Tandis que le bourreau, en effet, s’occupait aux détails d’installation des bois de justice, sur la place des soldats étaient apparus.

Distraitement, alors, Fantômas suivit des yeux les évolutions de la troupe qui, en dépit des protestations unanimes, impitoyablement, refoulait vers les rues adjacentes ceux qu’avait attirés le spectacle.

— Quels imbéciles, songeait Fantômas, on ordonne que les exécutions soient publiques, et puis, chaque fois que la justice opère, on repousse au loin ceux qui viennent contempler la chose. Il faudrait, pourtant une bonne fois s’entendre, décréter que l’on cachera la guillotine comme une chose hideuse dans la cour des prisons, ou admettre au contraire que sa vue est moralisatrice et alors, laisser la foule s’en repaître les yeux.

Lentement, implacablement, la petite place fut donc déblayée par les soldats. Les badauds sanguinaires durent se retirer. Bientôt, dans le cercle vide que dessinaient les soldats rangés en piquet d’honneur, on ne distinguait plus, s’agitant à la lueur des lanternes que commençait à jaunir le jour naissant, que quatre hommes, Deibler et les trois valets de guillotine, quatre hommes qui s’affairaient à descendre du fourgon vert les caisses numérotées où reposaient les montants de la machine.

Fantômas, vite lassé par le spectacle des évolutions de la cavalerie dispersant les curieux, considéra alors le travail même du bourreau. En bras de chemise, car il avait dû retirer sa redingote, négligemment jetée sur le siège d’un des fourgons, M. de Paris, à gestes précis et méticuleux, dirigeait les aides. Et, bien qu’il fût assez distant, Fantômas entendant par moments les éclats de sa voix, une voix qui semblait étrange, tant elle paraissait calme et qui ordonnait :

— Prenez donc garde. Vous voyez bien que ce montant est mal fixé. Et puis, dépêchez-vous, nous allons être en retard.

Un coupé de maître arrivait, suivi d’une Victoria, suivi de voitures de louage plus modestes, mais toutes ayant des allures officielles. De graves personnages, en tenue de cérémonie, mirent pied à terre, et leurs traits tirés, leurs mines blafardes confessaient l’émotion qu’ils éprouvaient, les uns et les autres, à se rencontrer à pareille heure et pour cette besogne.

La foule, qui, repoussée par les soldats, était revenue, avait grimpé sur les toits voisins, escaladé les arbres, franchi des clôtures, envahi les maisons riveraines, saluait l’arrivée des voitures d’exclamations satisfaites :

— Le procureur. Tiens, voilà l’aumônier.

— Vous reconnaissez l’avocat ? Le juge d’instruction ?

— Celui-là, c’est un journaliste.

Fantômas hochait la tête, devenu un peu pâle :

— Mon Dieu, songeait-il, maintenant malgré lui étreint d’une secrète anxiété, pourvu que ni Deibler, ni ses aides, n’aient l’idée d’essayer la machine avant d’aller procéder au réveil de ce malheureux Œil-de-Bœuf ? Si jamais ils s’apercevaient que la bascule ne fonctionne pas, tout serait perdu.

Fantômas, lentement, souleva le store qui l’empêchait de voir facilement dans tous ses détails le spectacle sur la place. Or, comme il jetait à nouveau les yeux vers la guillotine, voilà que le bandit se mordit les lèvres, laissa échapper une exclamation de fureur :

— Voilà ce que je craignais. Il est là.

À cet instant, faisant crier le gravier sous les roues, une voiture traversa les lignes de gendarmes, puis les rangs de cavaliers composant le service d’ordre, vint se ranger à quelques pas de la guillotine.

Un homme vêtu de noir, un homme au maintien sévère en descendit, et c’est la vue de ce personnage, qui avait fait blêmir le Maître de l’Effroi.

— Juve, répétait Fantômas. Juve, pourquoi est-il venu ici ? que pense-t-il faire ? Je sais qu’il a tenté, mais vainement d’obtenir du Président de la République la grâce d’Œil-de-Bœuf. Juve ne voudrait pas qu’on le guillotinât ce matin, c’est évident, car il sait qu’Œil-de-Bœuf n’a jamais assassiné l’officier russe. Mais Juve, par devoir, s’il s’aperçoit que la guillotine a été truquée, avertira le bourreau.

Et, dans l’âme de Fantômas, à cet instant, la peur s’installait en maîtresse. Fantômas, en effet, ne pouvait admettre que l’un de ses lieutenants, qu’un de ceux qui l’avaient fidèlement servi, pût être guillotiné. Etrange conscience de ce bandit que n’avait jamais effrayé aucune atrocité et qui tremblait à la pensée de n’avoir pu, lui, le Roi du Crime, lui, le Redoutable, lui, l’Insaisissable, sauver l’un de ses complices.

— Juve est là, se répétait-il, que vient-il faire ?… Juve. C’est ce que je pouvais craindre de plus terrible.

Une pensée, pourtant, calma le bandit.

Juve n’avait pas eu de regard pour la guillotine. Le policier, trop de fois, avait assisté à des exécutions pour éprouver encore la moindre curiosité à l’égard de ce spectacle de sang.

S’il était venu à Quimper, ce n’était pas pour voir tomber la tête d’Œil-de-Bœuf.

Juve, en compagnie du procureur général et du juge d’instruction qui étaient venus lui serrer la main dès sa descente de voiture, faisait le tour du service d’ordre, plongeant des regard curieux dans les rangs de la foule qui se pressait un peu partout.

— Parbleu, songeait Fantômas, Juve se dit qu’au moment où la tête d’Œil-de-Bœuf va tomber, Fantômas ne doit pas être loin. C’est moi qu’il cherche. C’est moi qu’il s’efforce de trouver. C’est moi que Juve voudrait jeter à cette bascule, à ce couperet, à la tombe que l’on creuse en ce moment au cimetière.

Juve, à cet instant, passait au pied de la maison de la mère Kéradeuc. Instinctivement, le policier leva la tête, toisa la façade hostile de la bâtisse. Peut-être son regard s’arrêta-t-il sur le store derrière lequel se tenait Fantômas ? Peut-être un pressentiment le fit-il tressaillir ? Hélas, le policier ne pouvait, au travers de l’étoffe, deviner le bandit en embuscade. Et Fantômas qui, lui, par la déchirure où il collait ses yeux, ne perdait pas un mouvement du policier, se gaussait du policier :

— Cherche bien, Juve, cherche-moi bien, tu ne me tiens pas encore, tu n’es pas encore le triomphateur que tu voudrais être. Fantômas est libre et Fantômas va sauver l’homme que tes pareils s’apprêtent à tuer.

Fantômas était d’ailleurs si dédaigneux de l’enquête, forcément vaine, que tentait en ce moment le Roi des Policiers, qu’il détacha bientôt ses yeux du groupe que formaient Juve et les officiels qui l’accompagnaient, pour regarder encore la guillotine.

Mais, à peine Fantômas eut-il vu la guillotine, presque prête maintenant, qu’il blêmit.

— Mon Dieu, me serais-je donc trompé ? Vais-je donc avoir la douleur… il ne faut pas que cela soit, je ne veux pas que cela soit.

Fantômas tremblait maintenant de tous ses membres, une sueur froide perlait à son front, lui coulait des tempes.

— Il ne faut pas que cela soit. Je ne veux pas qu’on le tue. Je ne veux pas m’être trompé. Une erreur de ma part serait criminelle. Ah, malédiction.

Que venait donc d’apercevoir Fantômas ?

Il lui avait semblé que la machine qu’il avait devant les yeux était plus petite que celle qu’il avait truquée dans le Hangar Rouge. Oui, les bras sanglants étaient moins épais, moins hauts. Oui, le couperet était de dimension plus exiguë. Oui, le bâti même de la guillotine différait par quelques traits essentiels. Et Fantômas, affolé, se demandait :

— Me suis-je donc trompé ? N’ai-je pas truqué la guillotine qui doit servir ce matin ? Était-ce une autre guillotine que celle-ci qui m’a servi à tuer Jean-Marie ?

Et, avec une lucidité effarante, le bandit, qui avait voulu sauver Œil-de-Bœuf, se rappela soudain que Deibler possédait deux guillotines, l’une dont il se servait à Paris, l’autre, de dimensions moindres, qu’il n’utilisait qu’en province, et que c’était la guillotine parisienne que Fantômas avait mise hors d’état. C’était la guillotine des départements qui se dressait lugubre devant lui, à qui, dans quelques minutes, on allait jeter Œil-de-Bœuf, Œil-de-Bœuf, que, désormais, rien ne pouvait plus sauver, qui, devant Fantômas, allait avoir la tête tranchée.