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— Qu’est-ce que c’est ?

— Ma carte… avec quelques mots dessus. Au cas où vous seriez tenté par un voyage outre-Atlantique, je ne saurais trop vous conseiller d’aller voir, à New York, un vieil ami : le chef de la police métropolitaine Phil Anderson. Il est très intelligent, très compétent, très discret et de très bon conseil. En outre il a une dent longue comme une défense d’éléphant pour ce qui touche à la Mafia et votre Ricci pourrait lui appartenir.

— Qu’est-ce qui vous fait supposer que je vais aller là-bas ? émit Aldo en empochant tout de même le message.

— Oh rien finalement ! C’est une idée qui m’est venue comme ça. Remarquez, vous n’êtes pas obligé d’en tenir compte… À présent, il est temps pour vous d’embarquer, ajouta-t-il en consultant sa montre. Offrez mes hommages à la princesse. Il se peut qu’un jour j’aille vous rendre visite.

— Ce serait la meilleure des nouvelles ! La maison est grande ouverte pour vous !

Les deux hommes se serrèrent la main et Aldo se dirigea vers la passerelle mais, au bout de trois pas, il se retourna :

— S’il vous plaît, essayez d’empêcher Vidal-Pellicorne de faire de trop grosses bêtises ! Il est en train de se prendre pour Marc-Antoine et sa Cléopâtre américaine aurait tendance à m’inquiéter !

Warren ôta sa pipe de sa bouche et grimaça ce qui pouvait passer pour un sourire :

— Moi aussi, figurez-vous ! Bon voyage !

Deux jours plus tard Aldo était de retour à Paris. Jacqueline Auger reposait désormais pour l’éternité dans sa terre natale et grâce aux dispositions prises par Scotland Yard, il n’avait eu qu’à se louer de l’organisation. La police et un fourgon des pompes funèbres l’attendaient à la descente du bateau et le contrôle douanier s’était montré discret. Après un court service à l’église, le corps avait été inhumé sous une couronne de fleurs fraîches (Warren avait même pensé à ce détail) et dans la tombe où reposaient déjà ses parents. Il ne restait plus à Aldo qu’à régler la facture et à espérer qu’il se trouverait quelqu’un pour venir prier devant la dalle où il ordonna que fussent gravés les noms et dates de la jeune femme. Aussi, en reprenant le train pour Paris se sentait-il la conscience en paix. À défaut de tranquillité d’esprit car il ne pouvait se faire à l’idée que Ricci pût continuer à jouir de la chaleur du soleil après en avoir privé à jamais une créature de Dieu qui avait cru trouver en lui une espèce de Père Noël sous lequel se cachait un impitoyable assassin. Pour lui, en effet, la culpabilité de l’Américano-Sicilien ne faisait aucun doute en admettant même qu’il eût les mains nettes des meurtres de Covent Garden et de Bagheria.

Son retour rue Alfred-de-Vigny fut salué par un triple soupir de soulagement en dépit de plusieurs appels téléphoniques pour que les trois femmes ne s’inquiètent pas trop. Ce qui n’avait rien empêché car Lisa, retrouvant d’instinct ses anciennes habitudes de parfaite secrétaire, s’était procuré des journaux anglais où s’étalait largement « Le meurtre mystérieux de Piccadilly ». Ce fut ce que l’on mit sous le nez d’Aldo quand, débarrassé des escarbilles et autres poussières du voyage, il rejoignit « ses » femmes dans le jardin d’hiver à l’heure où la marquise pratiquait à sa manière le fiveo’ clock teaen buvant un ou deux verres de champagne.

— Il y a longtemps que tu connais cette jeune femme ? demanda Lisa en offrant le Daily Mailà son époux.

Le ton était innocent mais Morosini connaissait trop Lisa pour se tromper sur certaine vibration de sa voix mais fort de sa pureté d’intentions il n’était pas disposé à se laisser malmener, fût-ce par une épouse plus ravissante que jamais dans une robe de crêpe de Chine imprimé de dessins géométriques vert amande et blanc. Il fronça le sourcil puis, fidèle à son habitude répondit par une question :

— Qu’est-ce qui t’a pris d’acheter la presse anglaise ?

— Quand tu vas quelque part, mon chéri, j’achète toujours les journaux du coin, fit-elle en forçant sur l’angélisme. Il est rare que l’on n’y trouve pas de tes nouvelles. Tu es un homme tellement intéressant !…

— Ne me dis pas que l’on parle de moi là-dedans ? grogna-t-il en considérant la photo de Jacqueline – où diable ces gens-là avaient-ils pu se la procurer ? – qui décorait l’article.

— Pas en toutes lettres, intervint Madame de Sommières, mais quand on parle du prince M… et que tu es dans le quartier ça devient limpide. Le mieux serait peut-être que tu racontes… en fabulant le moins possible !

— Je n’ai jamais fabulé avec vous, protesta Aldo. Puis considérant les trois regards qui convergeaient dans sa direction, il ajouta : « Vous avez décidé de vous constituer en tribunal ou quoi ? Je viens de passer des jours pénibles et je vais peut-être en passer de pires et tout ce que vous trouvez à faire c’est de me passer à la question ? Vous mériteriez que je ne vous raconte rien ! »

— On ne mérite pas d’être punies ! gémit Marie-Angéline prête à pleurer. Ce serait trop cruel !

— C’est bien pour vous faire plaisir Angelina ! Sachez d’abord que je n’ai jamais tant vu Jacqueline Auger que le jour de sa mort. Jusque-là je m’étais contenté de l’apercevoir au Ritz lors de mon déjeuner avec Boldini et comme je vous ai raconté ce qu’il m’a dit vous devriez vous en souvenir.

— Ah ! C’est celle-là ? émit Lisa.

— Oui. C’est celle-là ou plutôt c’était celle-là ! Maintenant tâchez de m’écouter sans m’interrompre.

Ce fut vite fait mais à la fin du récit Tante Amélie avait les larmes aux yeux :

— Tu l’as ramenée auprès de ses parents ? Oh, ça c’est très bien, mon petit !

— Il y a longtemps que je sais que j’ai épousé une assez bonne copie de Don Quichotte, fit Lisa plus émue qu’elle ne voulait le montrer. Ce qui m’inquiète à présent c’est la suite.

— Quelle suite ?

— Celle que tu vas donner à cette triste histoire en rendant sous peu une visite à la Compagnie Générale Transatlantique. Ai-je raison ? C’est ce que tu as dans l’idée ?

Aldo vint s’asseoir près de sa femme sur le canapé de rotin garni de coussins en toile de Jouy et prit sa main pour en baiser la paume comme il en avait la tendre habitude. Il vit une larme dans la frange de ses cils.

— Pas si cela te cause de la peine, mon cœur. Certes j’aimerais fort faire payer son ou ses crimes à ce triste sire et retrouver les bijoux de la Capello parce que je suis persuadé qu’il y a un lien entre tous ces faits mais tu es ce que j’ai le plus précieux et pour rien au monde je ne voudrais que tu te tourmentes. En particulier en ce moment ! Si encore tu venais avec moi…

— Ce serait de la dernière imprudence ! s’écria Marie-Angéline dont les narines frémissaient depuis que Lisa avait évoqué la célèbre compagnie de paquebots. Il faut penser au bébé à venir !… Nous, en revanche, nous pourrions avantageusement accompagner Aldo puisque nous sommes invitées à Newport par Mrs Van Buren.

— Je me disais aussi que nous n’allions pas tarder à en entendre parler ! ironisa Madame de Sommières. Vous ne perdez jamais une occasion d’avancer vos petites affaires, hein Plan-Crépin ? Pourquoi un voyage en Amérique serait-il une imprudence pour Lisa et pas pour moi ? Elle est enceinte mais je suis une vieille dame fragile…

— À qui le ferez-vous croire, Tante Amélie ? dit Lisa qui retrouvait son sourire. Vous êtes forte comme un quarteron de mousquetaires.

— C’est gentil de ne pas m’avoir comparée à un Turc, apprécia la marquise. Mais pour en revenir à nos moutons si tu décides d’aller là-bas Aldo, j’accepterai peut-être cette fichue invitation dont on me rebat les oreilles. Au fond, Lisa, vous pourriez parfaitement nous accompagner. Mrs Van Buren qui cultive passionnément l’armorial serait aux anges de recevoir une princesse, vous n’êtes qu’en début de grossesse, vous n’avez jamais eu le mal de mer et en aucun cas vous n’auriez à craindre l’inconfort. Évidemment, je déplore que le jeune Vidal-Pellicorne se soit retiré du circuit pour courir la gueuse…