais de mon mieux.

— Si tu as besoin, je ne sais pas, que je t’accompagne…

— Pas pour l’instant. Mais merci.

— On pourrait peut-être faire quelque chose d’autre ensemble, comme aller à la salle de sport ?

J’ai éclaté de rire puis, quand j’ai compris qu’elle était sérieuse, je lui ai dit que j’y réfléchirais.

Elle vient de sortir – Damien a appelé pour dire qu’il était rentré de chez sa mère, alors elle est partie le retrouver. J’ai envie de lui faire une remarque (« Pourquoi tu cours le rejoindre chaque fois qu’il te siffle ? »), mais je ne suis pas la mieux placée pour donner des conseils en matière d’histoires de cœur – ni de quoi que ce soit d’autre, d’ailleurs – et puis j’ai envie d’un verre (j’y pensais depuis le moment où on s’est assises au Giraffe, quand le serveur boutonneux nous a demandé si on voulait un verre de vin et que Cathy a répondu très fermement « non, merci »). Alors je me contente de lui faire un signe de la main quand elle s’en va, puis je sens le frisson d’anticipation habituel frémir sur ma peau tandis que je repousse les pensées positives (« Ne fais pas ça, tu es si bien partie »). Je suis en train d’enfiler mes chaussures pour aller faire un tour à l'épicerie quand mon téléphone sonne. Tom. C’est forcément Tom. Je sors le portable de mon sac, je regarde l’écran et mon cœur tambourine dans ma poitrine.

— Allô ?

Un silence. Je demande :

— Ça va ?

Après une courte pause, Scott répond :

— Oui, oui. Ça va. J’appelais juste pour vous remercier, pour hier. D’avoir pris le temps de me tenir au courant.

— Oh, ce n’était rien. Vous n’étiez pas obligé de…

— Je vous dérange ?

— Non, pas du tout.

Encore un silence de l’autre côté de la ligne, alors je répète :

— Pas du tout. Vous… Est-ce qu’il s’est passé quelque chose ? Vous avez parlé à la police ?

— L’agent qui me tient au courant des évolutions de l’enquête est venu cet après-midi.

Les battements de mon cœur s’accélèrent.

— L’inspectrice Riley. Je lui ai parlé de Kamal Abdic. Je lui ai dit que ça valait peut-être le coup de lui parler.

— Vous… vous lui avez dit que nous avions discuté ?

J’ai la bouche complètement sèche.

— Non. Je pensais que… Je ne sais pas. Je pensais que ce serait mieux si j’avais trouvé son nom tout seul. J’ai dit… Je sais que c’est un mensonge, mais j’ai dit que je m’étais creusé la tête pour mettre le doigt sur un détail significatif, et que j’avais songé que ça pourrait être intéressant de parler à son psy. J’ai dit que leur relation m’avait déjà préoccupé par le passé.

J’arrive de nouveau à respirer.

— Et qu’est-ce qu’elle a dit ?

— Elle a dit qu’ils lui avaient déjà parlé, mais qu’ils allaient recommencer. Elle m’a posé un tas de questions pour savoir pourquoi je ne l’avais pas mentionné avant. Elle est… je ne sais pas. Je ne lui fais pas confiance. Elle est censée être de mon côté, mais, chaque fois, j’ai l’impression qu’elle veut fourrer son nez partout, comme si elle essayait de me prendre en faute.

C’est bête, mais ça me fait plaisir qu’il ne l’aime pas non plus : c’est un autre point commun, un autre lien tissé entre nous.

— Bref, je voulais juste vous dire merci. De m’avoir contacté. Et puis, c’était… Ça va sembler étrange, mais c’était agréable de discuter avec quelqu’un… quelqu’un dont je ne suis pas proche. J’ai eu l’impression que ça me permettait de penser plus rationnellement. Après votre départ, je n’arrêtais pas de repenser à la première fois que Megan est allée le voir – Abdic – et à comment elle était en revenant. Elle avait quelque chose d’inhabituel, une légèreté.

Il expire bruyamment.

— Je ne sais pas. Peut-être que ce n’est que mon imagination.

Je retrouve le sentiment que j’avais hier, qu’il n’est déjà plus en train de me parler, à moi, mais qu’il parle, tout court. Je ne suis plus qu’une oreille attentive, et ça me convient. Je suis contente de lui être utile.

— J’ai encore passé la journée à fouiller dans les affaires de Megan. J’avais déjà retourné notre chambre et toute la maison une bonne demi-douzaine de fois, à la recherche du moindre indice quant à l’endroit où elle pourrait être. Quelque chose qui vienne de lui, peut-être. Mais rien. Pas d’e-mails, pas de lettres, rien. J’ai pensé à le contacter, mais son cabinet est fermé aujourd’hui, et je n’arrive pas à trouver un numéro de téléphone portable.

— Vous êtes sûr que c’est une bonne idée ? je demande. Je veux dire, vous ne pensez pas que vous devriez laisser ça à la police ?

Je ne veux pas finir ma phrase à voix haute, mais on le pense sûrement tous les deux : cet homme est dangereux. Ou, en tout cas, il pourrait l’être.