Et ils tinrent parole.

Ils se présentèrent sur le seuil et Justin serra la main d’oncle Denys.

Une onde de peur se répandit au même instant dans la pièce. Justin était terrifié. Grant aussi. Et tous les invités se figèrent, paralysés par quelque chose qu’ils essayaient de combattre.

Mais c’était sa fête, bon sang. Elle se leva et perçut une sensation de malaise au creux de l’estomac. Elle s’avança et se montra très aimable avec tout le monde. Ce n’était pas en disant aux gens qu’ils devaient être gentils qu’on obtenait des résultats. Il fallait attirer leur attention, pour la détourner de ce qui l’accaparait, puis ne pas ménager ses efforts pour la retenir. Faute d’avoir le temps de rechercher les causes et de déterminer les responsabilités, elle se dirigea vers Justin. C’était lui qui faisait l’objet de cette réaction de rejet collective, elle l’avait compris tout de suite.

Il y avait oncle Giraud et son azi, Abban ; le D r Ivanov et une jolie azie appelée Ule ; le D r Peterson et son azi Ramey ; le D r Edwards, son instructeur préféré, et son azie Galec plus âgée que lui mais très mignonne. Le D r Edwards faisait partie de ses invités : un biochimiste au savoir encyclopédique qui s’entretenait de longs moments avec elle après les séances de bandétudes. Et il y avait oncle Denys, qui parlait à Justin.

— Bonjour ! dit-elle en venant les rejoindre.

— Bonjour, répondit Grant.

Il lui remit leur cadeau.

Elle secoua le paquet. Léger. Ce qu’il contenait ne faisait aucun bruit.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

Elle savait qu’ils ne le lui diraient pas mais devait continuer de retenir l’attention. Tous la regardaient.

— Vous devrez attendre encore un peu avant de le savoir, fit Justin. Sinon, il serait inutile d’emballer les cadeaux.

Elle porta la boîte à Nelly, qui se chargea d’aller la poser sur celles déjà empilées autour du fauteuil, dans l’angle de la pièce. Ari eut l’impression que tous les invités prenaient une inspiration en même temps. Elle attendait leur réaction, à présent qu’ils avaient obtenu la confirmation que Justin et Grant avaient été officiellement invités.

Les adultes se remirent à boire et à discuter. Cette fête d’anniversaire s’annonçait agréable. Ari ferait le nécessaire pour que tout se passe bien, même si oncle Denys disait des méchancetés à Justin. C’était sa réception et elle était décidée à passer un bon moment. Et ceux qui voudraient gâcher son plaisir s’en repentiraient.

Il y avait un méchant, dans la bande : Giraud, qu’elle surveillait de près. Quand nul ne leur prêtait attention elle le fixait droit dans les yeux, pour lui faire comprendre qu’elle n’était pas dupe. Elle prit la main de Justin et l’emmena admirer la montagne de cadeaux, avant de le présenter avec Grant à Nelly. L’azie en fut embarrassée, mais Ari savait qu’elle ne ferait rien à même d’envenimer la situation.

Puis elle alla dans sa chambre et en revint avec ce qu’elle possédait de plus beau ou de plus curieux, pour faire voir ces objets à tout le monde. Elle attira à nouveau l’attention générale et tous achevèrent de se détendre. Ils discutaient, s’amusaient, buvaient l’apéritif. Pas elle. Elle se réservait pour le repas.

C’était très différent de ses anniversaires précédents, ceux avec les enfants. Elle portait un chemisier bleu pailleté et un coiffeur était venu tresser ses cheveux dans l’après-midi. Elle faisait bien attention à ne pas se salir, ou froisser ses vêtements quand elle s’asseyait par terre. Elle se jugeait très élégante, grande et importante. Elle adressait des sourires à tous les convives, à présent qu’ils étaient charmants. Quand Seely annonça que le moment de passer à table était venu et que le personnel des cuisines apporta les premiers plats, elle fit asseoir Justin entre elle et le D r Ivanov, en face du D r Edwards, pour le mettre à l’abri de Giraud. Cette protection fut renforcée par le D r Peterson qui prit place à côté du D r Edwards. Ses oncles furent ainsi relégués bien plus loin. Les convives assis autour de la table étaient en nombre impair et Ari avait exprimé le souhait que Grant pût s’installer avec eux, mais oncle Denys estimait qu’il se sentirait plus à son aise avec les autres azis : un point de vue que Nelly avait confirmé, pendant qu’elle l’aidait à s’habiller. Selon elle, Grant serait gêné d’être le seul azi au milieu des CIT. Et comme Nelly partageait l’opinion d’oncle Denys, Ari n’avait pas insisté.

Elle se retrouvait en bout de table et était entourée d’adultes qui parlaient de leurs travaux et de choses qu’elle ne connaissait pas, mais les écouter l’instruisait et elle ne se sentait pas offensée quand ils cessaient de l’interroger sur ses études et ses sujets d’intérêt pour discuter entre eux.

Oui, cette fête était bien plus agréable que celles où l’on invitait une marmaille d’enfants mesquins ou stupides.

À l’arrivée de Justin et de Grant, tous s’étaient comportés comme le faisaient les gosses quand elle allait les rejoindre. Cette réaction avait exaspéré Ari, qui ne pouvait comprendre pourquoi des adultes se comportaient ainsi. Elle aurait cru les grands plus grands. Découvrir que ce n’était pas le cas la déprimait un peu.

Mais au moins savaient-ils mieux dissimuler leurs pensées. Et elle prit conscience qu’il était plus facile de supporter cette réaction de rejet lorsqu’on n’en faisait pas l’objet. Elle s’attela ensuite à dresser la liste des gens qui risquaient de poser des problèmes.

Oncle Giraud était le pire. Comme toujours. Il ruminait de sombres pensées, pendant qu’il parlait de son travail à oncle Denys qui s’en serait bien passé.

Justin ne disait rien. Il n’avait pas envie de discuter. Le D r Peterson, un personnage assommant, s’entretenait avec le D r Ivanov qui s’ennuyait ferme et essayait de suivre en même temps les explications que le D r Edwards fournissait sur le Projet algues. Oncle Denys surveillait tout le monde, se montrait aimable, et tentait de faire taire son frère qui refusait de le laisser tranquille.

Le D r Edwards lui avait parlé du Projet algues. Il lui avait montré des bouteilles cachetées qui contenaient diverses variétés de ces plantes, en lui précisant de quels océans de la Terre elles provenaient et quelles étaient les différences entre ces mers et celles de Cyteen.

Elle essayait donc de l’écouter, quand elle n’avait pas à répondre au D r Peterson qui décidait parfois de lui adresser la parole plutôt qu’au D r Ivanov.

C’était bien plus distrayant que de jouer avec Amy Carnath. Et personne ne pleurnichait, ici.

Quand ils eurent mangé le gâteau et que les adultes se mirent à boire des boissons d’adultes, elle prit Justin par la main et le guida vers le cercle de fauteuils, pour le faire asseoir à côté d’oncle Denys. Etc Oh ! Justin était hypertendu.

Normal. Il n’était pas stupide et savait que si oncle Denys lui adressait des reproches la fête d’Ari serait gâchée. Mais elle avait plus d’un tour dans son sac pour empêcher la situation de se dégrader. Elle déballa en premier lieu le présent d’oncle Denys : une montre-bracelet avec toutes les fonctions qu’on pouvait imaginer. Une vraie montre, qui lui fit très plaisir. Mais même si ce présent l’avait laissée indifférente elle eût feint le contraire, pour faire plaisir à oncle Denys. Elle alla l’embrasser sur la joue et lui dit plein de choses gentilles.

Elle ouvrit ensuite le cadeau de Giraud, afin qu’oncle Denys fût encore plus content. Un holo magnifique de la planète Cyteen qu’il suffisait de bouger pour que les nuages tournent autour. Tous en restèrent béats d’admiration, surtout le D r Edwards auquel Giraud expliqua que c’était une technique holographique révolutionnaire. Oncle Giraud la surprenait : il s’était donné la peine de lui chercher un très joli présent, qu’il paraissait lui-même beaucoup apprécier. Elle n’aurait jamais cru qu’il aimait ce genre de choses. Puis elle se rappela que c’était lui qui avait acheté l’oiseau dans le cube. Elle découvrait une nouvelle facette de Giraud, auquel elle donna un gros baiser avant d’aller ouvrir le paquet du D r Ivanov : un casse-tête.