— C’est à cause de moi qu’il y avait rafle ? répétait le jeune homme, bégayant presque d’étonnement, et je suis accusé d’avoir tué Ellis Marshall ? mais vous êtes fous. Vous ne savez donc pas qui je suis ? Jérôme Fandor. Menez-moi vers Juve, que diable.

Fandor, car c’était bien Fandor, en effet, qui, depuis longtemps caché dans la pègre pour mieux surveiller la fille de Fantômas, incarnait le personnage du Camelot, qui avait été en « camelot » chez le père Grelot, en « camelot » encore à la salle d’armes, puis s’était grimé en garçon coiffeur pour voler à Ellis Marshall le faux portefeuille rouge. Fandor se démenait comme un beau diable.

— Menez-moi vers Juve, hurla-t-il, menez-moi vers Juve.

— Vers le Président de la République aussi ? Si Juve veut vous voir, mon lascar, il saura bien où vous retrouver. Au Dépôt, allez.

***

— Lui, lui, lui.

Au moment où les agents se précipitaient sur Jérôme Fandor pour l’arrêter, la fille de Fantômas, qui reprenait à demi connaissance, ne savait même qui l’aidait à se sauver, fit un effort sur elle-même pour s’arracher à l’assoupissement qui la faisait encore incapable de se défendre.

On entraînait Fandor, elle était rudement étendue sur le sol. Pendant quelques minutes, nul ne s’occupait plus de la jeune fille tant on mettait d’acharnement après le Camelot.

La fille de Fantômas profita naturellement de l’extraordinaire tumulte. Abandonnée, couchée sur un talus herbeux longeant une route, elle rampa, elle avança en dépit des ronces, des pierres, se traînant sur ses genoux, tressaillant aux moindres bruits, croyant toujours qu’on allait la poursuivre.

Vingt minutes plus tard, cependant étant suffisamment loin pour ne plus avoir à redouter d’être appréhendée par la police, la fille de Fantômas se releva, prit sa course et, dans le petit jour qui commençait à pointer, droit devant elle, sans même savoir où elle allait, partit, éperdue. Hélène, la rage au cœur, le désespoir dans l’âme, venait de s’apercevoir qu’elle ne possédait plus le portefeuille rouge. Qui l’avait pris ?

Était-ce l’homme qui l’avait à demi assommée d’un coup de poing ? Était-ce au contraire celui qui l’avait sauvée des brutalités de son agresseur ? Était-ce enfin le jeune homme qui, en dernier lieu, l’avait tirée des flammes de l’incendie ?

La fille de Fantômas, au sortir de son long évanouissement, n’en savait rien.

Elle ne savait plus qu’une chose, la malheureuse : c’est que la Fatalité s’appesantissait sur elle, c’est que, quoi qu’elle fît, il en résultait toujours d’effroyables aventures.

Et elle fuyait le destin, elle fuyait le sort, affolée, incapable de réfléchir davantage, prise de ce besoin d’aller plus loin que connaissent tous ceux qui ont eu peur, terriblement peur, dans leur vie.

La fille de Fantômas marcha de longues heures à l’aventure. Elle finit pas rejoindre une ligne de chemin de fer où des trains de marchandises sur des voies de garage semblaient attendre un prochain départ.

La fille de Fantômas n’hésita pas. Coûte que coûte, désireuse de fuir Paris, elle se faufilerait sous un wagon, elle s’attacherait aux essieux d’un fourgon.

— Le train m’emportera, pensait-elle, m’emportera loin de tous, loin de mon père que je hais, loin de Juve que je crains, loin de Fandor que j’aime. On m’oubliera. J’oublierai.

27 – LE HANGAR ROUGE

C’était un hangar banal d’aspect et qui, certes, n’aurait pas retenu l’œil du passant si sa renommée n’eût été universelle, si chacun n’avait connu sa lugubre destination.

À peine les lourdes portes qui le fermaient étaient-elles ouvertes timidement, juste ce qu’il était nécessaire pour permettre à un homme de passer – car ces portes semblaient ne devoir jamais s’ouvrir larges qu’à de rares instants fixés par un destin immuable – que l’on pénétrait dans une sorte de vaste bâtiment où l’obscurité régnait, quasi perpétuelle, le jour ne pouvant s’y infiltrer qu’avec parcimonie par d’étroits vasistas grillés de fer, protégés, de plus, au moyen d’épais treillages.

Il faisait noir dans ce hangar et l’œil le plus perspicace n’aurait d’abord rien pu y découvrir qui fût de nature à alarmer le plus pusillanime des visiteurs. La pièce semblait vide. Il fallait quelques minutes pour arriver à distinguer dans cet antre quelques caisses de bois numérotées de chiffres gigantesques, puis, dans le fond, deux vieilles voitures peintes en vert sombre, couvertes de poussière, qui ne devaient servir que rarement.

Rien de tout cela n’était effrayant. Non, rien. Et pourtant, il suffisait de pénétrer dans ce hangar, de respirer quelques secondes son atmosphère pour qu’un frisson vous prît à la nuque, vous courût au long de l’échine, vous secouât jusqu’à l’âme, vous tenaillât, vous torturât, mît devant vos yeux d’étranges visions, d’effarantes hallucinations, des visions de matins pâles, blafards, de matins où le petit jour éclairait d’horribles tragédies, se passant dans un immuable décor, le décor d’une hideuse machine dressant sans cesse vers le ciel ses bras rouges et réclamant toujours, inlassable, assoiffée, de nouvelles victimes.

Ce hangar où nul ne pénétrait que de temps à autre, furtifs, se dissimulant, paraissant honteux d’y entrer, quatre hommes, les passants se le montraient du doigt. Ce hangar sinistre dont les enfants se détournaient, que les chiens flairaient avec un hululement lugubre, ce hangar qui se dressait au centre de la rue de la Folie-Regnault, en plein Paris, c’était le hangar de « La Veuve », le logis de la Guillotine, l’atelier officiel de Monsieur de Paris, de Deibler, de ses aides, du bourreau et du bourreau-valet.

Perpétuellement silencieux, abandonné à de longs sommeils, hanté sans doute par de terribles apparitions, le hangar de la rue de la Folie-Regnault, où dormaient les deux guillotines mises par l’État à la disposition du bourreau, l’une pour Paris, l’autre pour la province, s’éveillait cependant certains soirs, et ces soirs-là, dans le quartier, une agitation fébrile se produisait immanquablement, cependant que circulaient des bruits de mort, des bruits d’exécution.

Les commerçants qui avoisinaient le hangar de la « Veuve », suivant la dénomination adoptée par tous, tiraient alors de leur sinistre voisinage des profits extraordinaires. Étant sur les lieux, et par conséquent à même de surveiller facilement les allées et venues du bourreau, bon nombre d’entre eux étaient chargés, moyennant une modique rétribution, de prévenir les journaux chaque fois que Deibler ou ses aides visitaient le Hangar Rouge.

Les reporters alors arrivaient à la chasse des informations, pistaient Deibler, accompagnaient les fourgons qui, au petit jour, s’éloignaient du hangar sinistre, et de la sorte, le lendemain, ils savaient où l’on exécutait, pouvaient s’y rendre et publier de sensationnels reportages sur la façon dont on avait tué… tué, légalement.

Le Hangar Rouge.

Bien qu’il s’abritât avec un soin extrême, une quasi-honte de lui-même, derrière des portes impénétrables, il avait presque une vie à lui, une existence propre. Le Hangar Rouge pesait sur tout le quartier du poids formidable de son horreur, de la crainte qui naissait des sinistres objets qu’il conservait jalousement. De temps à autre, des étrangers intriguaient pour obtenir du bourreau le droit d’en franchir le seuil, mais rares étaient ceux qui obtenaient la permission souhaitée, plus rares encore ceux qui, l’ayant eue, osaient entrer par la porte qui conduisait jusqu’au hangar, jusqu’au Hangar Rouge, ce hangar où dormaient les guillotines, les machines à tuer, les « Veuves » qui, toujours, appellent des amants, les serrent une fois contre leur poitrine puis les rejettent à l’oubli des cimetières.

***

— Jean-Marie, puisque vous ne connaissez pas encore « le travail », je vous conseille tout bonnement de m’aider à essuyer les pièces. Vous verrez ensuite comment se monte la machine, car je vais la dresser ce soir même, ici, dans le hangar, afin de m’assurer qu’elle fonctionne. Nous la démonterons ensemble demain matin. Faites attention. J’imagine que vous n’avez pas de sottes frayeurs ?