Изменить стиль страницы

— Un éventail ?… Vous pourriez trouver mieux… Un éventail !… C’est à pleurer de rire !

— Riez ou pleurez mais c’est la stricte vérité : celui de l’impératrice Charlotte du Mexique. Il doit être resté sur la table du salon ! Et moi je suis antiquaire, sacrebleu !

— Et moi, je suis le petit Jésus ! Mais coupons court ! Je sais ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu. Où logez-vous ?

— Hôtel du Palais. Pourquoi ?

— Demain matin vous recevrez mes témoins ! Nous nous battrons, Monsieur !

Un ululement déchirant de la baronne acheva d’exaspérer Aldo :

— Comme il vous plaira ! fit-il. Décidément, nous sommes en plein mélo ! Je vous tuerai donc aussi proprement que je pourrai… mais si j’ai un conseil à vous donner, puisque vous êtes viennois, c’est de confier le plus rapidement possible votre « moitié » au docteur Freud ! Il se peut qu’on puisse encore la soigner de sa mythomanie avant que ce ne soit irréversible !

Le lamento d’Agathe qu’il avait eu le temps de voir s’écrouler en larmes sur le canapé le poursuivit jusque dans le vestibule où Ramon, impavide, lui rendit son chapeau, sa canne et ses gants avant de le raccompagner à la porte. Ce fut un soulagement ineffable de retrouver l’odeur des algues et le vent de mer qui s’était levé dans la soirée. Aldo s’en remplit les poumons avant de se mettre en marche vers son hôtel mais, soudain, Adalbert se matérialisa devant lui :

— Tiens, tu étais là ?

— Depuis un moment. Je n’arrive pas à rester en place ! Je meurs d’impatience ! Tu as vu l’éventail ?

— Je l’ai vu… et aussi son coffret ! Et j’ai acquis la certitude que c’est le bon !

— Génial !

— Par la même occasion, j’ai récolté un duel !

— Un duel ? Avec qui ?

— Le mari. Si tu es là depuis le début, tu as dû le voir rappliquer ? Un grand type, corpulent, enjolivé d’une paire de moustaches à la François-Joseph !

— Et il veut se battre avec toi ? Est-ce qu’il vous aurait trouvés, toi et sa femme, dans une situation… équivoque ?

— Tu parles d’une situation équivoque : nous finissions de dîner ! Il nous est tombé dessus comme la foudre et tu ne sais pas le plus beau : cette folle a entrepris de le persuader que je suis son amant !

— C’est une attitude plutôt curieuse. Les aveux ne font pas partie du répertoire d’une femme normale.

— Surtout quand ils sont faux ! Je me demande ce que j’ai pu lui faire pour qu’elle me joue un pareil tour !

— C’est peut-être justement parce que tu ne lui as rien fait ?

— Possible ! En tout cas il m’envoie ses témoins demain matin. Nous en découdrons à l’aube, paraît-il !

— Outre que le duel est interdit par la loi, c’est proprement grotesque. Vous allez faire rigoler tout Biarritz !

— On va surtout se faire une publicité dont, personnellement, je n’ai pas besoin ! Naturellement, tu es mon témoin mais il m’en faut un deuxième.

— Ça, je m’en charge, fit Adalbert après un instant de réflexion. Je pense que tu seras content ! On fait quoi maintenant ? On va se coucher ?

— On va boire quelque chose de frais. Que dirais-tu d’un gin-fizz ? Je suis bourré jusqu’à la gueule de piment et de truffes ! Ça m’éclaircira les idées pour cogiter sur la façon dont nous allons récupérer le coffret de l’éventail. Parce que, en plus, il n’est pas à elle mais à sa maman dont c’est – air connu ! – l’un des plus « chers trésors ».

Les nouvelles de la nuit inquiétèrent Mme de Sommières mais enthousiasmèrent Plan-Crépin. Un duel ! Comme à l’époque des Mousquetaires ! Qu’y avait-il de plus romantique ! Et pour une femme !

— Non, rectifia la marquise. Pour un mensonge proféré par une folle sans doute hystérique ! Vous rendez-vous compte, tête en l’air, de ce qui se passera si cette histoire arrive aux oreilles de Lisa ? Je vous rappelle qu’elle est à Vienne actuellement, que le baron est viennois et qu’il y aura automatiquement des échos sur le Danube. C’est un tracas supplémentaire dont nous aurions aimé nous passer alors que, enfin, nous savons où se trouve ce fichu collier !

— C’est pourtant vrai et nous avons absolument raison ! Puisque vous y étiez, Aldo, pouvez-vous nous donner une idée de l’intérieur de la maison ? Et de l’endroit où l’on range l’éventail ?

— Plan-Crépin, protesta la marquise. Vous êtes ici pour vous occuper de moi, pas pour mijoter des plans de cambriolage !

— Il faudra peut-être envisager d’en arriver là ? hasarda Adalbert. Aldo ne pourra plus remettre les pieds dans la Villa Amanda. Et je vous rappelle qu’il ne s’agit pas de voler l’éventail mais de prélever ses entrailles dont sa propriétaire ne se doute même pas ! Rien de bien méchant ! Mais d’abord essayer d’éviter cette absurde affaire de duel !

Il achevait sa péroraison quand la réception de l’hôtel annonça que deux messieurs demandaient à parler au prince Morosini. On les fit monter dans la « suite » dont Mme de Sommières leur abandonna le petit salon. Il s’agissait de deux Autrichiens : le baron Ochs et le général von Brach qui ferait office de directeur du combat. Ils s’excusèrent de l’absence du second témoin mais Morosini n’ayant à offrir que le seul Vidal-Pellicorne, on mena l’affaire rondement. Waldhaus, étant l’offensé, avait le choix des armes et optait pour l’épée…

— Cela ne me gêne pas, dit Aldo, mais vu l’embonpoint du baron, je m’attendais au pistolet…

— Trop bruyant ! expliqua Ochs. Il faut éviter à tout prix de donner une quelconque publicité à cette affaire. Si vous en êtes d’accord, le combat s’arrêtera au premier sang !

— Entièrement ! approuva Adalbert. Espérons seulement que ce sang ne viendra pas d’un cœur transpercé ou d’une gorge ouverte !

— Si c’est de l’humour, Monsieur, je le trouve macabre ! observa le général avec sévérité.

— Où voyez-vous de l’humour ? Si vous voulez mon avis, cette histoire est stupide et je ne vois pas pourquoi M. Waldhaus n’a pas réclamé le duel à outrance pendant qu’il y était. Autrefois, on se battait pour tuer l’adversaire mais s’estimer satisfait d’une égratignure administrée au petit matin dans un endroit écarté m’a toujours semblé le comble du ridicule. On pourrait aussi bien prélever dix centimètres cubes avec une seringue !

— Libre à vous de penser ce qui vous plaît. Nous sommes venus pour donner satisfaction à notre ami qui souhaite donner une leçon à son adversaire et l’empêcher de courtiser les honnêtes femmes.

On en était là quand on décida que l’affrontement aurait lieu le lendemain à l’aube dans le parc du château de Brindos, à Anglet, où les belligérants n’auraient rien à craindre d’une incursion des autorités. Les Autrichiens se chargeaient d’apporter les armes, Morosini ayant fait observer qu’il n’avait pas pour habitude, pendant ses vacances, de mettre flamberge au vent entre un parcours de golf et une partie de tennis. Sur ce, on se sépara cérémonieusement.

Adalbert suivit les Autrichiens en déclarant qu’il allait se mettre à la recherche du second témoin et demander au portier de lui louer une voiture pour un temps indéterminé. Il n’eut pas à aller loin. Comme il sortait de l’hôtel, on achevait de charger des bagages à l’arrière d’une grosse Hispano-Suiza dans laquelle Miguel Olmedo aidait Doña Luisa puis Doña Isabel à s’installer. Du regard, Adalbert balaya les environs du palace et n’eut aucune peine à découvrir ce qu’il cherchait : à demi caché par un bosquet de tamaris, le jeune Faugier-Lassagne suivait ce départ d’un œil désespéré.

Tellement que, lorsque l’égyptologue le rejoignit, il gémit lamentablement, comme s’il continuait une conversation inachevée :

— Pourquoi ce départ précipité ?… Cela s’est fait en deux minutes et, moi, je suis pris au dépourvu : je n’ai même pas le temps de chercher une voiture ! Elle s’en va et je n’ai aucun moyen de savoir où !

Il en avait les larmes aux yeux. Adalbert n’eut pas la cruauté de lui rappeler qu’il s’était lancé à la poursuite des Mexicains dans le noble but d’attirer sur eux une vengeance exemplaire. Ce pitoyable garçon était victime lui aussi du brutal coup de foudre qui avait conduit son père à la mort. Question de gènes sans doute. Sans aller jusqu’à évoquer le mythe de Circé dont un regard pouvait transformer un homme en cochon, il reconnaissait que la jeune femme était redoutable et remerciait Dieu qu’Aldo ou lui-même n’eussent pas succombé à un charme qui prenait des allures de malédiction…